Nutrition parentérale pédiatrique: incompatibilité entre le cuivre et la cystéine

En pédiatrie, la nutrition parentérale a une importance capitale afin d’assurer la croissance d’enfants trop malades pour être alimentés par voie entérale. En néonatologie, elle est d’autant plus importante en raison de l’immaturité du tube digestif des bébés prématurés et des complications comme l’entérocolite nécrosante.

La nutrition parentérale est un mélange complexe de plusieurs solutions de nutriments, d’électrolytes, de vitamines, et d’oligo-éléments. Tous ces composants peuvent présenter des incompatibilités ou interactions entre eux; la préparation de ces solutions par des pharmaciens compétents en la matière est donc importante.

L’incompatibilité la plus connue inhérente à ce type de solution est la précipitation du calcium avec le phosphore inorganique. Dans les années 90, la FDA aux États-Unis a émis une série de recommandations suite à des décès en lien avec la préparation de solutions de nutrition parentérale où des précipités de phosphate de calcium s’étaient formés. La recommandation la plus importante qui s’était dégagée de ces événements était la filtration des solutions lors de l’infusion, à l’aide de filtres 0,22 µm pour les solutions de type 2-en-1 et 1,2 µm pour les solutions de type 3-en-1.

En néonatologie, les solutions d’acides aminés utilisés comme nutriments dans la nutrition parentérale peuvent contenir de la cystéine, car cet acide aminé permet de favoriser une meilleure solubilité phospho-calcique en abaissant le pH de la solution. Il s’agit également d’un acide aminé conditionnellement essentiel chez les bébés prématurés. Il était connu depuis les années 80 et 90, mais cette information ne semblait pas définitive, que les solutions d’acides aminés qui contiennent de la cystéine pourraient réagir avec le cuivre contenu dans les solutions d’oligo-éléments et produire un précipité.

J’ai publié un article sur cette incompatibilité dans le CJHP en 2014 suite à des observations de plusieurs de mes collègues et de moi-même. Après une revue de littérature, j’ai pu trouver quelques rapports de cas et analyses physico-chimiques remontant jusqu’aux années 80 décrivant ce genre de phénomène. Cependant, les publications sont assez difficiles à retrouver; certaines sont des présentations de congrès, et l’une d’entre elles est une thèse de doctorat faite dans les années 90. Dans cet article, je mentionnais que l’administration d’une nutrition parentérale sans cuivre à long terme n’était pas recommandée car la déficience en cuivre qui pourrait en résulter peut mener à des anomalies hématologiques et osseuses. Dans un article des années 90, il y avait une hypothèse selon laquelle la concentration plus faible en cuivre dans certaines solutions pourrait expliquer l’absence de précipitation lorsque la solution est plus diluée.

Depuis cet article, au moins deux autres publications avec des méthodes bien plus élaborées ont fait le même constat.

En avril 2015, Santé Canada a émis un avis recommandant de ne plus mélanger de solutions d’oligo-éléments aux acides aminés contenant de la cystéine afin de prévenir cette incompatibilité. Le problème est que la monographie canadienne du seul produit d’oligo-éléments pédiatriques disponible au Canada ne mentionne aucun mode d’administration en dehors de la nutrition parentérale, et je n’ai pu retrouver aucune telle modalité en cherchant dans la littérature. J’imagine qu’ils ont reçu beaucoup de commentaires à cet effet, car le 21 avril 2015, l’avis a été révisé afin d’insister plutôt sur l’utilisation de filtres 0,22 µm, d’un mode d’administration 2-en-1, et l’inspection visuelle de la solution et des filtres afin de cesser l’infusion de toute solution qui présenterait des signes de précipitation.

La semaine dernière, un nouvel avis sur cette situation a été émis afin de préciser qu’en cas de précipitation, la solution filtrée à l’aide de filtres 0,22 µm ou 1,2 µm, selon le mode de préparation 2-en-1 ou 3-en-1, respecterait les limites de matières particulaires de l’USP. Il n’est donc plus nécessaire de cesser l’infusion en cas de précipitation. Néanmoins, il est prévisible que la quantité de cuivre infusée au patient sera moindre; un suivi des niveaux de cuivre peut donc être requis dans le cadre d’une nutrition parentérale à long terme. La monographie canadienne du produit d’acides aminés a été mise à jour à la lumière de ces données.

Je ne sais pas si c’est la fin de cette saga, mais je crois qu’il y a là une belle opportunité de recherche pour mieux caractériser cette interaction et la manière de la prévenir.

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