En janvier dernier, je vous parlais du choix de Cristal-Net comme dossier clinique informatisé pour tous les établissements de santé à l’échelle du Québec. En ce qui a trait aux fonctions disponibles, on mentionnait que le DSQ était consultable directement dans l’application. J’affirmais que la suite logique de cette capacité était l’intégration du processus de bilan comparatif à l’application. En effet, la disponibilité du DSQ fournit la fameuse deuxième source d’information nécessaire pour compléter la démarche de MSTP. Deux articles portant sur cette question ont été publiés à ma connaissance: le premier a évalué la qualité de l’information contenue dans le DSQ pour la constitution du MSTP, le deuxième pour la rédaction des ordonnances initiales à l’urgence, en dehors du contexte du bilan comparatif.
Ce deuxième article confirme ma supposition initiale: il est effectivement possible de consulter les données du DSQ directement dans Cristal-Net. Cette fonction est maintenant utilisée en pratique dans au moins un hôpital de Québec pour les ordonnances initiales à l’urgence. Par ailleurs, j’ai assisté au colloque de gestion de l’APES, qui a eu lieu le 20 octobre dernier dans la région de Québec. Une des présentations, par des pharmaciennes du CHUQ, parlait de l’informatisation de la démarche de BCM. Je ne veux pas vendre le punch, mais bien sûr, je ne suis pas seul à avoir pensé à l’intégration du BCM à Cristal-Net.
Je trouve que cette approche a beaucoup de mérite. Dans le cadre d’une autre présentation sur le BCM à ce colloque, les résultats d’une enquête québécoise menée par l’URPP, dont les diapositives sont disponibles en ligne, ont été présentés. Cette enquête montre à quelle point la démarche de BCM, même si elle est d’une utilité incontestable et qu’il s’agit d’une obligation, est effectuée de manière variable. Cette présentation concluait sur la recommandation d’un arrimage entre l’Ordre des Pharmaciens et le Collège des Médecins pour standardiser la démarche et déployer des outils concrets et uniformes. Ceci est tout à fait nécessaire dans le monde « en papier » dans lequel le système de santé québécois évolue toujours. Néanmoins, dans l’optique où Cristal-Net sera éventuellement déployé, la démarche n’aura d’autre choix que d’être uniformisée de facto par cet outil informatique et le flot de travail qu’il imposera, il faudra donc que les recommandations provinciales tiennent compte de cette orientation et que le module soit développé en en tenant compte.
En réfléchissant à la manière dont le processus de BCM dans Cristal-Net pourrait s’articuler, j’en arrive à penser qu’il est important que les pharmaciens des établissements de santé qui gèrent des systèmes informatiques sur les médicaments soient conscients de cette éventualité et de l’impact qu’elle pourrait avoir sur nos systèmes.
Pensons d’abord à une implantation avec prescription sur papier, tel que fonctionnent actuellement pratiquement tous les hôpitaux du Québec. Afin de réaliser un BCM adéquat à l’admission, l’information du DSQ devrait être affichée à l’utilisateur, puis celle-ci devrait pouvoir être travaillée à l’écran en fonction de l’entrevue avec le patient ou d’une autre source d’information, le tout sans perdre la trace de la provenance des diverses informations obtenues. Dans le cadre d’un BCM réalisé prospectivement, le prescripteur devrait pouvoir documenter ses intentions par rapport à chaque médicament, rédiger ses ordonnances, puis imprimer et signer la feuille d’ordonnances déposée au dossier du patient. Cette feuille devrait présenter l’ensemble de la démarche, afin qu’un pharmacien effectuant une validation à la distribution ait à sa disposition l’ensemble de l’information sur les modifications apportées à la pharmacothérapie. Dans le cadre d’un BCM réalisé rétrospectivement, les ordonnances actives du patient devraient pouvoir être importées dans le module de BCM, associées adéquatement aux lignes provenant du DSQ, et les divergences identifiées et documentées dans ce module. Lors du BCM au transfert et au congé, il est absolument nécessaire de pouvoir importer l’information du dossier pharmacologique pour présenter les ordonnances actives en tous les cas.
En prescription électronique, on complexifie le processus. L’ensemble des fonctions exposées au paragraphe précédent doivent être présentes, mais il doit y avoir en plus une capacité de rédiger électroniquement les ordonnances et de les pousser, avec les raisons de divergences documentées, vers le système d’information pharmacie pour être transcrites au dossier pharmacologique et validées. Ceci est essentiel, sans quoi la validation par le pharmacien reposerait entièrement sur la supposition que le prescripteur a effectué correctement la démarche de BCM, ce qui est étrange dans un contexte où cette information serait déjà documentée électroniquement. En absence de cette fonction, le pharmacien devrait consulter Cristal-Net à chaque ordonnance pour valider si celle-ci est conforme à la médication de base du patient ou si une divergence intentionnelle a été enregistrée, ce qui est fastidieux. Par ailleurs, si une fonction de prescription électronique est développée, il serait dommage de la confiner au seul BCM ou aux ordonnances d’admission et à revenir au papier pour le reste. Mais en intégrant la prescription électronique au complet, les implications seraient encore plus grandes…
L’ensemble de ces considérations sous-tendent qu’il doit y avoir une interopérabilité étroite entre Cristal-Net et les systèmes d’information pharmacie. J’ai déjà écrit deux articles sur ce sujet, l’un dans le contexte de prescription électronique et l’autre dans le contexte du déploiement de dossiers électroniques, ou du dossier clinique informatisé. Mon idée centrale est que l’existence de plusieurs banques de données sur les médicaments, qui n’ont pas de base commune, en utilisation concomitante dans le même établissement, est une situation à éviter. D’une part, cela duplique les efforts de maintenance et oblige à maintenir manuellement une synchronisation entre les systèmes, ce qui est une grande perte de temps. D’autre part, les conséquences d’une différence entre les banques pourraient être significatives, on pourrait se retrouver avec des nomenclatures différentes selon le logiciel qu’on consulte, ou à l’existence d’objets dans un système qui n’ont pas d’équivalent dans l’autre. Dans le pire des cas, on pourrait carrément se retrouver avec une banque de données ne supportant pas le fonctionnement local.
Étant donné la situation actuelle où chaque établissement possède sa banque de données hautement personnalisée, la solution à ce problème n’est pas évidente, bien qu’une certaine uniformisation soit en cours. Dans le contexte du BCM dans Cristal-Net, je crois que certaines fonctions doivent être supportées pour que cela se fasse harmonieusement avec les systèmes déjà en place:
- Toute fonction de prescription électronique ou de prescription destinée à être par la suite imprimée et déposée au dossier, doit obtenir son catalogue à partir du système d’information pharmacie local pour assurer une nomenclature correspondant au système qui sera utilisé pour le profil pharmacologique et la FADM.
- En prescription électronique, les ordonnances émises doivent être liées à l’avance (mappées) à des entrées du système d’information pharmacie et poussées à travers une interface, pour que l’étape de transcription soit réellement éliminée, ce qui représente le principal avantage de la prescription électronique. Le système pharmacie doit supporter un affichage restreint de fiches médicament possibles selon la prescription (tel qu’exposé dans cet article).
- Les autres données liés au processus de BCM (notamment les justifications de divergence, les non represcriptions, les médicaments n’ayant pas d’équivalent local, etc.) doivent aussi pouvoir être transmises et être disponibles pour le pharmacien effectuant la validation. En plus, le résultat de la validation doit pouvoir être retourné vers Cristal-Net, encore à travers une interface bidirectionnelle, pour documentation dans le BCM (par exemple, interrogation du pharmacien concernant une divergence, substitution automatique, etc.)
- La correspondance entre les données tirées du DSQ et les données du système pharmacie local doit être assurée à l’aide du développement d’un identifiant médicament global (provincial ?) permettant ce mapping dans le système local. Cela suppose la diffusion par la RAMQ ou le MSSS d’un fichier maître contenant l’ensemble des entrées de la banque de données du DSQ avec l’identifiant associé. Le mapping ne doit pas être 1-à-1, mais bien plusieurs-à-plusieurs, car plusieurs entrées DSQ peuvent aboutir à une fiche locale, ou une fiche DSQ à plusieurs entrées locales.
Je crois que ces quatre principes pourraient permettre un arrimage adéquat entre un module de BCM dans Cristal-Net et les systèmes d’information pharmacie existants, qui minimiserait les risques d’erreurs médicamenteuses liées aux incohérences entre les systèmes. Mais peu importe les choix qui seront faits, cette situation démontre que l’interopérabilité sera un enjeu majeur de l’informatisation à venir, et les pharmaciens doivent être particulièrement à l’affût de cela.