Un sondage sur un système de prescription électronique entre pays d’Europe

Je n’ai pas beaucoup parlé des systèmes de transmission de prescriptions électroniques en milieu communautaire depuis l’étude décrivant le système de gestion des ordonnances électroniques de médicaments du Québec, en 2019.

Un article est paru au début d’avril 2023 dans JMIR à propos d’un système de transmission électronique d’ordonnances en milieu communautaire conçu pour l’échange de prescriptions entre des pays de l’Union européenne. Alors que l’on connaît davantage les systèmes de point à point tels que ceux utilisés aux États-Unis ou au Canada anglais, le système décrit dans cette étude utilise un dépôt centralisé similaire au système du Québec.

La publication rapporte un sondage qui a eu lieu dans les pharmacies communautaires d’Estonie et de Finlande. Les deux pays ont déployé un système de transmission électronique d’ordonnances au début des années 2010. Cependant, dans l’Union européenne, il est permis d’exécuter des prescriptions dans d’autres pays selon des modalités décrites brièvement dans le texte complet de l’article. Le système électronique de l’Estonie a permis d’exécuter des ordonnances finlandaises en 2019, et vice-versa en 2020. En octobre 2022, le système était déployé dans 6 pays et d’autres pays étaient engagés dans le processus. Cependant, l’étude s’est concentrée sur l’Estonie et la Finlande.

Le sondage a été diffusé du 12 avril au 3 mai 2021 et comportait 37 ou 38 questions selon le pays. Le questionnaire a été testé en pilote auprès de 6 pharmacies finlandaises et 7 pharmacies estoniennes.

Le sondage a été envoyé aux 375 pharmacies finlandaises (sur 815) qui ont exécuté au moins une prescription électronique estonienne en 2020, et aux 289 (sur 498) pharmacies estoniennes dans la même situation. 201 questionnaires sont revenus de Finlande, dont 47 ont été exclus car partiellement remplis, et 126 d’Estonie, dont 42 ont été exclus. 154 questionnaires finlandais et 84 questionnaires estoniens ont été analysés. Les répondants étaient principalement des pharmaciens en Estonie (36,9%) et des dispensateurs (techniciens ?) ou aides-pharmaciens en Finlande (591%) . Dans les deux pays, les répondants avaient majoritairement plus de 20 ans d’expérience.

La majorité des pharmacies dispensaient moins d’une prescription venant de l’autre pays par mois (61% en Estonie, 77% en Finlande). La plupart considéraient que la nomenclature des médicaments reçus par le système électronique était adéquate pour leurs besoins (73% en Estonie, 77% en Finlande). 76% des répondants estoniens avaient eu des problèmes avec la disponibilité des médicaments prescrits alors que c’était le cas pour 35% des répondants finlandais. Les problèmes étaient principalement reliés à la non-disponibilité de l’ingrédient actif en Estonie (58%), alors que le problème principal était relié au format du produit en Finlande (19,5%). 61% des répondants estoniens avaient eu des problèmes au niveau de l’ambiguïté des ordonnances, surtout au niveau de la forme pharmaceutique. C’était le cas pour 43% des répondants finlandais, surtout au niveau de la quantité prescrite.

En ce qui a trait aux problèmes techniques, les problèmes étaient généralement au niveau de la connectivité. La discussion de l’article explique comment, dans certains cas, la perte de connexion durant le processus de dispensation pouvait causer la perte de l’ordonnance et l’impossibilité de la récupérer de nouveau. L’opinion sur le système était généralement positive et les répondants affirmaient généralement que leur formation avait été adéquate. Les résultats détaillés dans l’article expliquent comment les utilisateurs ont été formés et quels besoins de formation additionnelle ceux-ci ont identifiés.

Je trouve que cette étude démontre un avantage intéressant d’un système de prescription électronique avec dépôt centralisé par rapport à un système point à point, c’est-à-dire la capacité de récupérer la prescription par n’importe quelle pharmacie, même à l’international. Dans le contexte québécois, évidemment ceci est un enjeu moins prévalent qu’en Europe, mais on pourrait imaginer des échanges interprovinciaux de prescriptions si le Canada anglais avait fait le choix d’un système avec dépôt central plutôt qu’un système point à point.

L’effet d’un dossier électronique intégré sur la prescription par les pharmaciens

Je ne connais pas beaucoup d’études décrivant l’expérience des hôpitaux canadiens dans l’implantation de dossiers électroniques, et encore moins l’effet de ces implantations sur le travail du pharmacien. J’ai donc été agréablement surpris de voir une étude dans le CJHP d’avril 2023, une étude dont l’objectif était de décrire l’effet de l’implantation d’un dossier électronique intégré en Alberta sur les pratiques de prescription des pharmaciens.

L’étude a eu lieu dans un hôpital universitaire affilié à l’Université de l’Alberta. L’Alberta est actuellement en processus de déploiement d’un dossier électronique intégré à l’échelle provinciale. Le logiciel en question a été déployé dans cet établissement en 2019. Les auteurs ont voulu comparer les pratiques de prescription indépendante par les pharmaciens en vertu de leur « additional prescribing authorization » (les détails sont expliqués dans le texte complet de l’article, on comprend qu’il s’agit d’une modalité permettant aux pharmaciens dans les hôpitaux de prescrire de manière indépendante n’importe quel médicament). Les prescriptions faites par les pharmaciens sur papier du 15 au 28 janvier 2019 ont été comparées à celles faites électroniquement du 15 au 28 janvier 2020. Seules les prescriptions indépendantes pour des patients hospitalisés et concernant des médicaments ont été retenues. Notamment, les prescriptions verbales, les prescriptions pour des analyses de laboratoires et pour des interventions non médicamenteuses ont été exclues. Un calcul de taille d’échantillon a été fait pour s’assurer d’inclure suffisamment de prescriptions pour détecter un changement dans les pratiques.

1049 prescriptions ont été incluses dans la période pré et 2522 dans la période post, représentant un taux de 2,23 prescriptions par quart de travail en pré et 5,99 en post. La différence était statistiquement significative avec un intervalle de confiance sur la différence de taux allant de 1,97 à 5,96. La proportion d’ordonnances d’initiation et de modification a diminué entre les périodes pré et post (47% à 28% pour les initiations, 27,3% à 11,8% pour les modifications. Notons cependant que le nombre absolu a quand même augmenté pour les deux), alors que la proportion d’ordonnances de cessation a augmenté (20% à 58%). Les classes les plus ciblées par les pharmaciens en pré étaient les médicaments gastro-intestinaux, les antibiotiques et les vitamines, alors qu’en post il s’agissait des médicaments gastro-intestinaux, des antibiotiques et des médicaments cardiovasculaires. Les pharmaciens de médecine interne et de cardiologie étaient les plus grands prescripteurs à la fois en pré et en post.

Les auteurs affirment que leurs données démontrent que l’implantation du dossier intégré et spécifiquement de la prescription électronique a affecté positivement leur capacité à pratiquer au meilleur de leur capacité. Ils citent la facilité de faire eux-mêmes les prescriptions dans le système, la disponibilité de toute l’information concernant le patient, et le système de messagerie intégré dans le logiciel comme des facilitateurs. Ils notent cependant comme inconvénient qu’il revient parfois aux pharmaciens de corriger des prescriptions erronées faites dans le système par d’autres prescripteurs, en particulier peu de temps après le déploiement. Ils soulignent également que l’augmentation importante du nombre de cessations faites par les pharmaciens pourrait être une conséquence de la manière dont le système génère l’histoire médicamenteuse (le fameux MSTP) à partir des épisodes de soins antérieurs. En effet, ceci résultait en la présence de plusieurs médicaments n’étant pas réellement pris par le patient à domicile, et devant être cessés après la réalisation du bilan comparatif à l’admission.

Cette étude me semble très pertinente pour les pharmaciens. Elle démontre que l’activité de prescription par les pharmaciens se trouve grandement facilitée par l’implantation d’un dossier électronique intégré et que cela semble permettre aux pharmaciens de pratiquer à un niveau plus élevé. Je retiens cependant la nécessité pour les pharmaciens de corriger les erreurs des autres prescripteurs, de même que les erreurs causées par l’automatisation de l’histoire médicamenteuse et du bilan comparatif, comme des éléments à surveiller et à tenter d’éviter lors de l’implantation de ces logiciels.

Étude sur l’effet d’un système de prescription et administration sur les erreurs de médicaments

Une étude parue en mars 2023 dans l’EJHP a retenu mon attention. Comme l’article a été publié dans un journal de pharmacie, on suppose que des pharmaciens font partie des auteurs, mais ce n’est pas clairement mentionné. L’étude a eu lieu dans un hôpital académique du NHS anglais. L’hôpital, au moment de l’étude, utilisait un système papier pour la prescription et l’administration des médicaments, sauf en oncologie. Un système de prescription et d’administration électronique était en cours d’acquisition et les auteurs souhaitaient déterminer la proportion d’événements indésirables liés au médicament qui pourraient être évités grâce à ce système. Je souligne que le système que les auteurs souhaitaient déployer n’était pas un dossier électronique intégré, mais bien un système se concentrant uniquement sur la prescription et l’administration des médicaments.

Les événements indésirables liés au médicament rapportés dans le système de déclaration volontaire de l’hôpital du 1er septembre 2020 au 31 août 2021 (n = 3988) ont été révisés. Les rapports ont été filtrés pour éliminer les doublons et catégorisés selon l’étape du circuit du médicament et le niveau de sévérité. Les événements survenus en ambulatoire et sans conséquence ont été exclus. Ainsi, 387 incidents ont été retenus. Deux réviseurs ont analysé les rapports pour déterminer si le système électronique aurait pu les prévenir. On comprend donc qu’il s’agit d’un exercice théorique et que l’effet du système en pratique réelle n’a pas été évalué. Des discussions avec une équipe d’experts ont eu lieu pour résoudre les désaccords de classification.

La majorité des événements (215, soit 56%) sont survenus à l’étape d’administration, ce qui concorde avec les connaissances générales sur ce sujet. Le type d’événement le plus fréquent était l’omission ou le retard dans l’administration, principalement à cause d’enjeux de communication, de facteurs humains (oublis) ou de manque de personnel. La catégorie suivante était « Autre » (102, soit 26%), suivi de problèmes à la prescription (46, soit 12%) et ensuite d’autres catégories moins fréquentes. La sévérité était mineure dans 321 cas (83%), suivie de modérée dans 64 cas (17%). Deux événements sévères et un catastrophique ont eu lieu.

Les auteurs ont jugé que le système électronique aurait pu prévenir les erreurs dans 72 cas (19%) sans configuration additionnelle du système, et la majorité des incidents dans cette catégorie étaient à l’étape de l’administration. Dans 43 cas (11%), les auteurs ont jugé que le système aurait pu prévenir l’erreur, mais uniquement avec du développement additionnel. Dans les cas où le système n’aurait pas prévenu l’erreur selon les auteurs, la cause était la plupart du temps une mauvaise communication, des distractions ou le manque de personnel. De même, certaines erreurs d’oubli de prescription et de dose incorrecte n’auraient pas pu être prévenues par le système selon les auteurs.

Je trouve cette étude très intéressante car elle amène des données sur l’effet potentiel d’un système de prescription et d’administration de médicaments nouvellement implanté dans un centre utilisant un système papier. Ceci ressemble beaucoup à ce qui se passe actuellement au Québec, quoique le Dossier de santé numérique pourrait changer la donne en amenant un système intégré chez nous.

Malheureusement, l’étude reposait sur un exercice théorique, et on sait que l’effet réel de tels systèmes sur les erreurs est souvent moins grand qu’anticipé, d’une part parce que le système peut entraîner de nouvelles erreurs, en particulier durant la phase d’implantation où les utilisateurs du système sont en apprentissage, et d’autre part parce que le système facilite la détection d’erreurs qui n’étaient pas nécessairement rapportées dans un système de déclaration volontaire sur papier.