Étude sur l’effet d’un système de prescription et administration sur les erreurs de médicaments

Une étude parue en mars 2023 dans l’EJHP a retenu mon attention. Comme l’article a été publié dans un journal de pharmacie, on suppose que des pharmaciens font partie des auteurs, mais ce n’est pas clairement mentionné. L’étude a eu lieu dans un hôpital académique du NHS anglais. L’hôpital, au moment de l’étude, utilisait un système papier pour la prescription et l’administration des médicaments, sauf en oncologie. Un système de prescription et d’administration électronique était en cours d’acquisition et les auteurs souhaitaient déterminer la proportion d’événements indésirables liés au médicament qui pourraient être évités grâce à ce système. Je souligne que le système que les auteurs souhaitaient déployer n’était pas un dossier électronique intégré, mais bien un système se concentrant uniquement sur la prescription et l’administration des médicaments.

Les événements indésirables liés au médicament rapportés dans le système de déclaration volontaire de l’hôpital du 1er septembre 2020 au 31 août 2021 (n = 3988) ont été révisés. Les rapports ont été filtrés pour éliminer les doublons et catégorisés selon l’étape du circuit du médicament et le niveau de sévérité. Les événements survenus en ambulatoire et sans conséquence ont été exclus. Ainsi, 387 incidents ont été retenus. Deux réviseurs ont analysé les rapports pour déterminer si le système électronique aurait pu les prévenir. On comprend donc qu’il s’agit d’un exercice théorique et que l’effet du système en pratique réelle n’a pas été évalué. Des discussions avec une équipe d’experts ont eu lieu pour résoudre les désaccords de classification.

La majorité des événements (215, soit 56%) sont survenus à l’étape d’administration, ce qui concorde avec les connaissances générales sur ce sujet. Le type d’événement le plus fréquent était l’omission ou le retard dans l’administration, principalement à cause d’enjeux de communication, de facteurs humains (oublis) ou de manque de personnel. La catégorie suivante était « Autre » (102, soit 26%), suivi de problèmes à la prescription (46, soit 12%) et ensuite d’autres catégories moins fréquentes. La sévérité était mineure dans 321 cas (83%), suivie de modérée dans 64 cas (17%). Deux événements sévères et un catastrophique ont eu lieu.

Les auteurs ont jugé que le système électronique aurait pu prévenir les erreurs dans 72 cas (19%) sans configuration additionnelle du système, et la majorité des incidents dans cette catégorie étaient à l’étape de l’administration. Dans 43 cas (11%), les auteurs ont jugé que le système aurait pu prévenir l’erreur, mais uniquement avec du développement additionnel. Dans les cas où le système n’aurait pas prévenu l’erreur selon les auteurs, la cause était la plupart du temps une mauvaise communication, des distractions ou le manque de personnel. De même, certaines erreurs d’oubli de prescription et de dose incorrecte n’auraient pas pu être prévenues par le système selon les auteurs.

Je trouve cette étude très intéressante car elle amène des données sur l’effet potentiel d’un système de prescription et d’administration de médicaments nouvellement implanté dans un centre utilisant un système papier. Ceci ressemble beaucoup à ce qui se passe actuellement au Québec, quoique le Dossier de santé numérique pourrait changer la donne en amenant un système intégré chez nous.

Malheureusement, l’étude reposait sur un exercice théorique, et on sait que l’effet réel de tels systèmes sur les erreurs est souvent moins grand qu’anticipé, d’une part parce que le système peut entraîner de nouvelles erreurs, en particulier durant la phase d’implantation où les utilisateurs du système sont en apprentissage, et d’autre part parce que le système facilite la détection d’erreurs qui n’étaient pas nécessairement rapportées dans un système de déclaration volontaire sur papier.

Données 2020 sur la dispensation et l’administration des médicaments dans les hôpitaux américains

L’édition 2020 du sondage de l’ASHP portait sur la dispensation et l’administration des médicaments. Je parlerai ici uniquement des aspects liés aux technologies de ces deux éléments. La méthode de sondage utilisée est presque toujours la même et est décrite dans l’article. Il s’agit essentiellement d’un questionnaire standardisé où un échantillon d’hôpitaux conçu pour être représentatif est invité à répondre.

1437 hôpitaux ont été invités à répondre, dont 300 de moins de 50 lits et tous (137) les hôpitaux de plus de 600 lits. 269 départements de pharmacie ont répondu pour un taux de réponse de 19%.

43% des hôpitaux répondants avaient une pharmacie ouverte 24 heures par jour (similaire à 43% en 2017). 30% des hôpitaux avaient plutôt recours à une entreprise externe offrant des services de validation 24 heures, comparativement à 21% en 2017. 5% des hôpitaux avaient recours à un pharmacien sur appel ou à distance, et 15% à un hôpital affilié pour valider à distance. Dans 8% des hôpitaux, il n’y avait pas de vérification d’ordonnances la nuit, principalement des petits hôpitaux.

4% des hôpitaux utilisaient un robot de dispensation (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 75% des hôpitaux utilisaient les cabinets comme mode de dispensation principal pour les doses d’entretien des médicaments, comparativement à 70% en 2017. La dispensation unitaire préparée manuellement (comme on la pratique dans la plupart des hôpitaux du Québec), ne représentant plus que 20% des hôpitaux américains.

66% des hôpitaux utilisent le code-barres à la dispensation à la pharmacie, dont 94% des hôpitaux de plus de 600 lits. 81% des hôpitaux utilisaient le code-barre comme vérification au restockage des cabinets. 21% des hôpitaux utilisaient un logiciel d’assistance aux préparations stériles (66% des hôpitaux de plus de 600 lits); 33% des hôpitaux scannent les code-barres des ingrédients des préparations, 25% prennent des photos ou vidéos, et 5% utilisent la gravimétrie (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 3% des hôpitaux utilisaient un robot de préparation stérile, dont 1.6% pour la chimiothérapie.

88% des hôpitaux utilisent des pompes intelligentes, 13% permettent la programmation des pompes automatiquement à partir du logiciel de dossier électronique ou de la FADM électronique, et 15% récupèrent les données des pompes pour alimenter les données du dossier électronique (ex: bilan ingesta/excreta).

Ce sondage démontre définitivement une progression des technologies de dispensation et de sécurisation du circuit du médicament, vers la cible d’un circuit en boucle fermée. Le service des médicaments en cassettes préparées manuellement aux 24 heures est en déclin pour être remplacé par la dispensation via les cabinets ou les robots de préparation pour les très gros hôpitaux. Ce sera intéressant de suivre cette tendance au Québec dans les prochaines années.

Étude temps-mouvement sur l’effet de la prescription et de l’administration électronique sur les activités des pharmaciens

En novembre 2015, je vous parlais d’un protocole d’étude sur l’effet de l’implantation d’un système électronique de prescription et d’administration des médicaments, sur les activités des pharmaciens, qui me semblait intéressant. Les résultats ont été publiés en mars et sont disponibles en texte complet sur PubMed Central.

L’étude avait un devis pré-post et comportait un volet quantitatif ainsi qu’un volet qualitatif. 8 pharmaciens travaillant sur deux unités de soins, l’une de soins aigus et l’autre de soins aux personnes âgées, ont été inclus. La méthodologie du volet quantitatif consistait en l’observation directe des pharmaciens pendant des périodes de temps définies avec une mesure échantillonnée de la répartition du temps passés à leurs diverses activités cliniques. La collecte pré a eu lieu en janvier 2016 et la collecte post en juin 2016, alors que le déploiement du système était en mars 2016. Pour la partie qualitative, des entrevues semi-structurées ont été menées en mai 2016, et avaient comme sujet les activités cliniques des pharmaciens, les interactions avec les patients et les professionnels, la localisation où leur travail avait lieu, et les erreurs médicamenteuses.

7 des 8 pharmaciens ont pu être observés. Les activités prenant le plus de temps étaient la communication professionnelle, la vérification des médicaments des patients et la vérification des ordonnances de départ, et la proportion de temps passée à ces activités n’a pas changé avec la mise en place du système électronique. Les deux activités ayant vu leur durée significativement modifiée après la mise en place du système était le temps passé à chercher des dossiers, qui a diminué de 2 minutes par 10 patients, et le temps passé à vérifier les médicaments des patients, qui a augmenté de 16 minutes par 10 patients. La proportion de temps passé en interaction directe avec les patients a significativement baissé de 5,1% à 1,6% (p=0,03).

À l’analyse qualitative, les thèmes abordés étaient les suivants:

  • Les pharmaciens étaient souvent appelés à entrer des ordonnances dans le système à la place des médecins, et aussi à répondre aux questions d’autres professionnels sur le fonctionnement du système.
  • Les ordinateurs étaient en nombre insuffisant pour que les pharmaciens puissent avoir un accès facile au dossier.
  • Les pharmaciens percevaient l’impact sur le temps passé en interaction avec les patients et l’augmentation du temps nécessaire à la vérification des médicaments pris par les patients, confirmant les observations quantitatives.

Parmi les impacts perçus au niveau de la sécurité des soins, on note:

  • Des choix inadéquats encouragés par le système, par exemple choisir le premier médicament dans une liste déroulante alors que ce n’est pas le bon.
  • Des choix par défaut inadéquats, comme un antibiotique 2 fois par jour débutant à 22 h car il a été prescrit après 10h.
  • Plusieurs points sur des éléments plus ou moins visibles qu’avec les dossiers papiers.

Les deux premiers points sont des enjeux de fonctionnalité ou de configuration du système, ce sont des problèmes déjà bien décrits. Je ne sais pas quoi penser des points sur la visibilité de l’information, car ils sont largement dépendants de l’apparence des dossiers papiers et des choix de design du système électronique; j’ai l’impression que ça pourrait aller dans tous les sens dans d’autres hôpitaux.

Bref, c’est une étude très intéressante qui décrit très bien à quoi les pharmaciens peuvent s’attendre lorsqu’on implante un système électronique de prescription et d’administration des médicaments.