L’importance de la cessation d’ordonnances électroniques en milieu communautaire

On a souvent tendance à vouloir s’inspirer de l’informatisation des soins de santé aux États-Unis pour déterminer comment faire les choses chez nous. Pourtant, on commence à voir assez clairement que les façons de faire américaines peuvent être difficiles à exporter aux pays où les systèmes de santé fonctionnent différemment. Dans le contexte de la prescription électronique en milieu communautaire, le système américain (et à ma connaissance le système du Canada anglais) fonctionne en « point à point », c’est-à-dire que les ordonnances sont transmises d’un prescripteur directement à une pharmacie, ce qui s’inscrit assez bien dans la structure du système de santé américain. Au Québec, ce genre de fonctionnement pourrait porter atteinte à la liberté d’un patient de choisir son pharmacien. Le SGOEM, malgré ses défauts, fonctionne comme une « centrale » permettant de rendre les ordonnances disponibles à n’importe quelle pharmacie et évite qu’un patient soit obligé de faire affaire avec une pharmacie où une ordonnance aurait été transmise directement. Le projet Prescription-Québec visant à moderniser tout ce circuit inclut le concept de transmission centralisée.

Un élément crucial de la transmission d’ordonnances, et qui pourtant semble avoir été longtemps oublié dans le modèle américain, est celui de la cessation. Je vous parle aujourd’hui de trois publications décrivant la mise en place d’une fonctionnalité de cessation des ordonnances, implantée tardivement aux États-Unis après que l’absence de capacité de cesser une ordonnance en prescription électronique ait causé bien des problèmes. En contraste, dans les logiciels destinés aux hôpitaux, la capacité de cessation d’une ordonnance fait partie des fonctionnalités de base est n’est pas particulièrement problématique.

Le premier article, paru dans JAMA Internal Medicine en 2021 et accompagné d’un éditorial, décrit comment la cessation d’une ordonnance en milieu communautaire doit avoir lieu par téléphone ou fax, malgré la capacité de prescrire électroniquement, parce que les systèmes destinés au milieu communautaire ne prennent pas bien en charge la cessation électronique. Le cas d’une patiente ayant dû être hospitalisée en raison d’une toxicité à la phénytoine, que son médecin croyait avoir cessé, est présenté. La cessation a été faite dans le dossier électronique du médecin mais n’a jamais été transmise à la pharmacie puisque le système ne prenait pas cette transmission en charge. L’article et l’éditorial discutent des enjeux techniques et de processus découlant de ce cas.

Le deuxième article, paru en février 2022, décrit une étude réalisé dans une institution universitaire américaine afin de comparer le nombre de médicaments cessés dans le dossier électronique de l’institution par rapport à ceux cessés à la pharmacie communautaire du patient, spécifiquement pour les substances contrôlées. L’étude a été réalisée de manière pré-post; l’implantation de la fonctionnalité de cessation ayant eu lieu assez tôt en octobre 2017 à cette institution. 12 mois de données ont été compilées avant et après l’implantation, en laissant 4 semaines entre les phases.

18 969 prescriptions de substances contrôlées ont été cessées avant l’implantation comparativement à 30 160 en post. Les auteurs ont utilisé une technique de modélisation pour les séries temporelles interrompues afin d’isoler l’effet de la fonctionnalité de cessation, et ont démontré une augmentation statistiquement significative de 78% des cessations transmises correctement immédiatement après l’implantation de la fonctionnalité.

Enfin, la troisième publication, parue en septembre 2022, avait pour objectif de comparer le nombre de médicaments cessés dans le dossier électronique d’une clinique d’une institution universitaire américaine, mais encore dispensés par les pharmacies, avant et après l’implantation de la fonctionnalité de cessation qui a eu lieu de 2018 à 2019. Les 3 mois avant le début de l’implantation ont été comparés aux 3 mois après, ces deux périodes était donc séparées d’un an.

Avant l’implantation, 10,7% des prescriptions cessées dans le dossier électronique ont été dispensées, alors qu’après, aucune prescription cessée n’a été dispensée.

Je crois que ces données démontrent qu’en milieu communautaire, les fonctionnalités de transmission électroniques d’ordonnances doivent s’accompagner de la capacité de cesser une ordonnance active.

Un outil de documentation permettant le suivi des interventions pharmaceutiques en ambulatoire

Cet article décrit la mise en place d’un suivi des interventions de pharmaciens en clinique ambulatoire par des indicateurs alimentés à partir de la documentation électronique. L’étude a eu lieu dans une organisation de santé américaine située au Wisconsin. L’objectif initial des auteurs était de standardiser les indicateurs utilisés pour décrire le travail des pharmaciens en ambulatoire à travers leur organisation et évaluer leur impact.

Trois cliniques ambulatoires ont été sélectionnées pour une phase pilote. Les pharmaciens de ces cliniques utilisaient au départ des indicateurs différents malgré des responsabilités similaires. La documentation était surtout manuelle. Afin de définir les indicateurs standardisés qui seraient mis en place, une revue de littérature de même que des réunions ont été effectuées; les indicateurs ont été établis dans trois catégories: issues cliniques, remboursement des interventions (attention à la définition de ce terme dans le contexte américain) et satisfaction des patients. Un calcul de l’impact financier a aussi été effectué à partir de valeurs rapportées dans la littérature, mais je trouve ce calcul un peu simpliste.

Pour calculer les indicateurs, un outil de documentation a été mis en place dans le dossier électronique de l’organisation, avec les codes d’intervention suivants:

  • Ajout de médicament
  • Détection d’effet indésirable
  • Détection ou clarification d’allergie
  • Arrêt d’un médicament
  • Changement de dose
  • Changement de forme
  • Changement de médicament
  • Information sur les médicaments ou consultation
  • Réconciliation médicamenteuse
  • Éducation au patient

L’outil avait aussi des fonctions permettant d’assurer le suivi des interventions de visite en visite et la consultation de ces notes par les médecins et les autres intervenants. Un rapport permettant d’effectuer un suivi tabulé de ces interventions a aussi été mis en place. En ce qui a trait à la satisfaction des patients, un questionnaire a été utilisé.

L’étude a inclus toutes les interventions réalisés avec ce système dans les 3 cliniques pilotes du 17 novembre 2014 au 8 février 2015, avec un audit de la qualité de la documentation aux 2 semaines.

764 interventions ont été acceptées durant la période de l’étude, représentant 24 interventions par équivalent temps plein pharmacien par semaine. Le calcul de coût a estimé une réduction de dépenses de 40 000 $ liée aux interventions des pharmaciens durant l’étude. 52 questionnaires de satisfaction des patients ont été remplis et ceux-ci montré une réaction très positive, avec une absence complète de notes ou de commentaires négatifs.

Les pharmaciens ont pour leur part noté que le temps requis pour la documentation avec l’outil électronique était circonscrit et que le processus était globalement avantageux.

Je trouve cette étude intéressante car elle démontre bien l’utilité de la documentation intégrée au dossier électronique pour obtenir des indicateurs standardisés. La documentation manuelle ou parallèle étant une charge de travail supplémentaire, celle-ci tend à être effectuée de manière sommaire ou en différé par rapport aux interventions, ce qui peut affecter la qualité des données. Un processus intégré au flot de travail et au maximum automatisé permet au contraire de capturer des données plus intéressantes.