Deux articles récents, l’un paru en juin 2021 et l’autre en février 2022, tous deux d’auteurs danois, discutent de la fiabilité des listes de médicaments obtenues à partir d’un système national du Danemark similaire à notre DSQ. Je vous donne tout de suite la conclusion: les patients ont tendance à prendre leurs médicaments différemment de ce qui est écrit dans ce type de registre, exactement comme au Québec. Je ne pense pas que cette constatation est une surprise pour la plupart des gens qui réalisent régulièrement des bilans comparatifs des médicaments à l’admission. Malgré tout, en pratique je constate quand même encore plusieurs cliniciens qui prescrivent la liste du DSQ à l’admission d’un patient sans trop se questionner et qui sont surpris que celle-ci ne représente pas toujours la réalité.
Premier article – causes des divergences
Le premier article avait pour objectif de déterminer les causes des divergences entre le registre national et la prise réelle des patients. Les patients de 50 ans et plus, admis sur l’une de trois unités de soins d’un hôpital danois entre décembre 2019 et février 2020, étaient éligibles. Les patients inclus étaient vus par un pharmacien pour réaliser une histoire médicamenteuse exhaustive afin de déterminer la prise réelle. En cas d’impossibilité de réaliser l’entrevue avec le patient lui-même, le pharmacien consultait les proches de la personne ou les professionnels en charge des médicaments de la personne (dans le cas d’un patient hébergé, par exemple). La prise réelle était comparée avec le registre, puis le pharmacien tentait d’établir la cause de cette divergence selon des types prédéterminés.
260 patients ont été inclus, 60% de femmes, agé(e)s en moyenne de 76 ans, prenant en médiane 12 médicaments selon le registre mais 10 en réalité, avec une médiane de 3 divergences par patient. Seulement 12% des patients n’avaient aucune divergence; le nombre le plus élevé était 25. La majorité des divergences étaient des médicaments listés au registre mais non pris, soit 56% des cas. 11% des médicaments listés et non pris étaient des duplications thérapeutiques. Les autres types étaient pour 13% des différences de doses, 11% des médicaments manquants, et 11% un médicament PRN pris régulièrement (et 2% le contraire).
Dans 53% des cas, les auteurs ont jugé que la divergence était le résultant du système de santé, le processus cliniques ayant mené à l’inscription d’information erronée au registre, alors que dans 32% des cas, c’était plutôt le patient lui-même qui étaient à la source de la divergence, en prenant le médicament différemment de la prescription de manière intentionnelle ou non. Dans le cas des erreurs causées par le système de santé, la manifestation la plus fréquente de la divergence était un médicament listé et non pris ou vice-versa, en raison d’une prescription non communiquée ou mal communiquée ou patient, ou d’une cessation accidentelle; alors que pour les divergences causées par le patient, la manifestation la plus fréquente était une prise à posologie différente de celle inscrite au registre, soit en raison d’une décision du patient lui-même ou d’une mauvaise compréhension. Les médicaments avec le plus de problèmes étaient ceux du système nerveux central, notamment les analgésiques, sédatifs et antidépresseurs. Les divergences étaient aussi fréquentes pour les médicaments du système digestif.
Deuxième article – prévalence des divergences à l’urgence
Toujours au Danemark, dans cet article, les auteurs avaient pour objectif de déterminer la prévalence de divergences entre le registre national et la prise réelle chez les patients vus à l’urgence, d’identifier les facteurs associés à ces divergences et de quantifier la charge de travail pour un pharmacien clinicien liée à la résolution des divergences.
Les patients de 18 ans et plus vus à l’urgence durant trois journées de juin 2020 étaient éligibles. Des pharmaciens cliniciens ont réalisé une histoire médicamenteuse avec les patients et analysé les divergences. 117 patients étaient éligibles; 17 ont été exclus en raison de l’absence de médicaments pris à domicile pour 11 et d’autres raisons pour les autres. L’âge médian des patients inclus était de 66.5 ans et 52% étaient des hommes. Le nombre médian de médicaments était de 6 médicaments réguliers et 2 au besoin.
840 médicaments ont été évalués au total et 240 divergences ont été identifiées, 81% des patients avaient au moins 1 divergence et le nombre médian de divergences par patient était de 2. Le type le plus fréquent était qu’un médicament était listé au registre mais non pris par le patient, dans 65% des cas. Dans 15%, la posologie était différente et l’ordonnance était manquante au registre dans 12% des cas. Les classes les plus fréquemment impliquées étaient les médicaments du système digestif et du système nerveux central.
Les facteurs liés à la présence de divergence étaient l’âge (les patients les plus âgés tendaient à avoir moins de divergences), le délai depuis la dernière mise à jour du registre (un délai plus long augmente le risque de divergences), et l’utilisation d’assistance à la dispensation (soins à domicile, hébergement, etc.; la présence d’assistance réduisait le risque de divergence).
Je trouve ces deux articles intéressants car ils démontrent bien que les différences fréquemment observées entre les listes de médicaments obtenues du DSQ et la prise réelle des patients ne sont pas des problèmes spécifiques au DSQ ni uniques au Québec, elles découlent plutôt de la complexité des processus de soins et du fait qu’en bout de ligne, le patient peut mal comprendre les instructions qui lui sont données ou décider par lui-même de prendre un médicament différemment de ce qui a été prescrit. La seule solution à ce problème est de confirmer la prise réelle en personne avec le patient.