Revue Cochrane sur la prévention des erreurs médicamenteuses en milieu hospitalier chez les adultes

Une revue Cochrane a été publiée récemment, avec l’objectif d’identifier les stratégies démontrées efficaces pour prévenir les erreurs médicamenteuses en contexte hospitalier chez les adultes. La publication originale remonte à un an, cependant le texte complet est devenu accessible gratuitement sur PubMed Central en novembre 2022.

La méthodologie Cochrane a été suivie. Une stratégie de recherche systématique dans plusieurs services d’indexation a été utilisée, incluant les études randomisées contrôlées ou quasi-randomisées, les études quasi-expérimentales de type série temporelle interrompue (avec au moins 3 points de données avant et après l’intervention) et les études contrôlées pré-post avec plus d’un site intervention ou contrôle. Les études devaient avoir lieu dans un hôpital, incluant le milieu hospitalisé, ambulatoire ou à l’urgence. Les patients étudiés devaient être des adultes. Les centres de soins de longue durée ou les institutions gériatriques, psychiatriques ou pédiatriques étaient exclus. Les études devaient évaluer l’effet d’une intervention sur les erreurs de médicaments en comparaison à aucune intervention, une autre intervention, ou aux soins usuels. Les autres issues évaluées étaient les événements indésirables liés aux médicaments et les issues cliniques (mortalité, morbidité, durée de séjour, etc.).

21 545 titres et abstracts ont été évalués, résultant en 1066 publications en texte complet éligibles. De celles-ci 65 études ont rencontré les critères d’inclusion de même que 4 publications secondaires. 51 étaient des études randomisées contrôlées, 7 séries temporelles interrompues, 1 série temporelle interrompue avec contrôle et 6 études pré-post. Ceci représentait un total de 110 875 patients dont 23 182 dans les études randomisées contrôlées. 61 études étaient dans des pays développés dont les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni entre autres. Les détails des évaluations de biais sont listés dans le texte complet.

Les stratégies ressortant de l’analyse des études pour réduire les erreurs sont: le bilan comparatif des médicaments, la prescription électronique avec aide à la décision, l’identification par code-barres des personnes et des médicaments, la rétroaction sur les erreurs de prescription et les systèmes de dispensation.

Les résultats de l’étude sont rapportés de manière un peu étrange. Plusieurs résultats sont présentés alors que les intervalles de confiance les accompagnant incluent et dépassent largement les valeurs nulles (ex: 1 pour un odds-ratio). Je n’ai pas trouvé d’explication satisfaisante pour cela dans l’article. J’ai choisi de présenter uniquement les résultats où l’intervalle de confiance n’incluait pas la valeur nulle ci-dessous, mais le texte complet de l’article détaille bien chaque résultat. On peut résumer les résultats de l’étude ainsi:

  • Pour le bilan comparatif des médicaments:
    • Selon un faible niveau de preuve, le bilan comparatif des médicaments, par rapport à aucun bilan comparatif réduit probablement les événements indésirables (OR 0.38, intervalle de confiance 95% 0,18-0,80).
    • Selon un faible niveau de preuve, le bilan comparatif réalisé par des pharmaciens, par rapport au bilan réalisé par d’autres professionnels que les pharmaciens, pourrait réduire les erreurs (OR 0,21, intervalle de confiance 95% 0,09-0,48)
    • Selon un faible niveau de preuve, le bilan comparatif des médicaments appuyé par un référentiel (« database-assisted medication reconciliation », je comprends à la lecture du texte qu’on parle de l’utilisation d’une source telle que le DSQ dans un processus de bilan comparatif), pourrait réduire les événements indésirables (OR 0,26, intervalle de confiance 95% 0,1-0,64)
    • Selon un niveau de preuve modéré, les interventions multimodales (changements dans l’organisation des soins, stratégies concertées pour implanter la réconciliation des divergences identifiées au bilan) permettent probablement de résoudre davantage les divergences médicamenteuses par rapport à la pratique usuelle (RR 2,14, intervalle de confiance 95% 1,81-2,53)
  • Pour la prescription électronique et l’aide à la décision:
    • Selon un niveau de preuve modéré, la prescription électronique combinée à l’aide à la décision optimisée, par rapport à la prescription électronique avec aide à la décision standard, réduit probablement les erreurs (OR 0,95, intervalle de confiance 95% 0,74-0,97)
    • Selon un niveau de preuve faible, l’aide à la décision avec priorisation des alertes comparativement à l’aide à la décision sans priorisation des alertes (avec alertes inutiles) pourrait prévenir les événements indésirables (différence moyenne 1,98, intervalle de confiance 95% 1,65-2,31).
  • Pour le code-barres:
    • Selon un niveau de preuve faible, l’utilisation de code-barres pour identifier les médicaments et les intervenants (personnel, patients) pourrait réduire les erreurs (OR 0,69, intervalle de confiance 95% 0,59-0,79).
  • Pour la rétroaction:
    • Selon un niveau de preuve faible, la rétroaction sur les erreurs de prescription pourrait réduire les erreurs (OR 0,47, intervalle de confiance 95% 0,33-0,67).
  • Pour les systèmes de dispensation:
    • Selon un niveau de preuve faible, les systèmes de dispensation sur les unités chirurgicales (on parle de cabinets automatisés dans les études incluses) pourraient réduire les erreurs (OR 0,61, intervalle de confiance 95% 0,47-0,79).

L’article inclut dans sa discussion une présentation des autres revues systématiques sur la prévention des erreurs médicamenteuses en milieu hospitalier et sur les effets de la prescription électronique, j’encourage ceux que ces sujets intéressent à lire cette section.

Je trouve que cette publication est très pertinente et permet de synthétiser du mieux qu’elle peut une littérature volumineuse, hétérogène et difficile à suivre, en particulier celle sur la prescription électronique et l’aide à la décision. Évidemment, l’hétérogénéité de la littérature se manifeste dans l’incertitude des résultats présentés. De plus, les auteurs semblent avoir voulu rester à haut niveau dans leur description des processus et des technologies, et il peut être parfois difficile de comprendre ce à quoi ils réfèrent exactement. Par exemple, je n’arrive pas à être certain de ce qu’ils veulent dire par « prescription électronique avec aide à la décision optimisée » par rapport à « standard ».

Malgré ces failles, je pense qu’on peut retenir que les interventions présentées sont celles que l’on doit privilégier pour espérer agir sur les erreurs médicamenteuses. Pour les interventions technologiques comme la prescription électronique, l’aide à la décision, les code-barres et les cabinets, je répète cependant que le simple déploiement n’est pas suffisant pour retirer des bénéfices, il faut que la mise en place de la technologie ait été réfléchie et arrimée aux processus cliniques et aux autres technologies en place. Dans la cadre du médicament, le circuit « en boucle fermée » devrait réfléchi comme un tout, intégré et interfacé de bout en bout.

Les aspects technos du rapport canadien sur la pharmacie hospitalière 2020-2021

Le volet québécois du rapport canadien sur la pharmacie hospitalière a été publié dans le Pharmactuel récemment. J’ai parlé en 2018 de la dernière édition de ce rapport qui couvrait les années 2016 et 2017. Le rapport a aussi fait l’objet d’un épisode de Trait Pharmacien qui vaut la peine d’être écouté. Comme à l’habitude, je me concentrerai ici uniquement sur les aspects de technologie contenus dans ce rapport, cependant celui-ci contient bien plus de données que ce dont je parle.

Au total, 144 réponses ont été reçues au Canada dont 36 (25%) du Québec. L’Alberta n’a pas répondu à l’enquête. Au Québec, des données ont été fournies par 23 des 26 chefs de département pour au moins une installation, résultant en 56 des 73 (77%) installations d’au moins 50 lits au Québec qui sont représentées dans le sondage.

Au niveau de la distribution des médicaments, tous les répondants du Québec (100%) utilisent un système de distribution unitaire centralisée couvrant en moyenne 87% des lits de courte durée, une donnée similaire à ce qu’elle était en 2016-2017, comparativement à 77% des répondants au Canada couvrant 71% des lits de courte durée. En ce qui a trait à la distribution à partir de cabinets, 47% des répondants du Québec utilisent ce système pour couvrir en moyenne 20% des lits, encore une fois de manière stable par rapport à 2016-2017, comparativement à 62% des répondants canadiens couvrant 56% des lits. Il n’est malheureusement pas clair si on parle de l’utilisation de ces systèmes en premier recours pour la distribution des doses d’entretien, comme c’est la tendance aux États-Unis, ou simplement de l’existence de ces systèmes en complément à la distribution unitaire. D’expérience, j’ai bien l’impression qu’il s’agit de la deuxième option. 97% des répondants au Québec ont des cabinets présents dans leur établissement, comparativement à 89% au Canada. 6/36 (17%) au Québec ont recours à un robot de préparation pour les doses unitaires comparativement à 28/142 (20%) au Canada.

Pour les aspects d’informatisation clinique à proprement parler, on note les faits suivants:

  • 9% (3/36) des répondants au Québec affirment disposer d’un prescripteur électronique (égal à 2016-2017), contre 19% au Canada, dont 1 au Québec (33%) qui ne dispose pas d’interface avec le SIP et demande de la transcription, alors que 3 au Canada (11%) sont dans cette situation.
  • 83% des répondants au Québec ont recours à des pompes intelligentes (vs 77% en 2016-2017) comparativement à 93% au Canada.
  • 77% des répondants au Québec vérifient les doses distribuées par code-barres (vs 58% en 2016-2017), comparativement à 36% au Canada. En contraste, aucun établissement au Québec ne rapporte d’utilisation du code-barres au moment de l’administration, alors que ce pourcentage varie entre 6 et 14% au Canda dépendamment de l’aspect concerné (identité du patient, du personnel ou du produit). 1 (3%) répondant au Québec affirme utiliser le code-barres pour programmer les pompes intelligentes avec des données du patient ou des médicaments, comparativement à 4 (3%) au Canada.
  • Au Québec, 94% des répondants (tous sauf 2) ont recours à une FADM papier produite à partir du SIP, alors que c’est le cas pour 61% des répondants au Canada, où 25% utilisent une FADM électronique et 14% une FADM entièrement manuelle. 2 répondants au Québec affirment utiliser une FADM électronique.

Le rapport comporte, aux pages 202 à 208, toute une section décrivant l’état de différents aspects de l’utilisation des technologies dans les établissements de santé et les départements de pharmacie. On note des sections sur:

  • Le niveau d’informatisation des établissements
  • Le DSQ
  • Le Carnet Santé Québec
  • La gouvernance de l’informatisation clinique
  • Prescription Québec
  • Le projet de Dossier Santé Numérique
  • Le développement de l’informatique clinique en pharmacie
  • Les lacs de données (et leur utilisation des données de pharmacie)
  • La gestion des équipements et différentes modalités d’utilisation de l’informatique comme l’infonuagique

Je retiens que l’informatisation clinique est un sujet d’actualité et les projets sont nombreux. Bien que les résultats concrets tardent à se manifester au niveau du circuit du médicament en établissement (les indicateurs n’ont pas beaucoup bougé depuis la dernière enquête, la pandémie de COVID-19 y étant surement pour quelque chose), l’intérêt pour l’informatisation et grands et plusieurs projets en cours dans plusieurs établissements cours font en sorte qu’on doit être très proactifs et vigilants sur ce sujet. J’espère que la prochaine édition du rapport montrera une évolution favorable dans ce domaine.

Données 2020 sur la dispensation et l’administration des médicaments dans les hôpitaux américains

L’édition 2020 du sondage de l’ASHP portait sur la dispensation et l’administration des médicaments. Je parlerai ici uniquement des aspects liés aux technologies de ces deux éléments. La méthode de sondage utilisée est presque toujours la même et est décrite dans l’article. Il s’agit essentiellement d’un questionnaire standardisé où un échantillon d’hôpitaux conçu pour être représentatif est invité à répondre.

1437 hôpitaux ont été invités à répondre, dont 300 de moins de 50 lits et tous (137) les hôpitaux de plus de 600 lits. 269 départements de pharmacie ont répondu pour un taux de réponse de 19%.

43% des hôpitaux répondants avaient une pharmacie ouverte 24 heures par jour (similaire à 43% en 2017). 30% des hôpitaux avaient plutôt recours à une entreprise externe offrant des services de validation 24 heures, comparativement à 21% en 2017. 5% des hôpitaux avaient recours à un pharmacien sur appel ou à distance, et 15% à un hôpital affilié pour valider à distance. Dans 8% des hôpitaux, il n’y avait pas de vérification d’ordonnances la nuit, principalement des petits hôpitaux.

4% des hôpitaux utilisaient un robot de dispensation (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 75% des hôpitaux utilisaient les cabinets comme mode de dispensation principal pour les doses d’entretien des médicaments, comparativement à 70% en 2017. La dispensation unitaire préparée manuellement (comme on la pratique dans la plupart des hôpitaux du Québec), ne représentant plus que 20% des hôpitaux américains.

66% des hôpitaux utilisent le code-barres à la dispensation à la pharmacie, dont 94% des hôpitaux de plus de 600 lits. 81% des hôpitaux utilisaient le code-barre comme vérification au restockage des cabinets. 21% des hôpitaux utilisaient un logiciel d’assistance aux préparations stériles (66% des hôpitaux de plus de 600 lits); 33% des hôpitaux scannent les code-barres des ingrédients des préparations, 25% prennent des photos ou vidéos, et 5% utilisent la gravimétrie (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 3% des hôpitaux utilisaient un robot de préparation stérile, dont 1.6% pour la chimiothérapie.

88% des hôpitaux utilisent des pompes intelligentes, 13% permettent la programmation des pompes automatiquement à partir du logiciel de dossier électronique ou de la FADM électronique, et 15% récupèrent les données des pompes pour alimenter les données du dossier électronique (ex: bilan ingesta/excreta).

Ce sondage démontre définitivement une progression des technologies de dispensation et de sécurisation du circuit du médicament, vers la cible d’un circuit en boucle fermée. Le service des médicaments en cassettes préparées manuellement aux 24 heures est en déclin pour être remplacé par la dispensation via les cabinets ou les robots de préparation pour les très gros hôpitaux. Ce sera intéressant de suivre cette tendance au Québec dans les prochaines années.