Plusieurs articles récents discutent du rôle du pharmacien en distribution et en services pharmaceutiques, ce que je trouve positif après un bon bout de temps avec peu de choses intéressantes dans la littérature. Un nouvel article provenant de Taiwan publié à la fin avril discute de la charge de travail de pharmaciens en distribution. Cette étude est une analyse secondaire de données collectées dans le cadre d’une étude observationnelle réalisée précédemment.
L’objectif de l’étude était d’examiner l’effet de la charge de travail de dispensation sur les taux d’erreurs médicamenteuse et sur les interventions pharmaceutiques, dans deux hôpitaux académiques taïwanais totalisant 6300 lits. Le début de l’article décrit le contexte de pratique des pharmaciens taïwanais et est intéressant à lire; il est quand même passablement différent du notre:
- Il n’y a pas de techniciens ou d’assistants, tout le travail de dispensation est fait par des pharmaciens.
- Les pharmaciens ont un incitatif financier à faire des interventions avec un montant offert par suggestion par rapport à une prescription. On pourrait comparer cela à l’opinion pharmaceutique en pharmacie communautaire au Québec, à la différence que ceci semble s’appliquer à la pratique hospitalière dans leur contexte.
- Les pharmaciens ont une pénalité à leur évaluation de performance lorsqu’une erreur de dispensation n’est pas rapportée.
On comprend donc que le contexte de pratique rend les résultats plus difficiles à extrapoler à l’Amérique du Nord, il reste que la relation entre charge de travail, erreurs et interventions pourrait être similaire dans notre milieu.
Les hôpitaux à l’étude utilisaient un système de prescription électronique avec aide à la décision durant l’étude. Les erreurs de dispensation et les interventions des pharmaciens étaient toutes compilées prospectivement dans un logiciel. Le nombre de prescriptions traitées par pharmacien par mois entre 2012 et 2018 a été calculé. De même, le nombre de suggestions par 10 000 prescriptions par mois et le nombre d’erreurs de dispensation par 10 000 prescriptions par mois ont été extraits. La relation entre la charge de travail et les interventions et les erreurs a été analysée de manière à tenir compte de la corrélation entre les mois successifs dans un hôpital. Un terme d’interaction entre le temps et le centre a aussi été inclus dans l’analyse et deux périodes temporelles (2012-2015 et 2016-2018) ont été comparées.
L’étude a inclus des données provenant de 394 ± 17 pharmaciens par mois, avec une moyenne de 463 587 ± 32 898 prescriptions par mois. Les auteurs ont calculé une moyenne de 52 ± 3 prescriptions par jour par pharmacien. La moyenne de suggestions était de 1410 ± 324 par mois et la moyenne d’erreurs était de 388 ± 112 par mois. Les auteurs calculent 30 ± 7 suggestions et 8 ± 2 erreurs par 10 000 prescriptions. L’analyse a montré une association négative entre la charge de travail et le taux de suggestion, peu importe que la suggestion ait été acceptée ou non et peu importe si la source de l’intervention était une alerte du système électronique ou non. La magnitude de l’effet était une diminution de 2% du taux d’intervention pour chaque prescription par jour de plus traitée par un pharmacien. Donc, une charge de travail accrue menait à moins de suggestions. Il y avait cependant une association positive pour le sous-type de suggestions reliées aux erreurs d’entrées: plus la charge de travail augmentait, plus les pharmaciens devaient intervenir pour corriger des erreurs d’entrées. On observe aussi une association négative entre la charge de travail et le taux d’erreurs, un résultat potentiellement expliqué par la difficulté d’effectuer une déclaration dans un contexte de charge de travail élevée, même si le pharmacien s’en trouve pénalisé. On note que les auteurs ont observé un effet du temps sur la relation entre la charge de travail et les erreurs: l’effet était négatif de 2012 à 2015 et positif de 2016 à 2018. La charge de travail mensuelle par pharmacien a diminué entre ces deux périodes, permettant potentiellement aux pharmaciens de déclarer davantage.
On note dans cette étude que les auteurs mentionnent une limite imposée de 40 prescriptions par pharmacien par jour à l’hôpital ou 70 prescriptions par pharmacien par jour en externe. Ces chiffres ne me semblent n’avoir aucune ressemblance avec les charges de travail que l’on calcule ici, du moins en établissement de santé. Il y a probablement un effet de l’absence de techniciens et également des différences de définitions qui mènent à cet écart. Les auteurs discutent d’une augmentation du taux d’interventions observé à travers les années de l’étude, potentiellement lié à un changement du profil de la clientèle desservie et à une diminution globale de la charge de travail par pharmacien.
Malgré le contexte très différent duquel les données de cette étude proviennent, je pense qu’on peut en tirer des leçons. On voit que le contrôle de la charge de travail des pharmaciens a un impact sur la capacité d’intervenir et sur les erreurs, ou du moins sur la capacité de déclarer celles-ci. Il est dommage que les auteurs n’aient pas discuté de l’apport de pharmaciens travaillant en soins pharmaceutiques sur la charge de travail en distribution, car on peut facilement imaginer que cela aurait un impact. Du moins, les résultats viennent supporter le fait que les pharmaciens travaillant en pratique clinique ne devraient pas avoir une charge importante en validation d’ordonnance de façon concomitante pour optimiser leur capacité d’intervention.