Documenter électroniquement les interventions des pharmaciens: SNOMED CT (partie 2)

Je vous parlais il y a un mois du potentiel de SNOMED CT comme système de codage pour documenter les interventions des pharmaciens.

Je reviens sur quelques idées à propos de l’application de ce système à la documentation pharmaceutique.

Si on récapitule:

  • SNOMED CT est un système de codage composé de termes assignés par un professionnel, comme un pharmacien, lors de l’entrée de notes cliniques dans un dossier informatique. On peut penser par exemple aux notes d’évolution et à la documentation des interventions. Il existe une hiérarchie et des relations entre ces termes afin de pouvoir dégager un sens à ce qui est entré; c’est plus riche qu’un simple lexique.
  • Les termes SNOMED CT sont reconnus internationalement et comprennent une très grande variété de situations cliniques. Les termes existent dans plusieurs langues, dont une version canadienne française, et sont directement transposables d’une langue à l’autre.
  • Il existe un éventail de termes SNOMED CT qui décrivent la pratique pharmaceutique.
  • La version canadienne de SNOMED CT est gérée par Inforoute Santé du Canada.
  • Le Pharmacy Health IT Collaborative (un groupe américain) a développé un document de référence sur l’utilisation de SNOMED CT pour le codage de la « gestion de la thérapie médicamenteuse » (medication therapy management), un concept s’appliquant surtout aux soins chroniques aux États-Unis dans le contexte de Medicare, mais qui ressemble grandement à la démarche des soins pharmaceutiques telle qu’on la pratique ici. Ce document est très intéressant pour comprendre comment on peut utiliser SNOMED CT pour documenter des interventions pharmaceutiques.

IHTSDO est l’organisme international responsable de SNOMED CT. Un navigateur en ligne des termes disponibles peut être consulté gratuitement sur leur site web.

Afin d’illustrer le potentiel du système pour la documentation pharmaceutique, on peut effectuer des recherches dans ce navigateur, par exemple:

  • « Médicament » retourne 907 résultats, dont des termes généraux comme « interaction médicamenteuse » ou « allergie médicamenteuse », mais également des termes très précis comme « orientation pour administration intraveineuse d’un médicament à domicile ».
  • « Pharmacothérapie » retourne 24 résultats.

On retrouve des termes spécifiquement reliés à la pratique de la pharmacie, comme:

  • Bilan comparatif des médicaments
  • Capacité de gérer les médicaments
  • Révision des médicaments
  • Traitement médicamenteux non indiqué
  • Surveillance des médicaments effectuée
  • Pas de besoin médicamenteux non satisfait
  • Médicament non pris: n’aime pas la forme
  • Gestion de la distribution des médicaments
  • Révision des médicaments prévue
  • Optimisation de la posologie d’un médicament
  • Gestion du régime médicamenteux
  • Vérification du renouvellement d’un médicament
  • et plusieurs autres…

Il existe même un terme SNOMED CT spécifique à chacun des 7 problèmes pharmacothérapeutiques (voir document du Pharmacy HIT Collaborative). Il y a donc une réelle capacité de documenter précisément des interventions.

Si on prend par exemple une situation clinique vécue fréquemment en pédiatrie où un enfant refuse un médicament car il n’en aime pas le goût, il existe un terme SNOMED CT qui décrit précisément « médicament refusé par le patient: n’aime pas le goût »:

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Terme SNOMED CT et relations associées. Image tirée du navigateur SNOMED CT à http://browser.ihtsdotools.org/

Le pharmacien qui fait cette constatation et qui agit pour changer le médicament, puis donner des trucs à un parent pour faciliter l’administration, pourrait par exemple documenter son intervention de la manière suivante:

  • Situation: révision des médicaments effectuée (314530002)
  • Régime / thérapie: gestion de l’observance du régime médicamenteux (410124001)
  • Finding: noncompliance with medication regimen (129834002, malheureusement il n’y a pas encore de version française pour ce terme)
  • Situation: médicament non pris, n’aime pas le goût (182862001). On pourrait ici assigner le médicament problématique à l’aide d’un code de classification spécifique au médicament.
  • Intervention: changement de médicament (182838006).
  • Intervention: enseignement, directives et counseling relatifs à l’administration de médicament (410265008).

Ce qui devient intéressant avec des interventions documentées de cette manière, c’est la capacité de transposer les données d’un système à un autre. Par exemple, j’ai assisté à une conférence en ligne où un représentant de l’American Pharmacists Association mentionnait qu’il était dans les plans que les futurs systèmes informatiques de pharmacie puissent échanger des interventions codées avec SNOMED CT avec les dossiers cliniques informatisés.

La note qu’un pharmacien écrirait dans le système pharmacie deviendrait dès lors consultable directement par le médecin dans son dossier informatisé, et il ne s’agirait pas de simple texte brut poussé vers un autre logiciel. Au contraire, les codes SNOMED CT permettraient d’afficher et relier la note à tous les éléments pertinents du dossier patient. La documentation séparée dans le système pharmacie et le dossier médical, dont je parlais dans mon billet précédent, deviendrait alors chose du passé.

De même, les données sur les interventions effectuées par les pharmaciens pourraient alors être compilées et analysées de manière bien plus précise. Actuellement, ce genre de statistique est recueilli de manière plutôt grossière, souvent avec un décompte manuel par chaque pharmacien de ses interventions quotidiennes, saisi en différé dans une banque de données qui existe en marge du système pharmacie ou du dossier médical.

Avec SNOMED CT, une simple requête dans la banque de données du système de documentation permettrait d’extraire rapidement toutes les interventions, à des fins de suivi ou même de recherche. La standardisation amenée par une terminologie standardisée au niveau international faciliterait la comparaison des interventions pharmaceutiques dans la littérature. Au point de vue de la méthodologie, en comparaison avec les notes électroniques en texte libre, le sens de chaque terme SNOMED CT et les relations entre les termes codés permettent une analyse informatisée sans devoir lire et interpréter manuellement chacune des notes.

Les États-Unis vont fortement encourager (si ce n’est pas forcer) la migration à ce système. Avec la venue certaine des dossiers informatisés dans la pratique clinique au Québec, il serait bien que les pharmaciens des hôpitaux québécois se préparent à intégrer ce genre de documentation à leur pratique. Que peut-on faire pour l’instant ? Voici quatre idées:

  • Discuter de SNOMED CT avec les fournisseurs de systèmes d’information pharmacie pour s’assurer que la prise en charge des termes codés dans les fonctions de rédaction de notes sera examinée et développée.
  • Signaler l’importance de développer des interfaces bidirectionnelles non seulement pour les listes de médicaments et les ordonnances, mais également pour les notes et les données cliniques.
  • Lors de l’implantation de nouveaux systèmes informatisés dans les établissements de santé, s’assurer que la documentation des interventions des pharmaciens est prise en charge par ces logiciels, et que l’information ainsi générée peut être extraite et analysée facilement.
  • Ajuster les systèmes de compilation des interventions déjà en place pour qu’ils aient une taxonomie compatible avec SNOMED CT, de manière à ce qu’au moins la terminologie et la manière de penser au codage soit déjà bien comprise.

 

 

Articles de la semaine: Machine learning et pharmacovigilance

Un seul article cet semaine, car il fait mal au cerveau.

Cependant, il y a une lecture préalable si vous n’êtes pas familiers avec le machine learning et la terminologie associée (merci à @hamstav pour l’article).

Lecture préalable

L’article vient de la revue Circulation et présente les bases du machine learning (apprentissage-machine ou apprentissage artificiel en français selon le Grand dictionnaire terminologique) tel qu’appliqué aux sciences de la santé. En (très) résumé, il s’agit d’une technique utilisant la puissance de calcul d’ordinateurs pour établir des modèles statistiques très élaborés afin de relier plusieurs variables (appelés facteurs) à une issue selon des relations complexes.

L’intérêt pour cette technique vient, depuis quelques années, de l’augmentation impressionnante de la puissance de calcul des ordinateurs. En effet, il est maintenant possible d’élaborer des modèles prenant en compte un grand nombre de facteurs, et même de découvrir de nouveaux facteurs, avec des relations plus complexes que celles des techniques statistiques classiques (la régression logistique ou la régression de Cox, par exemple).

Grâce à différents algorithmes, un ensemble de données « test » est examiné par l’ordinateur qui tente de dégager des relations entre les facteurs et les issues. Le résultat est un ensemble de modèles qui peuvent être utilisés séparément ou combinés pour prédire l’issue d’intérêt. Par la suite, le modèle peut être appliqué à des données qui n’ont pas été examinées dans la phase d’apprentissage pour vérifier si les prédictions s’avèrent fiables, voire même pour effectuer des analyses en pratique clinique. Un modèle avec une bonne performance peut, tel que mentionné dans l’article, être utilisé pour analyser des images provenant de biopsies, déterminer le risque de développer une maladie,  ou prédire la réponse à un médicament, par exemple.

En dehors des sciences de la santé, le machine learning est utilisé par exemple pour la reconnaissance d’images ou de voix. Il existe même des compétitions de machine learning.

L’article de la semaine: Suède, Machine learning et pharmacovigilance

Il s’agit d’une étude rétrospective présentée à la conférence IEEE International Conference on Bioinformatics and Biomedicine 2014. L’étude avait pour objectif d’établir si les données provenant de dossiers cliniques informatisés pouvaient aider à prédire les effets indésirables aux médicaments à l’aide de techniques de machine learning.

Les auteurs ont utilisé une banque de données provenant du dossier clinique informatisé du Karolinska University Hospital à Stockholm, contenant des informations sur environ 700 000 personnes de 2009 à 2010. L’ensemble de données comprenait des diagnostics, des administrations de médicaments, des mesures cliniques, des résultats de laboratoires, et des notes cliniques en texte libre. Les diagnostics étaient encodés selon l’ICD-10, et les médicaments selon l’ATC.

Pour la construction des ensembles de données de test, les 27 codes ICD reliés aux effets indésirables aux médicaments les plus fréquents dans la banque de données ont été sélectionnés, et 27 ensembles de données ont été construits où des patients ont été classés selon la présence ou l’absence de l’effet indésirable associé à chaque code. Les patients classés comme n’ayant pas présenté d’effet indésirable devaient avoir un code ICD pour un diagnostic similaire, mais non relié à un effet indésirable (par exemple mal de tête causé par un médicament vs. mal de tête causé par autre chose).

L’algorithme d’apprentissage utilisé principalement dans l’étude était le random forestmais d’autres algorithmes ont aussi été testés. Les mesures de performance de l’algorithme étaient l’exactitude (accuracy) et l’aire sous la courbe ROC. Les paramètres analysés comme facteurs étaient les codes cliniques (médicaments et diagnostics) et les mesures cliniques (température, pression artérielle, etc). Ces deux types de données ont été analysées seules, puis en combinaison.

Les résultats sont (très) complexes, mais on en comprend globalement que les codes cliniques sont de meilleurs outils que les mesures cliniques pour prédire les effets indésirables. Cependant, on peut légèrement améliorer la performance en combinant les mesures et les codes, en particulier pour certains types d’effets indésirables où cela peut être pertinent, comme par exemple l’anémie induite par un médicament.

Mon interprétation

Il s’agit d’une étude complexe et dont la répercussion clinique n’est vraiment pas évidente, mais je la trouve intéressante pour trois raisons:

  • D’abord, elle illustre comment le machine learning, qui est déjà en voie de s’intégrer à des spécialités comme par exemple la pathologie ou l’oncologie, peut avoir une rôle en pharmacie.
  • Ensuite, elle laisse penser que cette technique pourrait être dans l’avenir un outil précieux pour supporter le pharmacien dans son travail de pharmacovigilance. Par exemple, on peut imaginer des logiciels d’aide à la décision qui apprendraient les facteurs de risque de développer un effet indésirable à partir de dossiers cliniques informatisés de grands centres hospitaliers, ou même de dossiers nationaux.
  • Finalement, elle illustre comment le codage des données cliniques, dont j’ai déjà parlé précédemment, peut devenir un outil très puissant s’il est appliqué de manière systématique à un grand ensemble de données.