Expérience d’implantation d’un dossier électronique national en Finlande

Il est intéressant de suivre les publications émanant des pays européens et scandinaves qui décrivent les implantations de dossiers électroniques. Ces pays font face à des défis qui pourraient ressembler à ceux du Québec lors de l’implantation à venir de logiciels de dossier électronique intégrés, notamment le projet de DSN. Les pays européens et scandinaves travaillent dans plusieurs langues et pas seulement l’anglais, ont des modèles d’organisation de la santé davantage axés sur le secteur public qu’aux États-Unis, et ont une culture de pratique professionnelle différente de celle des États-Unis. Leur expérience me semble donc riche en leçons à tirer en vue de ce qui s’annonce chez nous.

Dans le contexte de la pharmacie d’établissement, on pourrait croire que ce genre d’informatisation pourrait amener des gains en terme d’erreurs liées au circuit du médicament. Malheureusement, les études existantes sur l’effet sur les erreurs se concentrent souvent sur des composantes particulières du circuit (ex: prescription électronique, code-barres, etc.), et plusieurs composantes sont déjà implantées à divers endroits du Québec indépendamment de dossiers électroniques intégrés (prescripteur électronique, FADM électronique, code-barres, cabinets, assistance aux préparations, DSQ, etc.) Les publications décrivant les bénéfices du circuit du médicament en boucle fermée commencent à dater ou incluent des composantes déjà implantées comme les cabinets.

J’ai lu avec intérêt une nouvelle publication décrivant les leçons apprises par rapport au circuit du médicament, écrit par plusieurs personnes ayant travaillé à l’implantation d’un logiciel de dossier électronique intégré en Finlande. Les auteurs étaient affiliés au département de pharmacie de l’hôpital universitaire d’Helsinki et la Faculté de pharmacie de l’Université de Helsinki; cet institution comprend 23 hôpitaux desservant 1,6 millions de personnes.

Les auteurs ont vécu l’implantation d’un logiciel de dossier électronique intégré américain incluant un circuit du médicament en boucle fermée. Ils ont basé leur analyse sur les rapports d’incidents écrits de janvier 2018 à mai 2021. Le premier tableau de l’article décrit l’état du circuit du médicament avant et après l’implantation, je crois qu’un des changements les plus importants à souligner est que les ordonnances de médicaments n’étaient pas validées avant l’arrivée du système; les auteurs décrivent comment il était nouveau pour eux de pouvoir faire cette validation dans le logiciel. On peut essentiellement comprendre que le circuit du médicament original était très peu intégré, avec beaucoup d’étapes de transcription et d’opérations manuelles. Le circuit après l’implantation était plus intégré, avec l’utilisation de technologies comme les interfaces avec les cabinets, les codes-barres, la FADM électronique et la validation (partielle) des ordonnances.

On peut voir que le nombre de rapports d’incidents liés aux médicaments a augmenté durant la période d’implantation pour ensuite revenir à son niveau de base. Certains médicaments liés à des posologies particulières ont été davantage impliqués, probablement en raison de difficultés à bien prescrire les posologies complexes dans le système (ex: lévothyroxine avec doses différentes selon le jour de la semaine).

Les auteurs décrivent leur processus de bilan comparatif des médicaments. L’implantation du logiciel a permis de réaliser la prescription d’admission à partir de la liste des médicaments à domicile du patient, importée d’un système qui semble équivalent à notre DSQ. Les auteurs soulignent 3 enjeux avec cette importation: 1- les données importées ne sont pas toutes structurées, 2- les médicaments importés ne sont pas nécessairement pris par le patient et 3- les médicaments de vente libre et produits de santé naturels ne sont pas inclus dans la liste. Les auteurs ont constaté que beaucoup de travail était requis par les cliniciens pour nettoyer et mettre à jour cette liste au moment de l’admission et que ceci pouvait être difficile et causer des erreurs. Je crois que cette constatation risque d’être la même au Québec puisque le DSQ comporte les mêmes enjeux.

J’ai trouvé très intéressant le paragraphe où il est décrit comment certains croyaient que le système, avec son aide à la décision et ses capacités de prescription structurée, allait rendre le travail des pharmaciens inutile. Au contraire, ceux-ci ont constaté que les pharmaciens devaient vérifier encore plus les ordonnances, alors que ceci n’était pas courant en Finlande auparavant. En particulier, les médecins faisaient face à un grand nombre d’alertes et pouvaient manquer certains éléments importants (alert fatigue), rendant le travail des pharmaciens encore plus important. Je trouve dommage que l’article ne discute pas des stratégies d’optimisation des alertes qui peuvent aussi contribuer à diminuer le nombre d’alertes inutiles.

Parmi les autres leçons apprises par les auteurs, mentionnons:

  • Le nombre d’incidents liés au médicament ne diminue pas suite à l’implantation d’un système en boucle fermée, il augmente durant l’implantation, puis il revient à son taux de base. Les organisations devraient s’attendre à cette augmentation. En particulier, durant et immédiatement après la phase d’implantation, certains cliniciens dont les médecins rapportaient davantage les événements. On peut comprendre cette tendance par une sensibilité accrue aux événements indésirables liée à l’incertitude et au sentiment d’insécurité entourant le déploiement d’un nouveau système, ainsi que par une volonté d’identifier rapidement les nouveaux problèmes introduits par le changement.
  • Les code-barres sont très utiles pour sécuriser le circuit du médicament.
  • La formation des prescripteurs pour qu’ils utilisent adéquatement les champs de données structurées lors de la prescription est importante.
  • La stratégie du minimum viable product n’est pas avantageuse, il est important de tester et d’évaluer adéquatement les processus liés au médicament avant le déploiement pour réaliser une certaine optimisation. Suite au déploiement, le besoin d’amélioration du système de diminue pas, plutôt il augmente et l’organisation doit prévoir les ressources nécessaires pour gérer les demandes de changement qui arrivent après le déploiement.

Cet article était très intéressant et je crois qu’il devrait être lu par tous les pharmaciens travaillant à l’implantation d’un circuit du médicament en boucle fermée ou d’un dossier électronique intégré afin qu’ils puissent mieux gérer certaines attentes sur la base d’une expérience vécue.

Données 2020 sur la dispensation et l’administration des médicaments dans les hôpitaux américains

L’édition 2020 du sondage de l’ASHP portait sur la dispensation et l’administration des médicaments. Je parlerai ici uniquement des aspects liés aux technologies de ces deux éléments. La méthode de sondage utilisée est presque toujours la même et est décrite dans l’article. Il s’agit essentiellement d’un questionnaire standardisé où un échantillon d’hôpitaux conçu pour être représentatif est invité à répondre.

1437 hôpitaux ont été invités à répondre, dont 300 de moins de 50 lits et tous (137) les hôpitaux de plus de 600 lits. 269 départements de pharmacie ont répondu pour un taux de réponse de 19%.

43% des hôpitaux répondants avaient une pharmacie ouverte 24 heures par jour (similaire à 43% en 2017). 30% des hôpitaux avaient plutôt recours à une entreprise externe offrant des services de validation 24 heures, comparativement à 21% en 2017. 5% des hôpitaux avaient recours à un pharmacien sur appel ou à distance, et 15% à un hôpital affilié pour valider à distance. Dans 8% des hôpitaux, il n’y avait pas de vérification d’ordonnances la nuit, principalement des petits hôpitaux.

4% des hôpitaux utilisaient un robot de dispensation (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 75% des hôpitaux utilisaient les cabinets comme mode de dispensation principal pour les doses d’entretien des médicaments, comparativement à 70% en 2017. La dispensation unitaire préparée manuellement (comme on la pratique dans la plupart des hôpitaux du Québec), ne représentant plus que 20% des hôpitaux américains.

66% des hôpitaux utilisent le code-barres à la dispensation à la pharmacie, dont 94% des hôpitaux de plus de 600 lits. 81% des hôpitaux utilisaient le code-barre comme vérification au restockage des cabinets. 21% des hôpitaux utilisaient un logiciel d’assistance aux préparations stériles (66% des hôpitaux de plus de 600 lits); 33% des hôpitaux scannent les code-barres des ingrédients des préparations, 25% prennent des photos ou vidéos, et 5% utilisent la gravimétrie (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 3% des hôpitaux utilisaient un robot de préparation stérile, dont 1.6% pour la chimiothérapie.

88% des hôpitaux utilisent des pompes intelligentes, 13% permettent la programmation des pompes automatiquement à partir du logiciel de dossier électronique ou de la FADM électronique, et 15% récupèrent les données des pompes pour alimenter les données du dossier électronique (ex: bilan ingesta/excreta).

Ce sondage démontre définitivement une progression des technologies de dispensation et de sécurisation du circuit du médicament, vers la cible d’un circuit en boucle fermée. Le service des médicaments en cassettes préparées manuellement aux 24 heures est en déclin pour être remplacé par la dispensation via les cabinets ou les robots de préparation pour les très gros hôpitaux. Ce sera intéressant de suivre cette tendance au Québec dans les prochaines années.

Implantation d’un système de vérification des médicaments par code-barres

La sécurisation du circuit du médicament à l’aide de code-barres est un sujet complexe. Le code-barres peut être utilisé pour confirmer l’identité des produits utilisés dans des préparations stériles (souvent combiné à d’autres technologies) ou non-stériles, la préparation de kits de médicaments (de plus en plus combiné au RFID), lors de la validation contenant-contenu de produits commerciaux à la pharmacie, à des fins de traçabilité des médicaments et lors de l’administration au patient. Les études qui décrivent l’utilisation de cette technologie le font dans le cadre d’un système pouvant combiner plusieurs autres technologies, ainsi il devient souvent difficile de comparer les études entre elles.

Une nouvelle étude sur le sujet a été publié en août 2019 et est disponible en texte complet gratuitement sur PubMed Central. L’étude a été réalisée à Paris dans un hôpital universitaire de 714 lits disposant d’un dossier électronique et de prescription électronique. Le système de distribution en place dans ce centre implique des premières doses distribuées principalement à l’aide de cabinets décentralisés et un système mélangé de distribution unitaire quotidienne sur 4 unités et de distribution non unitaire sur 4 autres unités; l’étude a été menée sur les unités avec distribution unitaire. Le texte est un peu difficile à suivre car les auteurs parlent de « barcode-assisted medication administration (BCMA) », qui est généralement un terme désignant l’utilisation de code-barres au chevet du patient au moment de l’administration d’un médicament pour confirmer l’identité du médicament et du patient en relation avec la FADM. Cependant, dans cette étude on comprend qu’il s’agissait plutôt d’une vérification contenant-contenu au moment de la dispensation des services quotidiens à la pharmacie.

Durant trois jours, une unité de soins en service quotidien différente à chaque jour était randomisée à la vérification par code-barres et une autre servait de contrôle, donnant 3 jours d’observation de dispensation vérifiée par code-barres et 3 jours de dispensation avec vérification sans code-barres. Les techniciens utilisant le système ont reçu une formation d’une semaine avant l’étude. Les techniciens ayant préparé les médicaments n’ont pas été observés directement; les investigateurs ont plutôt effectué des vérifications a posteriori des doses préparées, comme c’est le cas habituellement lors d’une vérification manuelle.

Le taux d’erreurs était 7,9% (nombres d’erreurs / nombre d’opportunités d’erreur) dans les deux groupes, le kappa entre les observateurs était de 0,88. Ce taux me semble élevé, dans ma pratique les erreurs de préparations des services quotidiens de médicaments sont rares, bien plus rares que 8%. Dans le groupe avec code-barres, le taux d’erreurs d’omission était plus élevé alors que le taux d’erreur de patient et de médicaments non prescrits était plus faible. Les auteurs listent un grand nombre d’enjeux techniques et humains ayant mené à des problèmes durant le projet, essentiellement le système utilisé était mal adapté au contexte d’un hôpital de soins aigus et l’interface permettant de transformer les données du système de prescription électronique en listes de médicaments à préparer (pas de profil pharmacologique ?) était dysfonctionnelle. Les produits eux-mêmes ne comportaient parfois aucun code-barres ou une code-barres inutilisable. Des enjeux de formation ont aussi été relevés. Donc, on peut conclure que les résultats de cette étude ne veulent pas dire grand-chose.

Pourquoi est-ce que je parle de cette étude dans ce cas ? Je trouve que la liste de problèmes décrite démontre bien comment des enjeux techniques et humains peuvent faire échouer un projet. Ici, un système, de l’aveu même des auteurs, mal adapté à l’utilisation qu’on souhaitait en faire et mal interfacé avec le reste du dossier électronique en place, a démontré de nombreux problèmes, en plus d’enjeux reliés à la formation et à l’utilisation du système. Ce que cette étude démontre selon moi, c’est que le succès ou l’échec d’une technologie est bien plus dépendant de la façon dont elle est mise en place que du simple fait qu’elle soit utilisée. Ceci repose sur un cadre technique adéquat et une gestion du changement planifiée avec rigueur.