Deux nouvelles publications sur l’indication dans les prescriptions électroniques

Depuis l’éditorial du New England en 2016, on parle souvent d’inclure l’indication dans les ordonnances électroniques afin, surtout, de minimiser les erreurs de prescription de médicaments look-alike, de faciliter la coordination des soins entre tous les intervenants impliqués dans la pharmacothérapie d’un patient et pour clarifier les informations transmises au patient.

Deux nouvelles publications, la première un sondage publié en mai 2020 dans l’AJHP, et la deuxième un commentaire publié en septembre 2020 dans le British Journal of Clinical Pharmacology, amènent de nouvelles perspectives sur le sujet.

Le sondage

Cette étude vient d’un hôpital du Veterans Affairs américain de 800 lits situé en Californie. Suite à une mise en place difficile au début de 2016 d’une exigence d’inclure un diagnostic et une indication sur toutes les ordonnances, les auteurs ont travaillé au développement d’une bibliothèque d’indications centrées sur le patient et ont mené un sondage pour évaluer les perceptions des patients, des prescripteurs et des pharmaciens sur ce sujet.

Afin d’établir la liste des indications centrées sur le patient, une liste des 2409 médicaments du système de prescription électronique a été extraite. Deux pharmaciens ont établi une liste préliminaire d’indications pour chaque médicament ayant une seule indication claire et cette liste a été retravaillée en comité. Un langage compréhensible par les patients a été utilisé et ce langage a été validé par un comité qui j’imagine incluait des patients et leur famille (le « Family Advisory Council »). Le langage utilisé était centré sur le système concerné (ex: « pour le coeur »), le diagnostic (« pour la tension artérielle »), le mécanisme d’action (« pour la tension artérielle élevée »), ou l’objectif thérapeutique (« pour diminuer la tension artérielle »). Après validation, les indications développées ont été intégrées au système de prescription. Une ordonnance de médicament comportait donc une indication par défaut modifiable par le prescripteur. Après ce travail, le nombre de médicaments (sur un total de 2409) comportant une indication par défaut est passé de 717 (29,8%) à 1742 (72,3%).

Un sondage de satisfaction de 8 questions pour les prescripteurs et pharmaciens et de 10 questions pour les patients a été mené auprès de ces groupes. 18/103 prescripteurs, 13/23 pharmaciens et 220/500 patients ont répondu au sondage (pourquoi aussi peu de médecins ?) 50% des prescripteurs et 62% des pharmaciens ont rapporté une diminution du temps perçu à gérer les indications. 11% des prescripteurs et 62% des pharmaciens ont rapporté avoir réussi à intercepter une erreur de choix de médicament sur la base de l’indication, et 54% des pharmaciens ont rapporté avoir ajusté une dose grâce à la documentation de l’indication. 97% des patients ont rapporté trouver l’indication utile sur leurs étiquettes de médicaments. 31% ont rapporté ne pas savoir à quoi servaient tous leurs médicaments. Point important, les patients ont rapporté vouloir savoir également comment ils sauraient que les médicaments fonctionnent ainsi que comment ils fonctionnent (ex: pour diminuer la tension artérielle plutôt que pour la tension artérielle).

Les auteurs notent dans la discussion que leurs système comportait des limites importantes comme l’impossibilité d’inscrire plus d’une indication et l’absence de prescription basée sur l’indication, forçant les prescripteurs à d’abord prescrire un médicament puis valider son indication. La charge de travail reliée à l’inscription des indications n’a pas été évaluée dans le cadre de cette étude.

Le commentaire

Cet article émerge de discussions qui ont eu lieu dans un hôpital en Angleterre (on ne sait pas trop quel type ni taille) pour évaluer les perceptions des prescripteurs par rapport à l’éventuel déploiement d’un système de prescription basée sur l’indication (choisir d’abord l’indication puis le médicament). Les auteurs présentent une opinion défavorable à un système de prescription de ce type dans un contexte hospitalier avec enseignement. Les arguments présentés par les auteurs sont les suivants:

  • Les médecins qui entrent les ordonnances sont des médecins juniors (équivalent à des résidents ?) qui ne prennent pas les décisions sur quel traitement donner, ils entrent les médicaments décidés par leurs patrons. En ce sens, leur tâche vise à entrer un médicament en particulier, donc d’exiger de passer d’abord par un choix d’indication serait contre-productif.
  • Le fait de choisir l’indication serait un frein à la prescription et beaucoup d’indications seraient inexactes, entraînant un enseignement au patient erroné et des erreurs.
  • Dans un contexte de represcription de médicaments déjà pris par le patient (exemple: bilan comparatif à l’admission), beaucoup d’indications sont inconnues et le fait de forcer le prescripteur à choisir entraînera inévitablement des inexactitudes ou des erreurs.

Ce que je retiens de ces deux articles

De ces deux articles, je retiens une opinion favorable axée surtout sur l’utilité de l’indication pour les patients afin d’aider ceux-ci à comprendre et prendre en charge leur pharmacothérapie, et une opinion défavorable axée sur des craintes liée à un flot de travail dysfonctionnel pour les prescripteurs.

Dans le premier article, j’aime l’effort mis pour que l’information se rendant au patient soit utile et de qualité. Je trouve totalement aberrant qu’actuellement au Québec, la simple raison pour laquelle un patient se voit prescrire un médicament soit une information communiquée informellement, parallèlement à l’ordonnance, souvent de manière verbale, avec une trace écrite dans un dossier médical non consultable en dehors de l’organisation où la prescription a eu lieu. Cependant, je n’aime pas que le système électronique décrit dans cet article obligeait les prescripteurs à sélectionner une indication accessoirement par rapport à la prescription.

Dans le deuxième article, je n’aime pas la perspective réductrice du travail des résidents où il est assumé que ceux-ci ne font que transcrire les décisions de leurs patrons. Dans mon expérience (bien sûr de centre universitaire, je n’ai pas l’expérience de plus petits centres, de GMF ou de pharmacie communautaire), les médecins « juniors » ont une tâche de prescription qui est loin d’être exclusivement de la transcription et ils sont généralement bien au fait de l’indication des médicaments. J’aime cependant qu’on met de l’emphase sur l’importance que le processus de prescription ait du sens par rapport au flot de travail clinique, que l’intervenant qui prescrit en prenant une décision puisse choisir l’indication puis le médicament, alors que celui qui veut prescrire un médicament précis puisse le retrouver directement. Cela suppose une réflexion sur comment articuler adéquatement ces options pour ne pas permettre trop facilement des contournement qui renverseraient l’effet de la prescription par indication.

Messagerie intégrée au dossier électronique en remplacement des pagettes

Cet article a été écrit par des infirmières d’un hôpital de 336 lits situé dans la région de Seattle, aux États-Unis. Il est disponible en texte complet gratuitement sur PubMed Central. L’article décrit la mise en place d’un système de messagerie similaire au courriel intégré au dossier électronique de l’hôpital, afin de diminuer le recours aux téléavertisseurs en situation non urgente et ultimement réduire les interruptions et les distractions.

Une évaluation de la situation avant l’implantation de cette messagerie a montré que seulement 13,8% de 1252 messages envoyés par téléavertisseurs sur 2 semaines étaient réellement urgents. Le critère utilisé pour définir l’urgence dans le contexte de ce système était « est-ce que la personne contactée devrait arrêter ce qu’elle fait actuellement pour s’occuper de cette situation ? ».

Le système de messagerie a été déployé pour les infirmières et les médecins (à l’exception des chirurgiens) du centre d’abord pour des utilisateurs sélectionnés en phase pilote, puis l’utilisation a été élargie à tout le quart de jour en avril 2015. En mars 2016,  le quart de nuit a été ajouté. Il n’y a pas de mention des pharmaciens dans l’article sauf dans la conclusion pour dire que le système leur serait éventuellement offert.

Le nombre de messages non urgents par jour a diminué de 103 à 38 (p<0,001) et le nombre de messages urgents est demeuré inchangé à 13 par jour (p=0,52).

Une limite majeure est l’inclusion uniquement des médecins « non chirurgiens » dans ce système parce que les chirurgiens n’avaient pas un accès constant au dossier électronique. En effet, pour que ce genre de système soit efficace, les professionnels doivent avoir un accès quand même fiable au système de messagerie. Les téléavertisseurs, malgré leur antiquité, ont l’avantage de fonctionner sans nécessité d’accès à un ordinateur.

Je trouve que cet article décrit une alternative intéressante aux téléavertisseurs et relativement facile à mettre en place; la plupart des systèmes de dossiers que j’ai vus, que ce soit en pharmacie ou plus globaux, ont une fonction de messagerie intégrée. Néanmoins, l’accès à un ordinateur et le fait que l’utilisateur doit aller consulter la messagerie pour voir le message, contrairement au pagette où le message s’impose par du son et de la vibration, peut être une limite à ce genre de solution.

BYOD dans les établissements de santé ?

25787937_sJ’ai récemment publié deux billets sur l’évolution de la messagerie en établissement de santé, la fin des pagettes et les technologies de messagerie qui pourraient éventuellement prendre leur place.

Peu importe la technologie qui émergera, ou en attendant son arrivée, il est clair que les cliniciens utiliseront leurs appareils mobiles personnels pour échanger de l’information. Il est également évident que le système de santé fait face à un enjeu de sécurité et de confidentialité avec cette pratique.

Un article publié en avril décrit bien la problématique. L’information échangée par les cliniciens sur leurs appareils est bien sûr stockée sur ceux-ci, et la perte d’un appareil représente un risque pour les données personnelles de patients. Également, il est probable que cette information soit synchronisée avec un quelconque service d’infonuagique. Dans ce genre de cas, l’information personnelle, même si elle n’est pas stockée dans l’appareil, peut être facilement téléchargée avec les accès configurés dans celui-ci, ou encore peut devenir vulnérable à une brèche dans le service lui-même, comme on l’a vu à quelques reprises avec des brèches très médiatisées au courant des dernières années.

Une phrase importante de l’article est: « You can tell your employees all you want, ‘Don’t text, don’t text, don’t text,’ but they’re going to text. »

Je trouve que cette phrase illustre bien le problème: l’utilisation d’appareils personnels représente un certain risque, mais dans la situation actuelle, des failles équivalentes sinon pires existent. D’abord, l’actuelle absence de plateforme de communication (à l’exception du courriel interne, mais qui ne peut pas vraiment être utilisé dans la pratique clinique) force les cliniciens à utiliser les technologies qu’ils ont à leur disposition; ceci passe certainement par leurs appareils personnels et la messagerie texte. La combinaison pagette – téléphone fixe n’est tout simplement plus à la hauteur du niveau de productivité attendu de nos jours.

Par ailleurs, les cliniciens doivent aussi avoir de l’information clinique disponible pour eux-mêmes, surtout s’il n’y a pas de dossier informatisé en place. Ceci se manifeste par une liste de patients manuscrite ou imprimée sur papier, avec une liste de choses à faire durant la journée. Cette liste papier peut être oubliée quelque part, tomber d’une poche, etc. Les services de synchronisation dans le nuage peuvent être un risque de sécurité, mais au moins ils sont protégés par un mot de passe, un papier tombé par terre n’offre aucune sécurité !

J’ai déjà dit que je crois que la meilleure solution est un système de messagerie dédié, fonctionnant si possible à partir des serveurs d’une organisation mais qui permet aux cliniciens d’utiliser une application installée sur leurs propres appareils, qui conserve un historique limité, et qui peut encrypter les communications lorsqu’elles passent par un réseau public.

Lorsque ceci, ou un équivalent, se mettra en place, je crois que les cliniciens et les organisations seront tentées d’aller vers le modèle Bring Your Own Device (BYOD), où les appareils personnels sont reliés au réseau de l’organisation, d’une part pour une question de coûts, et d’autre part pour éviter de trimbaler plusieurs appareils. La majorité des cliniciens ont déjà un appareil personnel, de toute façon. La question des quelques personnes qui n’en ont pas se posera évidemment.

Deux enjeux de sécurité se poseront alors: d’une part l’introduction de logiciels malveillants sur le réseau par les appareils mobiles, et d’autre part une vulnérabilité des données transférées de l’organisation vers les appareils mobiles. Afin de contrôler ces risques, plusieurs applications de gestion d’appareils mobiles offrent des fonctionnalités pour « sécuriser » les appareils en BYOD, une application de premier plan dans cette gamme est par exemple AirWatch. Je n’aime pas beaucoup ces logiciels, car je trouve qu’ils donnent à un employeur un accès démesuré aux appareils personnels de leurs employés; par exemple avec un contrôle des mises à jour, de l’installation de logiciels, en permettant à l’employeur de réinitialiser à distance l’appareil, etc. Évidemment, ceci dépend de la manière dont c’est géré, puisque ces logiciels offrent quand même la possibilité de compartimenter les éléments d’entreprise et de gérer uniquement ceux-ci. Mais je comprends l’enjeu. Ce sera donc aux cliniciens de bien peser le pour et le contre de donner un accès à leur appareil personnel à leur employeur.

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