Effet d’une alerte sur l’utilisation de médicaments inappropriés en gériatrie

En 2016, je vous parlais de l’initiative de cliniques médicales de la région d’Edmonton qui avaient inclus dans leur logiciel de prescription électronique, des alertes relatives aux critères de Beers pour les patients âgés. Je mentionnais que je trouvais que les alertes étaient bien faites et qu’elles incluaient des recommandations de conduite clinique, ce qui fait généralement défaut.

Le même groupe nous revient avec une nouvelle étude observationnelle rétrospective sur ces alertes, publiée en mai de cette année et disponible gratuitement en texte complet sur PubMed Central. L’objectif de l’étude était de déterminer la fréquence d’interaction des cliniciens avec les alertes liées aux critères de Beers, ainsi que de déterminer la fréquence de déprescription de médicaments potentiellement inappropriés associée à ces alertes.

L’étude a eu lieu dans deux cliniques médicales situées en Alberta, la première spécialisée en gériatrie et la seconde offrant des soins de première ligne. 18 médecins ont participé à l’étude. Toutes les alertes générées durant les visites de patients de 65 ans ou plus dans ces deux cliniques, et par l’un des médecins participant à l’étude, entre le 1er juillet 2015 et le 31 décembre 2017, ont été incluses.

Les mesures de performance des alertes étaient calculées comme le nombre d’interactions de cliniciens avec l’alerte (le nombre de cas où l’alerte n’est pas ignorée) par rapport au nombre d’affichages de l’alerte, et l’inverse de cette mesure était aussi rapportée comme le « number needed to remind » (NNR), soit le nombre d’affichages de l’alerte avant qu’une réponse d’un clinicien n’ait lieu. Cette mesure été décrite en 2014. De la même manière, les auteurs rapportes la performance de l’alerte par rapport au nombre de cessations du médicament en cause et son inverse, le « number needed to deprescribe » (NND).

3221 patients âgés en moyenne de 78 ans ont eu 20 947 visites incluses dans l’étude. 8222 alertes ont été générées. dans 7429 visites. La performance de l’alerte était de 17,3% pour l’interaction d’un clinicien, soit un NNR de 5,8. Cependant, cette mesure était de 7,4 dans la clinique de première ligne et 2,7 dans la clinique de gériatrie, indiquant une plus grande efficacité de l’alerte en gériatrie, une différence statistiquement significative. Les auteurs spéculent sur les raisons de cette différence dans la discussion. La performance pour la déprescription était de 1,2% avec un NND de 82, sans différence statistiquement significative entre les deux cliniques.

Selon moi, la contribution principale de cet article est de démontrer que même si des alertes sont bien conçues, et incluent des recommandations de conduite clinique, cela ne signifie pas qu’elles auront un grand impact clinique. De plus, il est bien connu que l’efficacité d’une alerte ne peut pas être évaluée seule, il faut prendre en compte l’ensemble des alertes affichées au clinicien dans le contexte de surabondance d’alertes menant à une désensibilisation (alert fatigue) même aux alertes importantes. Pour cette raison, je crois que cet article renforce la nécessité d’un monitorage actif des alertes générées par un système d’aide à la décision par une équipe de cliniciens, comme je le mentionnais en mai 2017. Il ne faut pas non plus négliger les principes de conception d’alertes pour en maximiser l’efficacité.

Revue systématique sur les erreurs causées par la prescription électronique

Une revue systématique, parue fin 2017 dans le International Journal of Medical Informatics, s’est intéressée aux erreurs médicamenteuses causées par la prescription électronique et à leurs mécanismes. Les données de cette revue viennent compléter d’autres que j’ai déjà présentées, dont deux par un autre groupe de chercheurs chez l’adulte et en pédiatrie.

Les chercheurs ont effectué une revue de Medline, Embase, du registre Cochrane et d’autres références de 1982 à août 2017 selon divers mots-clés. Ensuite, les articles sélectionnées ont été revus et filtrés selon une méthode systématique et appuyée sur des lignes directrices. Les auteurs ont cherché à conserver uniquement les études ayant évalué quantitativement les erreurs, avec une analyse explicite du rôle de la prescription électronique, et avec une description de la typologie de l’erreur. Les études qualitatives, ciblant un seul type spécifique d’erreurs, ciblant des logiciels spécialisés comme pour la chimiothérapie, et les études de simulation, ont été exclues.

2086 articles ont été identifiés et 14 ont été inclus dans l’analyse. 7 étaient des études prospectives, 3 rétrospectives et 4 étaient des analyses de bases de données d’événements indésirables. 7 venaient de l’Europe, 4 des États-Unis, 2 d’Australie et 1 de Singapour. Les études était de qualité assez bonne, avec la moitié rapportant plus de 7 critères de haute qualité sur 14.

Les erreurs les plus fréquemment rapportées étaient des erreurs  de dose ou de sélection de médicaments. Les mécanismes rapportés étaient:

  • Liées à l’ergonomie:
    • Sélection erronée dans un menu déroulant
    • Erreur de frappe
    • Entrave à la vision de la prescription complète
    • Plus d’un prescripteur dans la même ordonnance
  • Liées aux alertes:
    • Absence d’alerte ou mauvaise configuration
    • Contournement d’alertes liée à la désensibilisation (alert fatigue)
  • Liée aux particularités du système
    • Obligation de spécifier une date de fin même pour traitements chroniques
    • Incapacité d’inscrire une ordonnance complexe (par exemple sevrage de corticostéroïdes)
  • Mauvais paramétrage du système
    • Paramètres par défaut inadéquats
  • Mauvais usage du système
    • Texte libre contradictoire avec champs dédiés pour la même information
    • Modification erronée d’une prescription existante
    • Absence de rappels pour ordonnances importantes
    • Incapacité de consulter l’information nécessaire lors de la prescription
    • Fonctionnalités du logiciel mal adaptées (par exemple option de dire qu’un patient prend ses médicaments lui-même alors que ce n’est pas le cas, ordonnance conditionnelle mal configurée)

Les points soulevés dans cet article recoupent largement ceux dont j’ai parlés dans des blogues précédents, comme quoi la littérature commence à faire ressortir des points cruciaux pour prévenir les erreurs de prescription électronique. Cependant, je trouve que les auteurs se concentrent un peu trop sur des fonctionnalités très spécifiques à des systèmes précis. Par exemple, ils discutent longuement d’une boîte pour indiquer qu’un patient prend un médicament lui-même, alors que ceci n’est pas inhérent à la prescription électronique elle-même, mais plutôt à un système particulier où cette option est mal conçue.

Cependant, je trouve que l’article est quand même très bon et que les points qui y sont soulevés devraient faire partie de ce qui est évalué pour prévenir les erreurs lors de l’implantation de la prescription électronique.

Revue systématique des causes d’erreurs de prescription électronique

L’objectif de cette revue systématique était de recenser les articles publiés sur les erreurs spécifiquement causées par les systèmes de prescription électronique. La période d’inclusion allait du 1er janvier 2004 au 22 juin 2015. Une recherche a été menée dans CINAHL, Medline et Embase. La sélection a été menée par deux chercheurs de manière indépendante, puis l’inclusion a été arbitrée par une troisième et quatrième personne.

1185 publications ont été identifiées initialement, dont 34 ont été incluses dans l’analyse finale, 31 articles complets et 3 résumés de conférences. Les pays les plus représentés dans l’échantillon étaient les États-Unis (19), les États-Unis et le Canada (4), l’Angleterre (4), et l’Australie (2). Un seul article provenait du Canada seul. 8 thèmes clés de facteurs contribuant aux erreurs ont été identifiés:

  • L’affichage à l’écran, en particulier le fractionnement des médicaments pris par un patient sur plusieurs pages ou plusieurs écrans. De même, un affichage incomplet n’incluant pas tous les types d’ordonnances (actifs, administrés récemment, PRN, STAT, etc.) peut entraîner des erreurs d’interprétation de ce qui est prescrit au patient.
  • Les menus déroulants et l’auto-population de champs, causant des erreurs de sélection en raison de juxtaposition de choix très différents. De même, un système lent qui incite les prescripteurs à cliquer de manière insistante peut entraîner une mauvaise sélection dans les menus.
  • Les choix des mots et des formulation étranges, par exemple les mots « volume total » où on ne sait pas si on désigne le volume à administrer ou le volume du médicament contenu dans un format. De même, une erreur assez incroyable était l’affichage d’une dose de 20 mg comme « 0020.000 mg ».
  • Les choix par défaut mal pensés qui peuvent entraîner une prescription inappropriée par inadvertance.
  • Un système aux fonctionnalités limitées ou mal adapté au flot de travail qui force les utilisateurs à employer des contournements pour arriver à leurs fins, par exemple des instructions en texte libre qui ne correspondent pas aux champs dédiés.
  • Des problèmes d’interopérabilité entre les systèmes, comme un cas où un système de pharmacie a mal interprété les instructions poussées par un système de prescription, ou une transmission incomplète en raison de champs non poussés dans le système pharmacie.
  • Les processus automatisés entraînant une diminution de la vigilance et la facilité de répéter une prescription erronée.
  • Un flot de travail mal adapté à l’électronique, comme la saisie a posteriori des ordonnances dans le logiciel ou le partage de noms d’utilisateurs et de mot de passe.
  • Les systèmes d’aide à la décision mal paramétrés qui ne détectent pas adéquatement les erreurs ou qui en détectent trop et causent une désensibilisation aux alertes.

Un tableau détaillant chacun de ces problèmes est disponible dans l’article. Je trouve l’étude pertinente car ces critères devraient être pris en compte dans le design, la sélection et le paramétrage de logiciels de prescription électronique. De même, ils peuvent être appliqués aux logiciels de pharmacie. Point bonus: la première phrase de l’article cite « To Err Is Human ».