Articles de la semaine

ANGLETERRE, UNE MÉTHODE POUR ANALYSER LE TEXTE LIBRE D’ORDONNANCES ÉLECTRONIQUES EN COMMUNAUTÉ

Cette étude présente une application du machine learning, partiellement assisté par des humains. Les chercheurs visaient à développer un algorithme pour analyser le texte libre associé aux ordonnances électroniques de soins primaires en Angleterre. L’article est disponible en texte complet gratuitement sur PubMed Central.

Les auteurs ont noté que le texte libre, contrairement aux champs à usage spécifique, était surtout utilisé pour décrire la variabilité dans la prise de doses, par exemple « prendre 1 à 2 fois par jour si besoin ». On comprend donc que le système de prescription électronique en place ne permettait pas de noter cette variabilité dans les champs spécifiques.

Une banque d’environ 200 prescriptions extraites du registre national contenant plus de 56 000 prescriptions en texte libre ont été utilisées pour construire des règles permettant d’interpréter le texte libre et de le coder sous forme de données analysables. Trois personnes ont validé indépendamment les résultats de cette phase d’apprentissage, qui a montré un succès de plus de 90% pour interpréter le texte.

Par la suite, les règles ont été appliquées aux 56 114 prescriptions du registre. Faits à souligner, près du quart des ordonnances comportaient une variabilité dans au moins un des paramètres (dose, fréquence, jours de prise). Malgré tout, seulement 0,72% des prescriptions n’ont pu être interprétées. Pour environ 20% des ordonnances, au moins un paramètre n’a pas pu être interprété (dose minimale, maximale, fréquence ou intervalle).

Je trouve cet article intéressant en raison des stratégies d’interprétation des instructions posologiques qui sont très bien décrites et analysées. Les auteurs décrivent bien comment découper du texte de prescription de manière à le rendre interprétable par une machine. Dans le contexte de la prescription électronique, ces règles devraient servir à concevoir les champs utilisés pour spécifier les posologies. Et surtout, il est nécessaire de prévoir une manière de coder les paramètres variables dans des champs spécifiques, pour éviter de se retrouver avec un problème d’interprétation de texte libre.

CONSENSUS international SUR LES ALERTES ÉLECTRONIQUES POUR L’INSUFFISANCE RÉNALE AIGUE

Cette publication est le résultat d’une conférence d’experts internationaux qui sont arrivés à un consensus sur les caractéristiques des alertes électroniques d’insuffisance rénale aigue. Une revue de la littérature (malheureusement non systématique) combinée à un processus Delphi ont été utilisés pour mener au consensus. Le texte complet est disponible gratuitement sur PubMed Central.

Les grandes lignes sont:

  1. Les études sont hétérogènes et contradictoires, en plus d’être hautement dépendantes de la manière dont chaque alerte a été évaluée et des pratiques locales.
  2. La mise en place d’une alerte électronique doit prendre en compte beaucoup de facteurs, dont la fiabilité de l’alerte et sa « philosophie », le contexte clinique, la méthode d’alerte, le niveau de dérangement causé, et les attentes en termes de résultat clinique.
  3. La performance des alertes mises en place devraient être mesurées en terme d’assurance-qualité, de réponse des cliniciens et d’issues cliniques.
  4. L’alerte devrait mener à une réponse clinique, à la confirmation du diagnostic par le médecin, à la documentation dans le dossier électronique, et au suivi des paramètres du patient.

Ce qui est bien de ce consensus, c’est que malgré qu’il ait été fait spécifiquement pour l’insuffisance rénale aigue, on pourrait pratiquement l’exporter tel quel à une grande variété d’autres situations.

Autriche et france, les lacunes des fonctions d’alertes électroniques reliées à la médication

Cet article de revue avait pour objectif de caractériser les problèmes reliés au design des fonctions d’alertes électroniques reliées à la médication présentes dans les systèmes de dossiers médicaux électroniques et de prescription électronique.

La méthode de recherche, sélection et révision des articles est décrite en détail. 6380 publications ont été identifiées pour finalement aboutir à 26 qui ont rencontré les critères d’éligibilité, soit des articles ciblant des fonctions d’alertes électroniques dans des systèmes de prescription électronique de médicaments, en milieu communautaire ou en hôpital général (excluant l’urgence, et l’anesthésiologie), décrivant les problèmes d’utilisation de manière objective, et avec une qualité de méthode et de description acceptable.

Les résultats ont montré d’abord des problèmes qualifiés de généraux, en ce sens qu’ils pourraient être observés dans n’importe quel programme informatique et pas spécifiquement dans la prescription de médicaments:

  • Une mauvaise présentation visuelle, l’illisibilité, ou le manque de visibilité
  • La surcharge d’information ou une densité d’information trop élevée
  • De l’information imprécise ou un message d’erreur imprécis
  • Un comportement du système non constant d’alerte en alerte
  • Certains types d’utilisateurs ne voyant pas des alertes pertinentes pour eux
  • L’impossibilité de prendre l’action appropriée à partir de l’affichage de l’alerte

D’autres problèmes étaient spécifiques aux fonctions reliées à la médication:

  • L’affichage d’alertes peu pertinentes ou intempestives (ratio signal/bruit faible)
  • Un contenu d’alerte non à jour ou erroné
  • L’absence de texte décrivant le problème ou l’absence de références
  • L’affichage au mauvais moment durant la prescription
  • L’alerte ne s’affichant pas à la bonne personne
  • L’alerte ne pouvant pas être reportée ou vue de nouveau
  • L’alerte ne pouvant pas être transférée à un autre utilisateur

Ces éléments devraient donc être pris en considération par les personnes qui programment les alertes affichées par des systèmes informatiques.

Dans la bibliothèque: To Err is Human – Building a Safer Health System

C’est un cliché de commencer un article sur la sécurité des médicaments avec la phrase « The 1999 Institute of Medicine report To Err is Human: Bulding a Safer Health System »… Pourtant, je n’avais jamais eu l’occasion de lire ce texte durant ma formation ni dans ma pratique. J’ai donc entrepris de passer au travers durant la période des fêtes. Ce n’est pas si mal, c’est environ 200 pages, mais ce n’est pas de la lecture légère ! Le PDF est disponible en ligne gratuitement.

Alors, qu’en retient-on ? Globalement, c’est un excellent texte, dont des chapitres (les chapitres 3 et 8 en particulier) devraient selon moi être une lecture obligatoire dans le cadre de la formation des pharmaciens. De nombreuses parties du livre discutent de l’organisation des systèmes de déclaration d’erreurs et des aspects légaux, surtout pertinents aux États-Unis. D’autres chapitres examinent en profondeur les mécanismes qui conduisent aux erreurs, en particulier les erreurs médicamenteuses, et proposent des solutions réfléchies en profondeur pour y remédier.

N’importe quel professionnel de la santé fera face à des erreurs dans sa carrière, et doit comprendre les mécanismes qui mènent aux erreurs, ainsi que la manière d’y réagir, pour être préparé à cette éventualité. Tout pharmacien qui a un rôle à jouer dans l’organisation du travail, en particulier en établissement de santé, devrait connaître les réflexions qui sont exposées dans ce texte pour bien comprendre les enjeux de sécurité en soins de santé, et en particulier comment réagir face aux erreurs (error recovery).

Voici quelques points tirés du livre que je tiens à souligner, organisés par chapitre:

  • Chapitre 2: Ce chapitre commence par les données américaines des années 90 sur les erreurs en établissement de santé, mais par la suite explique bien les différents types d’erreurs et d’événements indésirables, et définit spécifiquement les erreurs liées aux médicaments. Les possibilités d’erreurs et d’événements indésirables à chaque étape du circuit du médicament sont exposées.
  • Chapitre 3: Ce chapitre examine en détail les mécanismes qui mènent à l’erreur, notamment le fait que les erreurs sont rarement causées par une seule personne qui agit mal, mais sont bien plus souvent causées par des problèmes de systèmes qui conduisent les gens à l’erreur (« systems that set people up for failure« ). L’emphase est mise sur la nécessité de comprendre les mécanismes latents qui mènent à l’erreur, pour apporter des changements aux systèmes problématiques, plutôt que de punir une personne qui aurait commis une erreur. La punition d’une seule personne a peu de chances de prévenir une nouvelle erreur similaire par une autre personne si aucun changement n’est apporté au système. Une analyse détaillée des risques d’erreurs associées aux systèmes complexes est présentée.
  • Chapitre 4: Ce chapitre discute surtout des organismes qui font la promotion de la sécurité des soins de santé aux États-Unis, mais débute par une discussion intéressante des systèmes de sécurité en place dans d’autres industries comme l’aviation.
  • Chapitre 5: Le chapitre 5 présente l’organisation des systèmes de déclaration d’erreurs aux États-Unis. La discussion est intéressante pour comprendre la différence entre les systèmes de déclaration obligatoire, qui ciblent les erreurs graves, et les systèmes de déclaration volontaire, qui ciblent les situations à risque et les erreurs de type « near-miss« .
  • Chapitre 7: Ce chapitre discute de la responsabilité de divers acteurs du milieu de la santé envers la sécurité des patients, notamment les autorités professionnelles, les organismes de réglementation, les organismes de certification professionnelle et les regroupement professionnels, ainsi que les administrateurs et les organismes qui financent le système de santé. Le tout est bien sûr centré sur les États-Unis, mais les principes qui s’en dégagent sont intéressants.
  • Chapitre 8: Le dernier chapitre du livre fait des recommandations très concrètes pour améliorer la sécurité des soins en établissement de santé. On débute par exposer les principes qui doivent guider l’organisation des systèmes de soins pour qu’une culture de sécurité existe: (1) offrir du leadership, (2) respecter les facteurs humains dans le design des processus, (3) promouvoir le travail efficace en équipe, (4) anticiper les problèmes et (5) créer un environnement qui favorise l’apprentissage. Par la suite, on présente des recommandations très détaillés sur l’utilisation des médicaments. La plupart des mesures qui sont présentées font maintenant partie de la base de l’utilisation des médicaments en établissement de santé. J’ai malgré tout été étonné de voir parmi ces principes plusieurs points qui doivent encore être défendus aujourd’hui, comme par exemple la standardisation de la méthode de prescription pour éviter les abréviations dangereuses, le retrait des médicaments et des électrolytes à haute concentration des unités de soins, la présence de pharmaciens durant les tournées médicales, la standardisation des processus pour les médicaments à haut risque, et l’implantation de la prescription électronique.

Articles de la semaine

États-Unis, améliorer la prescription selon la fonction rénale en changeant le design d’une alerte

Il s’agit d’une étude de simulation comparative de type chassé-croisé où des prescripteurs devaient prescrire trois médicaments requérant une intervention en insuffisance rénale (spironolactone, ibuprofène, allopurinol) pour deux patients adultes fictifs en clinique externe. Dans un premier scénario, une alerte sur la clairance à la créatinine leur était présentée dans le système de prescription électronique selon son design original; tandis que dans le deuxième scénario elle était avait été ajustée en fonction d’une étude préalable sur les facteurs humains influençant la perception de telles alertes.

Les modifications étaient notamment:

  • Le timing de l’alerte, qui apparaissait au moment de la sélection du médicament plutôt qu’à l’entrée du module de prescription.
  • La présentation sous forme de tableau plutôt qu’en chaîne de texte.
  • L’ajout de lien cliquables vers les résultats de laboratoire plutôt que de simples valeurs statiques.
  • L’ajout de mention spécifiques du risque encouru pour le patient.

14 médecins, 4 pharmaciens cliniciens et 2 infirmières praticiennes ont participé aux deux scénarios; il y avait une période de 2 semaines de « wash-out » entre les scénarios.

47 erreurs ont été commises dans le premier scénario, comparativement à 26 avec l’alerte au design ajusté, une différence statistiquement significative (p=0,001).  Les auteurs ont également analysé de manière qualitative les commentaires des participants, qui ont noté que l’alerte modifiée était beaucoup plus claire que l’alerte originale.

Je vous invite à aller voir la figure 1 de cet article où l’on présente des captures d’écran de l’alerte originale et de l’alerte modifiée. L’alerte originale est particulièrement laide, il s’agit d’une chaîne de texte incluant des valeurs de laboratoire, des dates, des phrases entre parenthèses et entre crochets, le tout s’affichant au moment de l’arrivée dans le module de prescription et non au moment de la prescription elle-même. Par ailleurs, elle comporte uniquement un bouton « OK », ce qui incite à cliquer dessus sans même lire l’alerte. Bref, elle fait tout pour qu’on n’en tienne pas compte.

Je trouve cet article intéressant car il illustre bien que les alertes émises par les systèmes informatiques doivent être conçues comme bien plus que de simples « pop-ups » affichant de l’information textuelle. Nous avons tous été conditionnés à fermer ce genre de fenêtre sans même en lire le contenu. Il faut exiger mieux.

États-Unis, Alertes automatisées pour prévenir les effets indésirables des médicaments

Cette étude a comparé les taux d’intervention de pharmaciens par rapport à des alertes générées par un système informatisé basé sur des règles, dans des unités de soins généraux ou de soins intensifs d’un système de santé composé de trois hôpitaux en Arizona.

Les 93 règles mises en place comportaient surtout les alertes pour le suivi des tests de laboratoire pour certains médicaments, ou encore des particularités pour des médicaments à haut risque, par exemple la prescription de timbres de fentanyl à des patients n’ayant pas d’histoire de prise d’opiacés à long terme ou la prise de mépéridine sur une base régulière (voir document supplémentaire). Les pharmaciens révisaient les alertes dans le cadre de leur travail quotidien et devaient documenter les actions prises en réponse à celles-ci. Les alertes de deux mois non consécutifs ont été collectées, ainsi que les actions prises par les pharmaciens et la réponse des médecins à ces interventions. Les taux d’intervention et de réponse ont été comparées entre les unités générales et les unités de soins intensifs.

751 alertes pour 623 patients ont été générées durant la période d’étude. 226 étaient aux soins intensifs, 525 sur les autres unités. La plupart des alertes concernaient une dose de médicament inadéquate ou un plan de suivi inadéquat. Les classes de médicaments concernées étaient le plus souvent les antithrombotiques (36%), suivi des antimicrobiens (20%) et des analgésiques (12%). Un pharmacien a procédé à une intervention en réponse à l’alerte dans 40% des cas aux soins intensifs et 45% des cas sur les unités générales. L’intervention a été acceptée par le médecin dans 90 et 86% des cas, respectivement. Les événements indésirables prévenus étaient potentiellement cliniquement significatifs dans 89 et 83% des cas, respectivement. Aucune de ces différences n’était statistiquement significative.

Je trouve cette étude pertinente car elle démontre la faisabilité d’un système informatisé pour la prévention des événements indésirables aux médicaments, comme outil de travail du pharmacien. En effet, en absence d’un tel outil, on peut passer un temps significatif à réviser des profils médicamenteux ou des résultats de laboratoire afin de détecter des problèmes, alors qu’un outil informatique bien paramétré peut faire le même travail automatiquement. À noter que le paramétrage d’un tel système est primordial; dans l’étude ici présentée, les alertes étaient établies par un comité sur lequel des pharmaciens étaient présents. En effet, l’utilisation d’un système commercial tel quel ou le paramétrage d’alertes sans l’apport de pharmaciens cliniciens au processus de paramétrage risque de rendre l’outil non pertinent et de compromettre grandement son utilisation.

Autriche, Un dossier de santé partagé pour mieux détecter les interactions et duplications de médicaments

L’Autriche prévoit implanter un dossier de santé électronique partagé consultable par l’ensemble des professionnels impliqués dans la prise en charge d’un patient, et comportant les médicaments, en 2015. Ce dossier semble comparable à notre Dossier de Santé Québec, le DSQ.

Cette étude a utilisé une banque de données nationale de réclamations d’assurances pour estimer le nombre d’interactions et de duplications supplémentaires qui pourraient être détectées à l’aide d’un tel système.

Un échantillon d’environ un million de patients a été inclus dans l’étude, avec 27 millions de prescriptions de médicaments du 15 février 2006 au 30 juin 2007. Fait intéressant pour ceux qui ont un intérêt pour les préparations magistrales, celles-ci ont dû être exclues de l’étude lorsque leur ingrédient actif était mal codé dans le système, une situation que l’on observe souvent en pratique ici. Les durées de traitement ont été simulées selon les DDD et la quantité prescrite du médicament réclamé. Une alerte d’interaction ou duplication était générée lorsque cette simulation démontrait que deux médicaments similaires ou interagissant entre eux était pris en même temps. Les auteurs ont simulé le nombre de détections en fonction de l’information disponible pour un seul prescripteur (situation sans dossier partagé) ou pour l’ensemble des prescripteurs (situation avec dossier partagé).

La simulation a démontré que le dossier électronique partagé permettrait une augmentation d’environ 20% du nombre de patients pour lesquels une interaction médicamenteuse sévère peut être détectée, à travers tous les groupes d’âge. Le même effet peut être vu pour les interactions de sévérité moindre et pour les duplications. L’étude démontre également que la probabilité de détecter une interaction médicamenteuse sévère augmente de manière exponentielle avec l’âge, probablement parce que les personnes plus âgées ont tendance à prendre plus de médicaments.

Il s’agit d’une étude pertinente pour les pharmaciens québécois car elle démontre qu’un dossier du même type que le DSQ (un dossier électronique partagé national comportant les médicaments) peut améliorer la prise en charge médicamenteuse au niveau de la détection des interactions et des duplications. L’effet se manifeste surtout pour les personnes qui consultent plus d’un médecin ou plus d’un pharmacien. Malheureusement l’étude est fortement basée sur une simulation; les résultats réels pourraient être très différents. De plus, la perspective de l’étude est basée sur celle du prescripteur, les auteurs assument que c’est l’accès du prescripteur à la liste des médicaments du patient qui permet la prévention de l’interaction. Dans la pratique québécoise, on pourrait argumenter que ce genre de détection a souvent lieu au niveau du pharmacien, notamment lorsque plusieurs prescripteurs (généralistes, spécialistes, urgentistes) font des ordonnances à un même patient.