Une étude sur l’autovérification des prescriptions à haut volume et faible risque

L’arrivée de la prescription électronique et des dossiers électroniques intégrés affecte considérablement le travail du pharmacien, en particulier au niveau de la validation des ordonnances. Dans le mode de travail traditionnel de la prescription et de la validation d’ordonnances en établissement de santé, les ordonnances rédigées sur papier sont transmises à la pharmacie par fax ou par numérisation. Il s’agit actuellement du fonctionnement le plus fréquent au Québec. Dans ce mode, le pharmacien en distribution est tributaire de la transmission d’ordonnances par un tiers; il ne peut vérifier que les ordonnances qu’on lui envoie, et bien que techniquement « toutes » les ordonnances sont censées être vérifiées, un grand nombre d’ordonnances, notamment celles destinées à une utilisation en dose unique d’un médicament disponible directement sur l’unité de soins, ne sont jamais transmises à la pharmacie.

Avec le passage aux dossiers électroniques intégrés ou à la prescription électronique dans un logiciel dédié à cette fin interfacé avec la pharmacie, la barrière humaine à la transmission d’ordonnances n’existe plus, celle-ci devient automatique. Il devient possible pour le pharmacien d’avoir accès en temps réel à toutes les ordonnances, incluant un grand nombre qui n’étaient pas accessible avant. De ce changement découle un dilemme: les pharmaciens pourraient vouloir continuer à vérifier toutes les ordonnances, incluant celles nouvellement accessibles, mais cette charge de travail additionnelle demande un investissement en ressources, qui, en contexte de pénurie de personnel, risque d’entraîner des ruptures d’autres services dont la valeur ajoutée est potentiellement plus grande, notamment les soins pharmaceutiques. Pour beaucoup des ordonnances nouvellement transmises, comme le démontre la littérature sur le sujet et comme je constate dans ma propre expérience, la validation prospective par le pharmacien est d’une valeur ajoutée plutôt limitée.

Pourtant, dans plusieurs logiciels de dossiers électroniques, en particulier ceux basés sur les pratiques américaines, il est attendu que la majorité des ordonnances soient vérifiées prospectivement par un pharmacien. Ceci n’est pas étranger à plusieurs publications autour de 2010, le moment où le déploiement des dossiers électroniques intégrés a commencé aux États-Unis, qui parlaient des risques de submerger les pharmaciens d’ordonnances à vérifier ayant peu de valeur ajoutée et risquant d’affecter la capacité à offrir des soins cliniques. Cette inquiétude est toujours d’actualité, une publication en 2019 disait:

The verification of low complexity orders is a basic and repetitive drug distribution function that pharmacists frequently characterize as rote work due to the extremely low rate of problems. The most serious concerns, such as drug allergies, drug interactions, and dosing errors are generally identified using clinical decision support rules and alerts, while others would need to be identified through anomalous or important patient-specific factors that arise during routine profile review or clinical rounds. Verification of these low complexity orders may actually increase the risk of error due to the lack of vigilance by the pharmacist when reviewing these orders, similar to errors of omission seen with alert fatigue.

En réponse à cette inquiétude, plusieurs logiciels ont développé des fonctionnalités « d’autovérification » permettant de soustraire des ordonnances rencontrant certains critères à la vérification prospective du pharmacien. Paradoxalement, les standards de pratique américains, notamment les standards d’excellence de l’ASHP, découragent l’utilisation de cette fonction. Je crois que l’on peut assumer que ceci est bien intentionné, en encourageant les pharmaciens à limiter cette pratique au minimum à des fins de sécurité. De même, les normes d’agrément américaines de la Joint Commission demandent une vérification des ordonnances par un pharmacien avant que celles-ci deviennent disponibles pour retrait des cabinets et administration dans la FADM électronique, sauf pour des cas d’exception bien définis.

Une publication parue récemment dans l’AJHP, s’est penchée sur ce sujet dans le contexte de l’urgence. Elle avait pour objectif d’évaluer l’effet de la fonction d’autovérification d’ordonnances activée à l’urgence pour des ordonnances rencontrant des critères de haut volume et faible risque, sur la charge de travail de vérification d’ordonnances des pharmaciens. L’étude a eu lieu dans deux hôpitaux, le premier académique et le deuxième communautaire, au Wisconsin. Dans l’hôpital académique, un pharmacien était présent à l’urgence 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, alors que l’hôpital communautaire ne disposait pas de pharmacien à l’urgence.

Une liste de médicaments éligibles à l’autovérification a été établie à l’aide d’une revue rétrospective de 3 mois de données de prescription (36 000 prescriptions de août à octobre 2019). 10 médicaments représentaient près de la moitié de toutes les ordonnances. Un comité multidisciplinaire incluant des médecins, infirmières, pharmaciens cliniciens et pharmaciens en informatique clinique ont établi des critères pour évaluer ces médicaments à partir de listes de l’ISMP dont la liste des médicaments à haut risque. Les antibiotiques, analgésiques à longue action et vaccins ont été exclus. Ensuite, une logique clinique a été programmée dans le logiciel de dossier électronique. Celle-ci est détaillée dans le texte complet, mais essentiellement l’ordonnance devait figurer à la liste prédéterminée, ne déclencher aucune alerte dans le système d’aide à la décision, être disponible dans les cabinets de l’urgence, et destinée à une administration à l’urgence pour un patient adulte.

Ensuite, toutes les ordonnances du 20 au 29 janvier 2020 ont été évaluées rétrospectivement pour vérifier si les critères ainsi établis étaient adéquats. Celles-ci ont été révisées indépendamment par deux pharmaciens pour déterminer si une intervention aurait été requise sur l’ordonnance au moment de sa vérification. 7433 ordonnances ont été émises durant la période, dont 3057 rencontrant les critères d’autovérification. 18 ont requis une intervention du pharmacien et 75 n’ont jamais été révisées par un pharmacien pour diverses raisons, pour un total de 93 qui ont été évaluées par les deux pharmaciens; 2 de ces 93 auraient requis une intervention, soit 0,07% du total. L’autovérification aurait permis de réduire la charge de travail de validation des ordonnances de 40%.

Les auteurs concluent donc que l’autovérification de médicaments à haut volume et faible risque est possible dans le contexte de l’urgence sans présenter de risque significatif pour les patients, et permet de diminuer significativement la charge de travail de vérification d’ordonnances.

Je trouve cet article très intéressant car dans le contexte québécois actuel, il s’agit de médicaments pour lesquels les ordonnances ne se rendent probablement pas à la pharmacie, je vous invite à consulter la liste dans l’article, mais on voit qu’il s’agit essentiellement de solutés sans additifs, d’analgésiques à courte action et d’antinauséeux. Dans ma pratique, je conste à peu près la même chose: la vaste majorité des ordonnances à haut volume nouvellement transmises suite au déploiement de la prescription électronique sont dans ces catégories. Dans le contexte de la prescription électronique, en plus, ces ordonnances sont souvent générées à l’aide de règles d’aide à la décision, notamment le calcul automatique de dose et les order sets, les rendant peu susceptibles de contenir une erreur. Avec le déploiement à venir à plus grande échelle de la prescription électronique, du circuit du médicament en boucle fermée et des dossiers électroniques intégrés au Québec, je pense que nous avons une opportunité de définir quelles ordonnances méritent vraiment une validation prospective par le pharmacien et de se servir des technologies pour éviter un accroissement indu de la charge de travail en distribution.

Les aspects technos du rapport canadien sur la pharmacie hospitalière 2020-2021

Le volet québécois du rapport canadien sur la pharmacie hospitalière a été publié dans le Pharmactuel récemment. J’ai parlé en 2018 de la dernière édition de ce rapport qui couvrait les années 2016 et 2017. Le rapport a aussi fait l’objet d’un épisode de Trait Pharmacien qui vaut la peine d’être écouté. Comme à l’habitude, je me concentrerai ici uniquement sur les aspects de technologie contenus dans ce rapport, cependant celui-ci contient bien plus de données que ce dont je parle.

Au total, 144 réponses ont été reçues au Canada dont 36 (25%) du Québec. L’Alberta n’a pas répondu à l’enquête. Au Québec, des données ont été fournies par 23 des 26 chefs de département pour au moins une installation, résultant en 56 des 73 (77%) installations d’au moins 50 lits au Québec qui sont représentées dans le sondage.

Au niveau de la distribution des médicaments, tous les répondants du Québec (100%) utilisent un système de distribution unitaire centralisée couvrant en moyenne 87% des lits de courte durée, une donnée similaire à ce qu’elle était en 2016-2017, comparativement à 77% des répondants au Canada couvrant 71% des lits de courte durée. En ce qui a trait à la distribution à partir de cabinets, 47% des répondants du Québec utilisent ce système pour couvrir en moyenne 20% des lits, encore une fois de manière stable par rapport à 2016-2017, comparativement à 62% des répondants canadiens couvrant 56% des lits. Il n’est malheureusement pas clair si on parle de l’utilisation de ces systèmes en premier recours pour la distribution des doses d’entretien, comme c’est la tendance aux États-Unis, ou simplement de l’existence de ces systèmes en complément à la distribution unitaire. D’expérience, j’ai bien l’impression qu’il s’agit de la deuxième option. 97% des répondants au Québec ont des cabinets présents dans leur établissement, comparativement à 89% au Canada. 6/36 (17%) au Québec ont recours à un robot de préparation pour les doses unitaires comparativement à 28/142 (20%) au Canada.

Pour les aspects d’informatisation clinique à proprement parler, on note les faits suivants:

  • 9% (3/36) des répondants au Québec affirment disposer d’un prescripteur électronique (égal à 2016-2017), contre 19% au Canada, dont 1 au Québec (33%) qui ne dispose pas d’interface avec le SIP et demande de la transcription, alors que 3 au Canada (11%) sont dans cette situation.
  • 83% des répondants au Québec ont recours à des pompes intelligentes (vs 77% en 2016-2017) comparativement à 93% au Canada.
  • 77% des répondants au Québec vérifient les doses distribuées par code-barres (vs 58% en 2016-2017), comparativement à 36% au Canada. En contraste, aucun établissement au Québec ne rapporte d’utilisation du code-barres au moment de l’administration, alors que ce pourcentage varie entre 6 et 14% au Canda dépendamment de l’aspect concerné (identité du patient, du personnel ou du produit). 1 (3%) répondant au Québec affirme utiliser le code-barres pour programmer les pompes intelligentes avec des données du patient ou des médicaments, comparativement à 4 (3%) au Canada.
  • Au Québec, 94% des répondants (tous sauf 2) ont recours à une FADM papier produite à partir du SIP, alors que c’est le cas pour 61% des répondants au Canada, où 25% utilisent une FADM électronique et 14% une FADM entièrement manuelle. 2 répondants au Québec affirment utiliser une FADM électronique.

Le rapport comporte, aux pages 202 à 208, toute une section décrivant l’état de différents aspects de l’utilisation des technologies dans les établissements de santé et les départements de pharmacie. On note des sections sur:

  • Le niveau d’informatisation des établissements
  • Le DSQ
  • Le Carnet Santé Québec
  • La gouvernance de l’informatisation clinique
  • Prescription Québec
  • Le projet de Dossier Santé Numérique
  • Le développement de l’informatique clinique en pharmacie
  • Les lacs de données (et leur utilisation des données de pharmacie)
  • La gestion des équipements et différentes modalités d’utilisation de l’informatique comme l’infonuagique

Je retiens que l’informatisation clinique est un sujet d’actualité et les projets sont nombreux. Bien que les résultats concrets tardent à se manifester au niveau du circuit du médicament en établissement (les indicateurs n’ont pas beaucoup bougé depuis la dernière enquête, la pandémie de COVID-19 y étant surement pour quelque chose), l’intérêt pour l’informatisation et grands et plusieurs projets en cours dans plusieurs établissements cours font en sorte qu’on doit être très proactifs et vigilants sur ce sujet. J’espère que la prochaine édition du rapport montrera une évolution favorable dans ce domaine.

Données 2020 sur la dispensation et l’administration des médicaments dans les hôpitaux américains

L’édition 2020 du sondage de l’ASHP portait sur la dispensation et l’administration des médicaments. Je parlerai ici uniquement des aspects liés aux technologies de ces deux éléments. La méthode de sondage utilisée est presque toujours la même et est décrite dans l’article. Il s’agit essentiellement d’un questionnaire standardisé où un échantillon d’hôpitaux conçu pour être représentatif est invité à répondre.

1437 hôpitaux ont été invités à répondre, dont 300 de moins de 50 lits et tous (137) les hôpitaux de plus de 600 lits. 269 départements de pharmacie ont répondu pour un taux de réponse de 19%.

43% des hôpitaux répondants avaient une pharmacie ouverte 24 heures par jour (similaire à 43% en 2017). 30% des hôpitaux avaient plutôt recours à une entreprise externe offrant des services de validation 24 heures, comparativement à 21% en 2017. 5% des hôpitaux avaient recours à un pharmacien sur appel ou à distance, et 15% à un hôpital affilié pour valider à distance. Dans 8% des hôpitaux, il n’y avait pas de vérification d’ordonnances la nuit, principalement des petits hôpitaux.

4% des hôpitaux utilisaient un robot de dispensation (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 75% des hôpitaux utilisaient les cabinets comme mode de dispensation principal pour les doses d’entretien des médicaments, comparativement à 70% en 2017. La dispensation unitaire préparée manuellement (comme on la pratique dans la plupart des hôpitaux du Québec), ne représentant plus que 20% des hôpitaux américains.

66% des hôpitaux utilisent le code-barres à la dispensation à la pharmacie, dont 94% des hôpitaux de plus de 600 lits. 81% des hôpitaux utilisaient le code-barre comme vérification au restockage des cabinets. 21% des hôpitaux utilisaient un logiciel d’assistance aux préparations stériles (66% des hôpitaux de plus de 600 lits); 33% des hôpitaux scannent les code-barres des ingrédients des préparations, 25% prennent des photos ou vidéos, et 5% utilisent la gravimétrie (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 3% des hôpitaux utilisaient un robot de préparation stérile, dont 1.6% pour la chimiothérapie.

88% des hôpitaux utilisent des pompes intelligentes, 13% permettent la programmation des pompes automatiquement à partir du logiciel de dossier électronique ou de la FADM électronique, et 15% récupèrent les données des pompes pour alimenter les données du dossier électronique (ex: bilan ingesta/excreta).

Ce sondage démontre définitivement une progression des technologies de dispensation et de sécurisation du circuit du médicament, vers la cible d’un circuit en boucle fermée. Le service des médicaments en cassettes préparées manuellement aux 24 heures est en déclin pour être remplacé par la dispensation via les cabinets ou les robots de préparation pour les très gros hôpitaux. Ce sera intéressant de suivre cette tendance au Québec dans les prochaines années.