Données sur la pratique de la pharmacie en 2021 dans les hôpitaux américains

La publication de cette année du sondage de l’ASHP portait sur les pratiques de soins pharmaceutiques et les technologies utilisées dans le cadre des soins, entre autres. Je parlerai ici uniquement des aspects liés aux technologies. La méthode de sondage utilisée est presque toujours la même et est décrite dans l’article. Il s’agit essentiellement d’un questionnaire standardisé où un échantillon d’hôpitaux conçu pour être représentatif est invité à répondre.

1498 hôpitaux ont été invités à participer, dont 352 de moins de 50 lits, et tous (139) les hôpitaux de plus de 600 lits. 328 ont répondu, pour un taux de réponse de 22%.

Dans 81% des hôpitaux, les pharmaciens documentent leurs interventions cliniques de manière routinière dans le dossier électronique. Les pharmaciens utilisent des technologies du dossier électronique ou des logiciels de surveillance automatisée pour surveiller la thérapie médicamenteuse dans 83% des hôpitaux. Seulement 18% des répondants avaient recours à un suivi complètement manuel, comparativement à 75% et 25%, respectivement, en 2018.

Les fonctionnalités analytiques de base (utilisation des données des pompes intelligentes, logiciels d’aide à la décision, automatisation de la préparation et de la dispensation) sont utilisées dans 88% des hôpitaux, comparativement à 71% en 2020. L’analytique avancée, incluant l’intelligence artificielle et l’analyse prédictive, étaient utilisées dans 4% des hôpitaux, comparativement à 2.6% en 2020. Des données sont compilées pour démontrer la valeur des soins pharmaceutiques dans 68% des hôpitaux, incluant la fréquence et le type des interventions (90%), les coûts épargnés (65%), le temps passé par les pharmaciens à offrir des soins (59%). Fait intéressant, la proportion d’hôpitaux compilant les taux de réadmission comme marqueurs du travail des pharmaciens ainsi que des mesures de satisfaction des patients étaient de 30% et 28%, respectivement.

La télépharmacie est utilisée dans 26% des hôpitaux. Les technologies utilisées sont évidemment le téléphone d’abord (59%) suivi de la vidéoconférence (30%).

Ce sondage démontre bien l’importance grandissante des technologies dans le processus de soins pharmaceutiques, d’abord aux fins de surveillance des patients et d’identification des patients prioritaires pour le pharmacien; et ensuite à des fins de documentation des interventions et d’analytique de cette documentation pour démontrer la valeur des soins pharmaceutiques.

Évaluation d’une documentation échantillonnée ou systématique des interventions du pharmacien

Les pharmaciens travaillant en établissement de santé doivent documenter les interventions qu’ils effectuent dans une perspective d’abord clinique, dans le dossier du patient, mais également avec une visée administrative afin de documenter le volume d’interventions effectuées par ceux-ci, leur impact et démontrer la valeur ajoutée du pharmacien dans le processus de soins. D’ailleurs, le rapport sur le projet d’indicateurs de performance en pharmacie de l’APES a récemment été publié.

La dernière fois dont je vous ai parlé de documentation de l’activité du pharmacien, je parlais de la mise en place d’un processus standardisé de documentation supporté par le dossier électronique d’une institution. Une étude publiée dans l’AJHP de décembre amène de nouvelles données très intéressantes sur la quantification de ces activités. L’étude s’est déroulée dans un hôpital académique australien de 950 lits comportant en moyenne 16 pharmaciens travaillant sur les unités de soins à chaque jour. L’étude avait pour objectif de comparer, avec un devis pré-post, une méthode de quantification des activités du pharmaciens par audits mensuels à une quantification quotidienne appuyée sur le dossier électronique.

Dans la phase pré, de janvier 2018 à juillet 2019, des audits mensuels à une date aléatoire, mais organisée de façon à collecter chaque jour de la semaine sur une période de 5 mois, étaient réalisés. Chaque jour d’audit, les pharmaciens notaient leurs interventions sur papier, en plus de les documenter dans le dossier du patient selon les normes habituelles. Dans la phase post, de juillet 2019 à mars 2020, les interventions des pharmaciens étaient comptées à partir de la documentation clinique électronique. Une formation a été offerte aux pharmaciens afin que ceux-ci réalisent adéquatement la documentation électronique. Les activités documentées ont été découpées en interventions de type « processus » (révision du profil pharmacologique et du dossier, conseils, information et communication), et de type « interventions pharmacothérapeutiques » (changement aux médicaments, aux doses, bref aux ordonnances en général). L’objectif primaire était de comparer le nombre d’interventions par jour.

3628 ont eu lieu durant les 14 jours d’audits de la phase pré, et 9300 interventions durant 163 jours en phase post. Le nombre d’interventions par jour est donc passé de 259 ± 82 à 57 ± 33, une différence statistiquement significative. Les interventions de tous les types ont diminué, de même que le nombre d’intervention par pharmacien par jour, passant de 24 ± 5 à 6 ± 2. Une analyse de séries temporelles interrompues ont aussi montré une différence significative entre les phases pré et post non expliquée par les tendances globales. Fait intéressant, en constatant la diminution du nombre d’interventions, les chercheurs ont décidé de refaire 3 jours d’audits durant la période post, et les résultats de ces audits ont donné des résultats similaires à ceux de la phase pré.

La discussion de l’article est très intéressante et devrait être lue dans son entièreté pour bien interpréter les résultats de cette étude. Les auteurs parlent notamment de la différence entre les indicateurs de performance et de qualité comparativement au simple décompte d’interventions, ainsi que de la quantification de l’importance des interventions effectuées.

Néanmoins, on peut définitivement voir qu’une collecte quotidienne des interventions du pharmacien résulte en une sous-évaluation du nombre d’interventions réalisées, et qu’une collecte par audits fait ressortir un nombre d’interventions plus élevé. Il est cependant incertain dans cette étude si les limites de l’outil électronique utilisé (le temps requis pour documenté ? une documentation incorrecte rendant introuvable les interventions ?) auraient pu mener à cette sous-déclaration, ou s’il s’agit d’un réel effet où les pharmaciens sont plus attentifs à la comptabilisation de leurs activités lorsque celle-ci est réalisée ponctuellement. Les auteurs mentionnent dans la discussion la possibilité que les pharmaciens se soient concentré sur la documentation des interventions plus importantes dans la phase post.

Données sur la prescription en 2019 dans les hôpitaux américains

La publication de cette année du sondage annuel de l’ASHP décrit les pratiques de prescription et de « transcription » (peut-on vraiment encore parler de transcription dans les dossiers électroniques intégrés modernes ?) en 2019. La dernière mise à jour sur ce sujet spécifiquement remonte à 2016. L’article contient des données sur énormément d’aspects de la pratique. Cependant, je ne parlerai ici que des points qui concernent les technologies.

La même méthode qu’à l’habitude a été suivie. 4863 hôpitaux ont été invités à répondre dont 526 (10,8%) ont répondu. On voit que bien plus d’hôpitaux que par les années précédentes ont été invités, et le taux de réponse est plus faible, mais en absolu le nombre d’hôpitaux est dans le même ordre de grandeur que par les années précédentes. Les hôpitaux qui ont répondu était plus grands et moins représentatifs du sud des États-Unis que tout l’échantillon invité.

Seulement 0,6% des hôpitaux de moins de 50 lits (n=169, donc un seul répondant) n’ont pas de dossier électronique ou de prescription électronique, un contraste majeur avec la situation canadienne et québécoise même si on sait que plusieurs initiatives d’informatisation sont en cours. D’ailleurs, la plupart des éléments de sécurisation de la prescription que j’énumère plus loin ne sont même pas envisageables dans les systèmes de prescription actuels au Québec, majoritairement sur papier ou avec des systèmes électroniques rudimentaires.

Les stratégies de gestion de la prescription en place dans les systèmes informatiques incluent:

  • L’inclusion uniquement des médicaments au formulaire dans les choix possibles pour 75% des répondants.
  • L’arrondissement ou la standardisation des doses pour 63% des répondants.
  • La redirection à des choix de médicaments au formulaire dans 59% des cas.
  • L’intégration d’une application d’information sur les médicaments à l’interface de prescription électronique dans 56% des cas.
  • L’aide à la décision pour la prescription d’antimicrobiens dans 48% des cas.
  • La restriction de l’entrée de médicaments hors formulaire aux pharmaciens dans 46% des cas.
  • La documentation de l’indication du médicament dans la prescription de médicaments à haut risque comme mesure de sécurité dans 44% des cas et pour tous les médicaments dans 21% des cas.
  • L’information sur les ruptures de stock dans 40% des cas.
  • L’information sur les coûts du traitement dans 10% des cas.

À noter que les proportions d’utilisation de ces fonctionnalités étaient toutes plus élevées dans les gros hôpitaux, sauf pour la restriction de prescription des médicaments hors formulaire aux pharmaciens, la documentation de l’indication pour tous les médicaments et la communication d’information sur les coûts. On peut s’imaginer que la lourdeur de la gestion de ces mécanismes dans le cas des gros hôpitaux par rapport au bénéfice rapporté peut expliquer ces choix. On note aussi que les taux d’utilisation de plusieurs fonctionnalités est en hausse.

65% des hôpitaux collectent et analyses les données reliées aux interventions des pharmaciens, incluant le plus fréquemment le type et la fréquence des interventions dans 91% des cas et le temps passé à intervenir dans 62% des cas.

62% des hôpitaux utilisent les fonctionnalités « d’autovérification » des médicaments dans le dossier électronique. Dans 53% des cas, ceci est en place pour des départements précis et dans 50% des cas pour des médicaments sélectionnés. Des études récentes démontrent que le processus de vérification des ordonnances de médicaments doit être repensé pour que le temps et les capacités des pharmaciens soit utilisés adéquatement.

Parmi les fonctionnalités d’aide à la décision en place dans les dossiers électroniques, les alertes d’allergies, d’interactions de médicaments et de duplication étaient en place pratiquement partout (99.8%). Les alertes de dose élevée ou faible ou de dose basée sur le poids ou la surface corporelle étaient utilisées par respectivement 80% et 66% des répondants, et le remplissage automatique de la posologie était utilisé dans 55% des hôpitaux, avec encore une fois une tendance à une utilisation plus fréquente des fonctionnalités dans les plus gros hôpitaux. Dans 65% des hôpitaux, les pharmaciens voient plus d’alertes que les médecins. La personnalisation des alertes était utilisée dans seulement 50% des cas, les autres hôpitaux utilisant telles quelles les alertes de la base de données de leur système. Les hôpitaux personnalisant les alertes le faisaient soit sur la base de recommandations d’un comité, avec des règles établies, selon le jugement de médecins et de pharmaciens, ou selon des lignes directrices. 70% des hôpitaux utilisent un système qui permet l’affichage d’information clinique pertinente au moment de prescrire.

60% des hôpitaux ont une interface permettant la consultation des médicaments à domicile du patient, 24% permettent de vérifier la couverture d’assurance et 20% de soumettre des demandes à l’assureur. Seulement 27% des hôpitaux ne permettaient pas la prescription d’ordonnances externes dans leur dossier électronique.

L’utilisation d’appareils mobiles en pratique clinique par les pharmaciens avait lieu dans 58% des hôpitaux, principalement pour la consultation d’informations sur les médicaments et la communication.

Dans la pharmacie spécifiquement, les logiciels d’assistance aux préparations stériles étaient utilisées par 20% des hôpitaux, 36% utilisaient le code-barres pour la vérification des ingrédients, 20% prenaient des photos et 4.4% utilisaient la gravimétrie. À noter que quand même 56% des hôpitaux n’utilisaient aucune technologie pour les préparations stériles.

En ce qui a trait aux cabinets automatisés, plusieurs stratégies de prévention de diversion des substances contrôlées sont populaires, notamment la révision des écarts de décompte dans les 24 heures, l’utilisation uniquement de pochettes verrouillées pour les médicaments à risque de diversion, ainsi que diverses stratégies de gestion des niveaux d’inventaires, de remplissage et d’accès aux médicaments uniquement selon le profil pharmacologique du patient.

En ce qui a trait aux regroupements d’hôpitaux, on note que parmi les hôpitaux faisant partie d’un réseau, 85% partagent une équipe d’informatique de pharmacie, 81% ont un dossier électronique commun, et 43% ont recours à la télépharmacie.

La discussion de l’article est intéressante et décrit bien les tendances observées dans l’article et leur évolution à travers le temps. Je remarque tout de même que l’informatisation à venir du réseau de la santé Québécois sera une occasion pour les pharmaciens d’améliorer la prescription et l’utilisation des médicaments à l’aide d’outils technologiques, pour autant que l’effort et les ressources requises pour bien configurer, déployer et maintenir ces outils soient fournis.