Je ne connais pas beaucoup d’études décrivant l’expérience des hôpitaux canadiens dans l’implantation de dossiers électroniques, et encore moins l’effet de ces implantations sur le travail du pharmacien. J’ai donc été agréablement surpris de voir une étude dans le CJHP d’avril 2023, une étude dont l’objectif était de décrire l’effet de l’implantation d’un dossier électronique intégré en Alberta sur les pratiques de prescription des pharmaciens.
L’étude a eu lieu dans un hôpital universitaire affilié à l’Université de l’Alberta. L’Alberta est actuellement en processus de déploiement d’un dossier électronique intégré à l’échelle provinciale. Le logiciel en question a été déployé dans cet établissement en 2019. Les auteurs ont voulu comparer les pratiques de prescription indépendante par les pharmaciens en vertu de leur « additional prescribing authorization » (les détails sont expliqués dans le texte complet de l’article, on comprend qu’il s’agit d’une modalité permettant aux pharmaciens dans les hôpitaux de prescrire de manière indépendante n’importe quel médicament). Les prescriptions faites par les pharmaciens sur papier du 15 au 28 janvier 2019 ont été comparées à celles faites électroniquement du 15 au 28 janvier 2020. Seules les prescriptions indépendantes pour des patients hospitalisés et concernant des médicaments ont été retenues. Notamment, les prescriptions verbales, les prescriptions pour des analyses de laboratoires et pour des interventions non médicamenteuses ont été exclues. Un calcul de taille d’échantillon a été fait pour s’assurer d’inclure suffisamment de prescriptions pour détecter un changement dans les pratiques.
1049 prescriptions ont été incluses dans la période pré et 2522 dans la période post, représentant un taux de 2,23 prescriptions par quart de travail en pré et 5,99 en post. La différence était statistiquement significative avec un intervalle de confiance sur la différence de taux allant de 1,97 à 5,96. La proportion d’ordonnances d’initiation et de modification a diminué entre les périodes pré et post (47% à 28% pour les initiations, 27,3% à 11,8% pour les modifications. Notons cependant que le nombre absolu a quand même augmenté pour les deux), alors que la proportion d’ordonnances de cessation a augmenté (20% à 58%). Les classes les plus ciblées par les pharmaciens en pré étaient les médicaments gastro-intestinaux, les antibiotiques et les vitamines, alors qu’en post il s’agissait des médicaments gastro-intestinaux, des antibiotiques et des médicaments cardiovasculaires. Les pharmaciens de médecine interne et de cardiologie étaient les plus grands prescripteurs à la fois en pré et en post.
Les auteurs affirment que leurs données démontrent que l’implantation du dossier intégré et spécifiquement de la prescription électronique a affecté positivement leur capacité à pratiquer au meilleur de leur capacité. Ils citent la facilité de faire eux-mêmes les prescriptions dans le système, la disponibilité de toute l’information concernant le patient, et le système de messagerie intégré dans le logiciel comme des facilitateurs. Ils notent cependant comme inconvénient qu’il revient parfois aux pharmaciens de corriger des prescriptions erronées faites dans le système par d’autres prescripteurs, en particulier peu de temps après le déploiement. Ils soulignent également que l’augmentation importante du nombre de cessations faites par les pharmaciens pourrait être une conséquence de la manière dont le système génère l’histoire médicamenteuse (le fameux MSTP) à partir des épisodes de soins antérieurs. En effet, ceci résultait en la présence de plusieurs médicaments n’étant pas réellement pris par le patient à domicile, et devant être cessés après la réalisation du bilan comparatif à l’admission.
Cette étude me semble très pertinente pour les pharmaciens. Elle démontre que l’activité de prescription par les pharmaciens se trouve grandement facilitée par l’implantation d’un dossier électronique intégré et que cela semble permettre aux pharmaciens de pratiquer à un niveau plus élevé. Je retiens cependant la nécessité pour les pharmaciens de corriger les erreurs des autres prescripteurs, de même que les erreurs causées par l’automatisation de l’histoire médicamenteuse et du bilan comparatif, comme des éléments à surveiller et à tenter d’éviter lors de l’implantation de ces logiciels.