Articles de la semaine

États-Unis, améliorer la prescription selon la fonction rénale en changeant le design d’une alerte

Il s’agit d’une étude de simulation comparative de type chassé-croisé où des prescripteurs devaient prescrire trois médicaments requérant une intervention en insuffisance rénale (spironolactone, ibuprofène, allopurinol) pour deux patients adultes fictifs en clinique externe. Dans un premier scénario, une alerte sur la clairance à la créatinine leur était présentée dans le système de prescription électronique selon son design original; tandis que dans le deuxième scénario elle était avait été ajustée en fonction d’une étude préalable sur les facteurs humains influençant la perception de telles alertes.

Les modifications étaient notamment:

  • Le timing de l’alerte, qui apparaissait au moment de la sélection du médicament plutôt qu’à l’entrée du module de prescription.
  • La présentation sous forme de tableau plutôt qu’en chaîne de texte.
  • L’ajout de lien cliquables vers les résultats de laboratoire plutôt que de simples valeurs statiques.
  • L’ajout de mention spécifiques du risque encouru pour le patient.

14 médecins, 4 pharmaciens cliniciens et 2 infirmières praticiennes ont participé aux deux scénarios; il y avait une période de 2 semaines de « wash-out » entre les scénarios.

47 erreurs ont été commises dans le premier scénario, comparativement à 26 avec l’alerte au design ajusté, une différence statistiquement significative (p=0,001).  Les auteurs ont également analysé de manière qualitative les commentaires des participants, qui ont noté que l’alerte modifiée était beaucoup plus claire que l’alerte originale.

Je vous invite à aller voir la figure 1 de cet article où l’on présente des captures d’écran de l’alerte originale et de l’alerte modifiée. L’alerte originale est particulièrement laide, il s’agit d’une chaîne de texte incluant des valeurs de laboratoire, des dates, des phrases entre parenthèses et entre crochets, le tout s’affichant au moment de l’arrivée dans le module de prescription et non au moment de la prescription elle-même. Par ailleurs, elle comporte uniquement un bouton « OK », ce qui incite à cliquer dessus sans même lire l’alerte. Bref, elle fait tout pour qu’on n’en tienne pas compte.

Je trouve cet article intéressant car il illustre bien que les alertes émises par les systèmes informatiques doivent être conçues comme bien plus que de simples « pop-ups » affichant de l’information textuelle. Nous avons tous été conditionnés à fermer ce genre de fenêtre sans même en lire le contenu. Il faut exiger mieux.

États-Unis, Alertes automatisées pour prévenir les effets indésirables des médicaments

Cette étude a comparé les taux d’intervention de pharmaciens par rapport à des alertes générées par un système informatisé basé sur des règles, dans des unités de soins généraux ou de soins intensifs d’un système de santé composé de trois hôpitaux en Arizona.

Les 93 règles mises en place comportaient surtout les alertes pour le suivi des tests de laboratoire pour certains médicaments, ou encore des particularités pour des médicaments à haut risque, par exemple la prescription de timbres de fentanyl à des patients n’ayant pas d’histoire de prise d’opiacés à long terme ou la prise de mépéridine sur une base régulière (voir document supplémentaire). Les pharmaciens révisaient les alertes dans le cadre de leur travail quotidien et devaient documenter les actions prises en réponse à celles-ci. Les alertes de deux mois non consécutifs ont été collectées, ainsi que les actions prises par les pharmaciens et la réponse des médecins à ces interventions. Les taux d’intervention et de réponse ont été comparées entre les unités générales et les unités de soins intensifs.

751 alertes pour 623 patients ont été générées durant la période d’étude. 226 étaient aux soins intensifs, 525 sur les autres unités. La plupart des alertes concernaient une dose de médicament inadéquate ou un plan de suivi inadéquat. Les classes de médicaments concernées étaient le plus souvent les antithrombotiques (36%), suivi des antimicrobiens (20%) et des analgésiques (12%). Un pharmacien a procédé à une intervention en réponse à l’alerte dans 40% des cas aux soins intensifs et 45% des cas sur les unités générales. L’intervention a été acceptée par le médecin dans 90 et 86% des cas, respectivement. Les événements indésirables prévenus étaient potentiellement cliniquement significatifs dans 89 et 83% des cas, respectivement. Aucune de ces différences n’était statistiquement significative.

Je trouve cette étude pertinente car elle démontre la faisabilité d’un système informatisé pour la prévention des événements indésirables aux médicaments, comme outil de travail du pharmacien. En effet, en absence d’un tel outil, on peut passer un temps significatif à réviser des profils médicamenteux ou des résultats de laboratoire afin de détecter des problèmes, alors qu’un outil informatique bien paramétré peut faire le même travail automatiquement. À noter que le paramétrage d’un tel système est primordial; dans l’étude ici présentée, les alertes étaient établies par un comité sur lequel des pharmaciens étaient présents. En effet, l’utilisation d’un système commercial tel quel ou le paramétrage d’alertes sans l’apport de pharmaciens cliniciens au processus de paramétrage risque de rendre l’outil non pertinent et de compromettre grandement son utilisation.

Autriche, Un dossier de santé partagé pour mieux détecter les interactions et duplications de médicaments

L’Autriche prévoit implanter un dossier de santé électronique partagé consultable par l’ensemble des professionnels impliqués dans la prise en charge d’un patient, et comportant les médicaments, en 2015. Ce dossier semble comparable à notre Dossier de Santé Québec, le DSQ.

Cette étude a utilisé une banque de données nationale de réclamations d’assurances pour estimer le nombre d’interactions et de duplications supplémentaires qui pourraient être détectées à l’aide d’un tel système.

Un échantillon d’environ un million de patients a été inclus dans l’étude, avec 27 millions de prescriptions de médicaments du 15 février 2006 au 30 juin 2007. Fait intéressant pour ceux qui ont un intérêt pour les préparations magistrales, celles-ci ont dû être exclues de l’étude lorsque leur ingrédient actif était mal codé dans le système, une situation que l’on observe souvent en pratique ici. Les durées de traitement ont été simulées selon les DDD et la quantité prescrite du médicament réclamé. Une alerte d’interaction ou duplication était générée lorsque cette simulation démontrait que deux médicaments similaires ou interagissant entre eux était pris en même temps. Les auteurs ont simulé le nombre de détections en fonction de l’information disponible pour un seul prescripteur (situation sans dossier partagé) ou pour l’ensemble des prescripteurs (situation avec dossier partagé).

La simulation a démontré que le dossier électronique partagé permettrait une augmentation d’environ 20% du nombre de patients pour lesquels une interaction médicamenteuse sévère peut être détectée, à travers tous les groupes d’âge. Le même effet peut être vu pour les interactions de sévérité moindre et pour les duplications. L’étude démontre également que la probabilité de détecter une interaction médicamenteuse sévère augmente de manière exponentielle avec l’âge, probablement parce que les personnes plus âgées ont tendance à prendre plus de médicaments.

Il s’agit d’une étude pertinente pour les pharmaciens québécois car elle démontre qu’un dossier du même type que le DSQ (un dossier électronique partagé national comportant les médicaments) peut améliorer la prise en charge médicamenteuse au niveau de la détection des interactions et des duplications. L’effet se manifeste surtout pour les personnes qui consultent plus d’un médecin ou plus d’un pharmacien. Malheureusement l’étude est fortement basée sur une simulation; les résultats réels pourraient être très différents. De plus, la perspective de l’étude est basée sur celle du prescripteur, les auteurs assument que c’est l’accès du prescripteur à la liste des médicaments du patient qui permet la prévention de l’interaction. Dans la pratique québécoise, on pourrait argumenter que ce genre de détection a souvent lieu au niveau du pharmacien, notamment lorsque plusieurs prescripteurs (généralistes, spécialistes, urgentistes) font des ordonnances à un même patient.

Articles de la semaine: Machine learning et pharmacovigilance

Un seul article cet semaine, car il fait mal au cerveau.

Cependant, il y a une lecture préalable si vous n’êtes pas familiers avec le machine learning et la terminologie associée (merci à @hamstav pour l’article).

Lecture préalable

L’article vient de la revue Circulation et présente les bases du machine learning (apprentissage-machine ou apprentissage artificiel en français selon le Grand dictionnaire terminologique) tel qu’appliqué aux sciences de la santé. En (très) résumé, il s’agit d’une technique utilisant la puissance de calcul d’ordinateurs pour établir des modèles statistiques très élaborés afin de relier plusieurs variables (appelés facteurs) à une issue selon des relations complexes.

L’intérêt pour cette technique vient, depuis quelques années, de l’augmentation impressionnante de la puissance de calcul des ordinateurs. En effet, il est maintenant possible d’élaborer des modèles prenant en compte un grand nombre de facteurs, et même de découvrir de nouveaux facteurs, avec des relations plus complexes que celles des techniques statistiques classiques (la régression logistique ou la régression de Cox, par exemple).

Grâce à différents algorithmes, un ensemble de données « test » est examiné par l’ordinateur qui tente de dégager des relations entre les facteurs et les issues. Le résultat est un ensemble de modèles qui peuvent être utilisés séparément ou combinés pour prédire l’issue d’intérêt. Par la suite, le modèle peut être appliqué à des données qui n’ont pas été examinées dans la phase d’apprentissage pour vérifier si les prédictions s’avèrent fiables, voire même pour effectuer des analyses en pratique clinique. Un modèle avec une bonne performance peut, tel que mentionné dans l’article, être utilisé pour analyser des images provenant de biopsies, déterminer le risque de développer une maladie,  ou prédire la réponse à un médicament, par exemple.

En dehors des sciences de la santé, le machine learning est utilisé par exemple pour la reconnaissance d’images ou de voix. Il existe même des compétitions de machine learning.

L’article de la semaine: Suède, Machine learning et pharmacovigilance

Il s’agit d’une étude rétrospective présentée à la conférence IEEE International Conference on Bioinformatics and Biomedicine 2014. L’étude avait pour objectif d’établir si les données provenant de dossiers cliniques informatisés pouvaient aider à prédire les effets indésirables aux médicaments à l’aide de techniques de machine learning.

Les auteurs ont utilisé une banque de données provenant du dossier clinique informatisé du Karolinska University Hospital à Stockholm, contenant des informations sur environ 700 000 personnes de 2009 à 2010. L’ensemble de données comprenait des diagnostics, des administrations de médicaments, des mesures cliniques, des résultats de laboratoires, et des notes cliniques en texte libre. Les diagnostics étaient encodés selon l’ICD-10, et les médicaments selon l’ATC.

Pour la construction des ensembles de données de test, les 27 codes ICD reliés aux effets indésirables aux médicaments les plus fréquents dans la banque de données ont été sélectionnés, et 27 ensembles de données ont été construits où des patients ont été classés selon la présence ou l’absence de l’effet indésirable associé à chaque code. Les patients classés comme n’ayant pas présenté d’effet indésirable devaient avoir un code ICD pour un diagnostic similaire, mais non relié à un effet indésirable (par exemple mal de tête causé par un médicament vs. mal de tête causé par autre chose).

L’algorithme d’apprentissage utilisé principalement dans l’étude était le random forestmais d’autres algorithmes ont aussi été testés. Les mesures de performance de l’algorithme étaient l’exactitude (accuracy) et l’aire sous la courbe ROC. Les paramètres analysés comme facteurs étaient les codes cliniques (médicaments et diagnostics) et les mesures cliniques (température, pression artérielle, etc). Ces deux types de données ont été analysées seules, puis en combinaison.

Les résultats sont (très) complexes, mais on en comprend globalement que les codes cliniques sont de meilleurs outils que les mesures cliniques pour prédire les effets indésirables. Cependant, on peut légèrement améliorer la performance en combinant les mesures et les codes, en particulier pour certains types d’effets indésirables où cela peut être pertinent, comme par exemple l’anémie induite par un médicament.

Mon interprétation

Il s’agit d’une étude complexe et dont la répercussion clinique n’est vraiment pas évidente, mais je la trouve intéressante pour trois raisons:

  • D’abord, elle illustre comment le machine learning, qui est déjà en voie de s’intégrer à des spécialités comme par exemple la pathologie ou l’oncologie, peut avoir une rôle en pharmacie.
  • Ensuite, elle laisse penser que cette technique pourrait être dans l’avenir un outil précieux pour supporter le pharmacien dans son travail de pharmacovigilance. Par exemple, on peut imaginer des logiciels d’aide à la décision qui apprendraient les facteurs de risque de développer un effet indésirable à partir de dossiers cliniques informatisés de grands centres hospitaliers, ou même de dossiers nationaux.
  • Finalement, elle illustre comment le codage des données cliniques, dont j’ai déjà parlé précédemment, peut devenir un outil très puissant s’il est appliqué de manière systématique à un grand ensemble de données.

 

Articles de la semaine

États-Unis, alertes électroniques sur les opiacés à l’urgence

Une étude descriptive, rétrospective a évalué les caractéristiques des alertes électroniques reliées à l’utilisation des opiacés à l’urgence d’un gros centre tertiaire américain, utilisant un système de prescription électronique avec aide à la décision.

Sur une période de 5 mois (septembre 2012 à janvier 2013), les visites à l’urgence durant une période de 24 heures, à tous les 5 jours, ont été incluses dans l’étude. Une revue de dossier a été menée le jour même et 30 jours après le congé. Les patients de 18 à 89 ans ont été inclus. Les ordonnances d’opiacés pouvaient être entrées dans le dossier électronique par les médecins, assistant-médecins (physician assistants), résidents ou infirmières. Les ordonnances étaient revues par un pharmacien avant l’administration seulement dans le cas des patients en attente d’admission ou des patients de traumatologie ou soins critiques.

4581 visites à l’urgence ont été incluses, chez 3970 patients avec au moins un médicament prescrit. 2144 patients ont reçu au moins une ordonnance d’opiacé, pour un total de 4741 ordonnances d’opiacés. Des alertes ont été générées chez 1576 patients. Un total de 13 719 alertes ont été générées et 93.5% de ces alertes ont été contournées. 4742 alertes concernaient les opiacés. Fait intéressant, les pharmaciens étaient les professionnels qui contournaient le plus les alertes d’opiacés (97.6%), les résidents en médecine le moins (94.8%).

14 effets indésirables reliés aux médicaments ont été observés, dont 8 pour les opiacés. Selon l’algorithme de Naranjo, 5 étaient probables et 3 possibles. Selon les auteurs, aucun de ces effets indésirables n’aurait pu être prévenu car les alertes du système informatique n’étaient pas en lien avec le type de réaction observé.

Parmi les alertes qui n’ont pas été contournées, 46 de 175 alertes ont été considérées comme un effet indésirable évité. 90% concernaient les allergies, 10% la duplication de traitement.

La conclusion est bien évidente, le système d’aide à la décision évalué dans cette étude générait beaucoup trop d’alertes, soit plus de 4000 pour seulement 46 qui ont été acceptées.

La clé est dans le paramétrage des alertes !

Espagne, validation pharmaceutique

Il est surprenant que l’on ait encore à démontrer que la validation des ordonnances par les pharmaciens prévient des événements indésirables reliés aux médicaments, mais une étude espagnole l’a encore bien démontré.

Je n’ai malheureusement pas pu avoir accès au texte complet de l’article, donc je vous présente des données tirées de l’abrégé.

Dans un hôpital adulte tertiaire urbain de 1300 lits utilisant la prescription électronique avec aide à la décision, les auteurs ont mené une étude observationnelle prospective sur les erreurs de prescription interceptées par les pharmaciens effectuant la validation des ordonnances entre janvier et juin 2013. Les erreurs incluses étaient analysées par une équipe indépendante quant à leur potentiel de causer un effet indésirable et la sévérité potentielle de celui-ci.

484 erreurs ont été interceptées, dont 36.2% de sévérité mineure, 59.1% modérée et 4.7% sévère. Dans les cas de sévérité modérée, 30% étaient une dose trop élevée, 20% une dose trop faible et 19% une omission. 22.3% des erreurs modérées concernaient les antinéoplasiques.

Ces données, sans surprise, illustrent bien que le travail de validation d’ordonnances du pharmacien est capital.

États-Unis, documentation électronique des allergies

Encore une fois, je n’ai pas pu avoir accès au texte complet pour cette étude.

Cette étude a évalué rétrospectivement les allergies aux antibiotiques bêta-lactames documentées dans les dossiers électroniques de 319 051 patients dans 32 centres médicaux en communauté.

9.1% des patients avaient une allergie documentée, et la réaction n’était pas décrite dans 36.2% de ces cas.

Les auteurs concluent qu’il existe une opportunité pour améliorer la qualité de la documentation des allergies aux bêta-lactames et ainsi réduire le recours aux antibiotiques de seconde ligne lorsqu’il ne s’agit pas d’une vraie allergie.

En vérité, je suis plutôt surpris par le taux de documentation des réactions dans cette étude (plus de 50% !), dans ma pratique la réaction n’est pas documentée dans la majorité des cas. Et même lorsque la description est inscrite au dossier et que la réaction ne correspond pas à une allergie, certains cliniciens sont réticents à utiliser un antibiotique de la même classe que celle « incriminée » par le patient. De même, lors des visites subséquentes du même patient, la mention d’allergie « ressuscite » et tout est à recommencer.

Je vous mets en référence un guide utile sur les allergies aux antibiotiques publié dans le Pharmactuel.