Le rôle du pharmacien en informatique clinique, l’expérience canadienne

Il y a 4 ans, je parlais de mes perceptions sur le rôle du pharmacien en informatique clinique sur la base de deux énoncés de position par l’ASHP et l’AMIA. Depuis, plusieurs choses ont évolué plus près de nous et certaines provinces canadiennes ont commencé le déploiement de dossiers électroniques complets, ce qui implique évidemment les pharmaciens et amène la concentration de la pratique de certains pharmaciens en informatique clinique moderne.

Je vous parle aujourd’hui d’un article dans le CHJP de l’été dernier, qui est disponible en texte complet gratuitement sur PubMed Central, et qui a été écrit par des pharmaciens de Toronto. L’article présente l’expérience des auteurs en relation avec les 5 compétences identifiées dans l’énoncé de position de l’ASHP, dans le cadre de certaines situations qu’ils ont vécues en pratique.

Gestion des données, de l’information et des connaissances sur les médicaments

Les auteurs discutent de l’importance de la nomenclature des médicaments et des ensembles d’ordonnances (order sets). Ils expliquent qu’ils ont mis en place des standards pour les noms des médicaments, pour l’utilisation d’abréviations et pour les troncatures lorsque les limites de caractères ne permettent pas de tout écrire au long. Les exemples sont intéressants, par exemple le cas d’une insuline au nom trop long qui dépassait d’une ligne affichée à l’écran, rendant impossible la lecture du nom du produit à utiliser.

Dissémination de l’information et des connaissances sur les médicaments

Les fonctionnalités d’aide à la décision des dossiers électroniques permettent l’affichage d’information utile à la tâche en cours et de contraintes dans le flot de travail afin de s’assurer que certaines tâches soient accomplies. L’article décrit le développement d’un ensemble d’ordonnances pour prévention de la thromboembolie veineuse qui a été intégré aux ordonnances d’admission afin d’assurer l’évaluation du risque dans les 24 heures suivant l’admission. On mentionne aussi l’ajout d’alertes de double-vérification dans la FADM électronique, l’affichage de résultats de laboratoire pertinents au moment de la prescription, et le développement de règles de surveillance des antimicrobiens.

Les auteurs mentionnent l’importance de collecter et analyser l’information sur le déclenchement et les actions prises face aux alertes pour réduire le phénomène de désensibilisation.

Analyse des données

L’analyse des données disponibles dans les dossiers électroniques est illustrée à l’aide d’un exemple de calcul d’indicateurs de l’activité clinique des pharmaciens à partir de ces données. Cela repose sur un formulaire standardisé dans le dossier électronique pour les consultations initiales et les notes de suivi. Les auteurs expliquent aussi qu’ils ont collaboré à la création d’un entrepôt de données, et qu’ils participent à l’analyse des demandes d’extraction d’information pour valider l’exactitude des informations sur les médicaments.

Application de principes d’informatique

Les auteurs décrivent comment la gestion de ruptures d’inventaire de médicaments leur permet de combiner leur expérience de cliniciens aux principes de gestion des systèmes d’information pour que la conduite à tenir soit claire dans les systèmes au moment de la prescription.

Leadership et la gestion du changement

L’article explique comment les pharmaciens en informatique clinique ont contribué au déploiement de la prescription électronique, des pompes à perfusion, des cabinets automatisés et du bilan comparatif des médicaments électronique.

Les auteurs concluent en mentionnant l’importance d’assurer une formation en informatique clinique pour les étudiants en pharmacie, le rôle des pharmaciens dans l’interprétation des données pouvant servir aux applications l’intelligence artificielle, ainsi que les défis de l’harmonisation des pratiques dans des réseaux d’hôpitaux de plus en plus gros et complexes.

Rapport canadien sur la pharmacie hospitalière – volet Québec 2016-2017

Au tout début de ce blogue, j’avais écrit à propos du rapport canadien sur la pharmacie hospitalière, volet Québec 2013-2014. Voici maintenant la mise à jour 2016-2017 (que s’est-il passé avec 2015 ?). L’article a aussi fait l’objet d’un épisode du podcast Trait pharmacien de l’APES. Je me concentrerai ici sur les aspects technologiques du rapport puisqu’il y a tellement de données et de faits saillants que la lecture l’article complet ainsi que l’écoute de l’épisode de podcast est la meilleure chose à faire pour bien saisir tous les enjeux.

184 départements de pharmacie canadien dont 43 au Québec ont répondu, ce qui est relativement stable par rapport aux années antérieures.

De manière générale, en matière d’informatisation, les hôpitaux canadiens sont en retard. Le rapport cite les niveaux HIMSS-EMRAM au 30 septembre 2017 avec un stade 0 dans 17,6% des hôpitaux canadiens contre 1,6% aux États-Unis, stade 3 30,3% au Canada contre 12,6% aux États-Unis, et stade 6 1,4% au Canada contre 32,7% aux États-Unis. Ceci n’est pas surprenant compte tenu des programmes fédéraux contraignant à l’informatisation du côté américain, alors que les stratégies utilisées en sont pas comparables ici. Malheureusement les données québécoises sur ce niveau ne sont pas mentionnées. Existent-elles et sont-elles publiques ?

Le rapport rappelle également les lacunes connues du DSQ et l’actuelle volonté de standardisation et d’uniformisation des systèmes informatiques provinciaux, à travers notamment le DCI Cristal-Net (qui a maintenant un site web et une base de connaissances disponible publiquement !)

La section et le tableau sur la technologie mentionnent quelques faits saillants:

  • Les pompes « intelligentes » (avec bibliothèque) sont présentes dans 77% des hôpitaux, avec une révision et mise à jour annuelle des bibliothèques dans 70% des hôpitaux, mais l’utilisation d’un réseau sans-fil pour la mise à jour est faite dans seulement 50% des cas.
  • Au niveau de la gestion des ordonnances, seulement 9% des hôpitaux ont un système de prescription électronique opérationnel contre 17% au Canada (ce nombre était de 95,6% pour les systèmes de prescription électronique avec aide à la décision aux États-Unis en 2016). Dans 50% des cas, le logiciel de prescription électronique possède une interface unidirectionnelle vers le système pharmacie et dans l’autre 50% cette interface est bidirectionnelle. Du côté américain, le même rapport 2016 mentionne une interface de transmission de données dans 90,7% des hôpitaux, mais la distinction de l’interface en unidirectionnelle ou bidirectionnelle n’est pas faite.
  • Pour ce qui est du code-barres, 58% des hôpitaux québécois vérifient les médicaments par code-barres avant leur envoi de la pharmacie contre 24% au Canada et 61,9% aux États-Unis en 2017.
  • Le code-barres est utilisé pour vérifier les médicaments avant l’administration au patient dans aucun hôpital québécois contre 9% au Canada, et 92,6% des hôpitaux américains selon le sondage 2016 de l’ASHP. On utilise le code-barres pour sécuriser le remplissage des cabinets automatisés dans 81% des hôpitaux québécois, 52% des hôpitaux canadiens (?) et 85-100% des hôpitaux américains. 95% des hôpitaux utilisent une FADM papier générée à partir du SIP et 12% une FADM électronique.

En ce qui a trait aux cabinets, 98% des hôpitaux québécois rapportent leur présence dans leur établissement, dont 100% à l’urgence.

Le sondage de l’ASHP de 2017 rapportait que la distribution unitaire centralisée était en perte de popularité aux États-Unis, avec 70% des hôpitaux qui utilisent les cabinets comme moyen principal de distribution des doses d’entretien; et seulement 21% des hôpitaux qui sont encore dans un mode de distribution unitaire centralisée. Certains plus gros hôpitaux utilisaient cependant (20-25% des hôpitaux de plus de 300 lits) des robots de distribution unitaire centralisée, ce qui est logique pour un hôpital de grande taille. Cette tendance n’est pas observée au Québec avec encore 100% des hôpitaux recourant à une distribution unitaire centralisée. Notons qu’aucun département de pharmacie québécois n’est ouvert 24 heures comparativement à 43% des pharmacies américaines, surtout (>90%) dans les hôpitaux de 200 lits et plus.

Bref, on constate une certaine évolution des pratiques des départements de pharmacie en lien avec la technologie mais on constate toutefois un certain retard par rapport aux pratiques américaines. Par rapport aux autres provinces canadiennes, certains points sont en avance et d’autres sont en retard.

Revue systématique sur l’administration des médicaments assistée par code-barre

J’ai déjà parlé à plusieurs reprises de code-barre. Plusieurs articles récents décrivent les bénéfices de cette technologie pour aider à la traçabilité des médicaments tout au long de leur circuit en établissement de santé, pour améliorer la documentation de la vaccination, pour sécuriser le processus de préparation stérile des médicaments et pour remplacer la vérification contenant-contenu visuelle par le pharmacien, entre autres. Ce nouvel article est une revue systématique des effets de l’administration des médicaments assistée par code-barre (barcode medication administration), lorsqu’elle est combinée à la prescription électronique. au formulaire d’administration des médicaments électronique (eMAR) et à la dispensation des doses automatisée (par cabinets ou robots, par exemple). Toutes ensembles, ces technologies forment une boucle fermée allant de la prescription à l’administration, en anglais on parle de closed-loop medication administration system. Par boucle fermée on entend qu’il n’y a aucune retranscription de la prescription jusqu’à l’administration et que tout le processus est sécurisé électroniquement; cela suppose une interface avec le système pharmacie ou une intégration de celui-ci au même système que le reste, ce que bien des publications négligent malheureusement de décrire.

Une revue de littérature de Medline, PubMed et Embase entre 1992 à 2015 a été effectuée de manière systématique. 430 publications ont été identifiées, dont 393 ont été exclues sur la base du sujet ou des données rapportées. 30 autres ont été exclues car elles ne parlaient pas de code-barre dans le contexte d’une boucle fermée. Enfin, 2 autres ont été exclues car l’une n’était qu’un rapport préliminaire et l’autre ne comprenait pas de système avec prescription électronique. 5 articles ont donc ultimement été inclus, dont 3 avec un devis d’observation directe pour la collecte des données et 2 qui étaient basées sur des déclarations volontaires d’erreurs.

Globalement, 2 articles parmi les trois basées sur l’observation directe ont trouvé une diminution des erreurs non reliées au moment d’administration de 4,6% et 4,7% (en absolu), soit de 11,5 à 6,8% pour la première, et 8 à 3,4% pour la deuxième. Une augmentation de l’incidence de distractions (15,5 à 25,2%) et de l’administration sans explications au patient (10,9 à 14,9%) a été observée dans la deuxième étude, probablement en raison de la nécessité d’interaction avec le système informatique au moment de l’administration. La troisième étude a trouvé une diminution de 3,7% en absolu des erreurs de tous types, soit de de 7 à 4,3%. La première étude a également constaté une élimination complète des erreurs de transcription.

En ce qui a trait aux études basées sur des déclarations volontaires, la première a trouvé une augmentation des erreurs (20 erreurs par millions de doses contre 38), ce qui était probablement lié simplement à une meilleure détection, considérant une diminution relative de 75% des erreurs ayant touché le patient observée de manière concomitante. La dernière étude a quant à elle observé une différence non significative des erreurs de 2,89 par 10 000 doses contre 1,48.

Les auteurs soulignent que leur revue ne considérait que les études sur l’administration assistée par code-barre dans le contexte d’un circuit fermé avec prescription électronique, administration des médicaments informatisée et dispensation automatisée. Un autre article de revue paru en 2009 et cité par les auteurs évaluait le code-barre sans le contexte du circuit fermé, cependant cet article commence à dater un peu. Considérant l’état actuel du système de santé canadien (les auteurs sont de la Colombie-Britannique), il aurait été intéressant de présenter quelques données dans des systèmes sans prescription électronique ou avec des transcriptions à l’entrée ou à la sortie du système pharmacie.

Néanmoins, cet article est intéressant et permet de se faire une bonne idée des bénéfices attendus avec cette technologie.