Données sur la technologie en pharmacie d’établissement de santé aux États-Unis

Mise à jour 17 août 2016: Cet article a fait l’objet d’un épisode du podcast AJHP Voices. Le podcast parle surtout du champ de pratique des pharmaciens, des ressources humaines en pharmacie et de développement de la pratique, peu de technologies, mais ça demeure intéressant à écouter.


40034748 - online cloud medical health internet medication vector illustrationJe vous rapporte ici les résultats d’un sondage mené par l’ASHP, qui avait pour objectif de décrire l’état de la pratique pharmaceutique en établissement de santé aux États-Unis en 2015, spécifiquement par rapport à la surveillance de la pharmacothérapie et aux conseils aux patients. Ce type de sondage est réalisé annuellement par l’ASHP. Chaque année le sondage cible deux domaines spécifiques de la pratique parmi une liste préétablie de 6 domaines sondés en rotation.

La banque de données d’IMS Health a été utilisée pour construire un échantillon d’hôpitaux généraux médicaux et chirurgicaux et d’hôpitaux pédiatriques à sonder. Les hôpitaux spécialisés, fédéraux et des vétérans ont été exclus. Une stratification et un ajustement ont été faits pour assurer une représentativité de toutes les tailles d’hôpitaux dans les réponses obtenues. Les chefs de département de pharmacie des hôpitaux sélectionnés ont été contactés par courriel ou par courrier selon leur préférence, et plusieurs rappels ont été faits.

1432 hôpitaux ont été contactés, de ceux-ci 325 ont fourni des données utilisables, pour un taux de réponse d’environ 23%. Je présente ici les résultats liés spécifiquement à la technologie, au circuit du médicament et à la validation d’ordonnances, cependant d’autres résultats intéressants sont présentés dans l’article, notamment en terme de ressources humaines, de formation, d’organisation de la pratique, de pharmacovigilance et autres.

Voici quelques données que je trouve intéressantes:

Technologie et pharmacie

  • La proportion d’hôpitaux où les pharmaciens suivent plus de 75% des patients est passée de 20,3% en 2003 à 57,8% en 2015.
  • Dans 30,8% des hôpitaux, les pharmaciens suivent tous les patients. Dans 43,4% des hôpitaux, un logiciel utilisant les données cliniques est utilisé pour identifier les patients à suivre. Dans 16% des hôpitaux, un processus papier informel est plutôt utilisé, alors que dans 9,8% des hôpitaux il s’agit d’un processus papier formel.
  • Les critères utilisés pour identifier un patient à suivre étaient une valeur de laboratoire anormale requérant une ajustement de médication dans 75,8% des hôpitaux, une liste formalisée de médicaments nécessitant un suivi dans 66,9% des hôpitaux, une liste de maladies précises dans 47,5% des hôpitaux, des directives d’un comité de l’hôpital dans 46,6% des hôpitaux, le suivi par un service particulier dans 39% des hôpitaux, et l’utilisation de médicaments à coût élevé dans 36,2% des hôpitaux.
  • La méthode utilisée pour l’obtention de l’information de suivi quotidien par les pharmaciens était un outil du dossier clinique informatisé (du EHR) dans 58,6% des hôpitaux. Un processus manuel à partir du dossier médical était utilisé dans 54,6% des hôpitaux. 28,4% des hôpitaux avaient un système informatisé de surveillance clinique permettant aux pharmaciens de compiler de l’information pour le suivi.
  • 97,5% des hôpitaux avaient un dossier clinique informatisé partiel ou complet en place. 37,5% des hôpitaux avaient un dossier complètement informatisé, sans papier, tandis que 60% des hôpitaux avaient un dossier partiellement informatisé avec encore du papier. 2,5% des hôpitaux utilisaient un système complètement sur papier.
  • 84,1% des hôpitaux avaient un système de prescription électronique en place, comparativement à 2,7% en 2003 ! (dans le dernier rapport canadien sur la pharmacie hospitalière, volet québécois, c’était 7% au Québec en 2014, et selon un rapport de HIMSS Analytics, c’était 5% au Québec en 2012).
  • 93,7% des hôpitaux avaient un système d’administration des médicaments assisté par code-barre, comparativement à 1,5% en 2002 ! (selon les mêmes références, aucun au Québec en 2012 ou 2014).
  • Dans 40,3% des hôpitaux, les pharmaciens utilisaient un appareil mobile quotidiennement dans leur prestation de soins, les tâches effectuées à l’aide de ces appareils étaient la consultation d’information sur les médicaments (93,6%), la communication avec d’autres intervenants (51%), la consultation des laboratoires (47,9%), la consultation d’ordonnances ou la prescription (43,6%), la documentation d’interventions (37,4%), le bilan comparatif des médicaments (24,4%), la déclaration d’effets indésirables (23,6%), le suivi des ruptures d’approvisionnement (13,9%), les notifications de patients nécessitant un suivi (10,4%), et la consultation à distance (3,1%).

validation d’ordonnances

  • Une stratégie de validation d’ordonnances en temps réel était en place dans 86,2% des hôpitaux (comparativement à 59,6% en 2005), tandis que dans 13,8% des hôpitaux les ordonnances n’étaient pas validées en temps réel lorsque le département de pharmacie était fermé. Cette dernière situation était plus fréquent dans les petits hôpitaux.
  • La méthode la plus fréquente pour assurer la validation en temps réel était l’ouverture 24 heures par jour, 7 jours sur 7 du département de pharmacie, dans 41,6% des hôpitaux.
  • Pour les autres centres, 16,8% étaient affiliés à un centre offrant la validation 24 heures par jour, tandis que 16,6% utilisaient la télépharmacie vers un centre offrant la validation 24 heures par jour.
  • 11,2% avaient un pharmacien de garde sur place ou à distance pour effectuer la validation en dehors de l’ouverture du département de pharmacie.
  • 19,7% des hôpitaux offraient de la validation à distance pour un autre hôpital affilié.

Il est intéressant de constater à quel point la technologie prend de plus en plus de place en pharmacie aux États-Unis, les données du sondage montrent bien cette évolution depuis le début des années 2000. La même évolution est déjà commencée au Québec, j’ai bien hâte de voir ce qui sera en place dans quelques années.

Techno mobile en établissement de santé : tablettes, virtualisation et… Chromebooks ?

J’ai eu l’occasion de participer à la mise en place d’une méthode d’accès à distance aux applications de la pharmacie, pour les gardes pharmaceutiques du centre où je travaille.  La connexion à distance repose sur une plateforme de virtualisation de bureau (desktop virtualization).  Cette plateforme nous donne accès à une machine virtuelle Windows pouvant exécuter pratiquement toutes les applications que l’on peut utiliser sur un poste « standard ». Il s’agit de la même technologie qui est utilisée dans l’hôpital pour permette aux cliniciens d’être « mobiles », c’est-à-dire de pouvoir garder une session de travail virtuelle ouverte durant toute la journée et de la déplacer de poste en poste sans devoir tout fermer et rouvrir à chaque fois.  Comme les cliniciens se déplacent dans leur unité de soins et même dans tout l’hôpital à chaque jour, cette fonctionnalité permet un gain d’efficacité important.

Dans un établissement de santé, les pharmaciens utilisent une constellation d’applications, que ce soit à la distribution ou en clinique.  La plus importante est le système d’information pharmacie, c’est-à-dire la banque de données centrale où sont stockés les dossiers pharmaceutiques des patients et où s’effectue la saisie et la validation des ordonnances.  C’est à partir de cette banque de données que sont générés les feuilles d’administration des médicaments, essentielles pour les infirmières, les reservices quotidiens des médicaments qui sont à la base du système de distribution unidose, et une multitude d’autres éléments du circuit du médicament.  Autour de ce système gravitent des applications complémentaires auxquelles le pharmacien se réfère de plus en plus.  Notons par exemple les systèmes d’archivage numérique de documents, les dossiers cliniques informatisés, les logiciels spécialisés (par exemple pour la nutrition parentérale), le système des laboratoires, le Dossier Santé Québec, les systèmes de gestion de la documentation, les applications réseau locales, les références cliniques, etc.  Cette quantité grandissante d’applications variées et plus ou moins interconnectées représente une difficulté quand on parle de mobilité et d’accès à distance.  En effet, l’accès à une seule application n’est plus suffisante, que ce soit pour le travail clinique ou les gardes.  Il devient nécessaire d’avoir accès à l’entièreté du système.

Il y a quelques années, les tablettes gagnaient en popularité et on croyait leur trouver une place dans la pratique pour permettre aux cliniciens d’avoir accès de n’importe où à leurs applications.  J’ai pu participer à quelques essais avec un iPad et avec une tablette Android. J’ai été très déçu de la performance réelle des tablettes dans la vraie vie.  Je ne parle pas ici de performance en terme de vitesse, mais bien en terme d’intégration au flot de travail et d’utilité.  Quelques points:

  • Les tablettes reposent sur l’utilisation d’applications conçues pour une interface tactile, avec un affichage adapté.  Si le centre utilise un système intégré de dossier clinique informatisé à la grandeur de l’établissement, avec une application pour tablette dédiée, le résultat peut être très intéressant.
  • Malheureusement, la multitude d’applications que j’ai décrites ci-haut sont en général des applications Windows qui n’ont pas d’équivalent natif sur les systèmes d’exploitation des tablettes.  On se retrouve donc à devoir travailler sur un ordinateur et une tablette.
  • Les tablettes sont d’excellents outils pour consulter du contenu, mais sont très mauvaises lorsque vient le temps de générer du contenu long et complexe, comme par exemple des notes cliniques.  L’absence de clavier physique devient vite handicapant.  En santé, la documentation écrite fait partie intégrale du travail, les tablettes sont plutôt mal adaptées pour cette tâche.

Les tablettes ne m’apparaissent pas comme une solution viable pour l’utilisation en santé.  Je crois que la virtualisation représente une bien meilleure solution, même si dans d’autres contextes d’utilisation elle ne convainc pas.  En fait, depuis que la technologie de virtualisation a été déployée, j’ai abandonné ma tablette.  Je peux maintenant avoir une session virtuelle ouverte avec toutes les applications et la documentation dont j’ai besoin, et ouvrir cette session à chaque poste de travail que je visite durant la journée.

Les avantages majeurs de cette technologie sont le support multiplateforme et l’accès à distance.  Comme la session s’exécute sur le serveur, n’importe quel appareil pouvant exécuter le programme de virtualisation (comme une tablette, pour les irréductibles du iPad, ou un Chromebook) peut ouvrir la session virtuelle.  Avec un accès par VPN, on peut ouvrir une session à partir de la maison, ce qui devient très pratique pour les nuits de garde.  De même, il est possible d’effectuer des suivis cliniques ponctuels à partir de la maison.  Un exemple (vécu):

  • Un patient est admis le vendredi après-midi avec une infection sévère, requérant un traitement agressif.  Un antibiotique est débuté et un dosage sanguin est prévu pour le samedi.  La sévérité de l’infection justifie que l’on atteigne un niveau d’antibiotique optimal le plus vite possible, ça ne peut pas attendre au lundi.
  • Le samedi, je peux, de chez moi, me connecter à distance, aller vérifier le résultat du dosage dans le système du laboratoire, confirmer que le médicament a été administré adéquatement avec la feuille d’administration des médicaments électronique (FADMe, eMAR en anglais), et aller dans le système pharmacie pour écrire une suggestion d’ajustement de dose et de suivi au médecin.
  • Actuellement, je dois quand même téléphoner pour demander d’imprimer la note pour la mettre dans le dossier médical papier, mais éventuellement un prescripteur électronique devrait me permettre d’envoyer ma recommandation directement au médecin, où même, avec la loi 41, d’effectuer l’ajustement moi-même et d’en aviser électroniquement le médecin.

Les développeurs de plateformes de virtualisation offrent des logiciels de connexion sur pratiquement toutes les plateformes: Windows, MacOS, Android, iOS, et même ChromeOS.  Les Chromebooks combinés à la virtualisation pourraient donc être une solution intéressante pour le travail mobile.

J’ai bien hâte de voir le niveau de satisfaction des pharmaciens avec l’accès par virtualisation lors des gardes.