Détection automatique d’erreurs de dispensation en pharmacie communautaire en utilisant les concepts RxNorm

Un article très intéressant est paru en mars 2020 dans JMIR, où les auteurs ont tenté d’utiliser des standards de nomenclature de médicaments dans le contexte de la prescription électronique en milieu communautaire aux États-Unis pour identifier des erreurs de dispensation de médicaments.

L’objectif de l’étude était de déterminer s’il était possible d’identifier des erreurs de dispensation en comparant le produit prescrit au produit dispensé, le produit prescrit étant décrit selon la terminologie RxNorm et le produit dispensé selon les codes de médicaments américains NDC, équivalents des DIN canadiens. Il est important de souligner que RxNorm dispose d’un API qui permet d’exécuter des requêtes informatiques automatisées de manière à obtenir les codes correspondants à un produit facilement, sans réconciliation manuelle.

Dans le contexte américain, les prescriptions électroniques contiennent des identifiants reliés à des concepts RxNorm qui permettent de décrire le produit prescrit selon divers niveaux de détail (d’ailleurs la discussion de l’article décrit comment ces identifiants sont progressivement devenus prévalents dans les ordonnances électroniques alors qu’ils ne l’étaient pas il y a quelques années). On peut facilement faire des parallèles avec le référentiel canadien du médicament qui supporte la technologie PrescripTIon d’Inforoute Santé Canada. Les concepts utilisés aux fins de réconciliation étaient le « semantic clinical drug » (SCD), le « generic pack » et le « semantic branded drug ».

Les auteurs ont obtenu 537 710 paires de prescriptions et médicaments dispensés entre janvier 2017 et octobre 2018 par une pharmacie en ligne américaine. 527 881 paires (98,2%) ont pu être analysées représentant 17 123 numéros NDC et 3 838 concepts SCD.

550 paires (0,1%), représentant 94 prescriptions uniques (une prescription étant associée à plusieurs dispensations) étaient discordantes, c’est-à-dire que le médicament décrit dans RxNorm ne correspondait pas au médicament dispensé au patient, les détails des discordances sont dans le texte complet de l’article. Parmi ces 94 paires, 4 représentaient des erreurs pouvant être cliniquement significatives, représentant quand même beaucoup de faux positifs (précision 0,04 et rappel de 1 pour un score F1 de 0,08). Ceci représente 137 fausses alertes pour une vraie alerte, mais les auteurs affirment que des ajustements à leur méthode permettent de diminuer ce nombre à 23 fausses alertes pour une vraie. Ils décrivent également différents endroits dans le flot de travail où cette alerte pourrait être intégrée pour qu’elle soit plus efficace, par exemple au moment de la transcription de l’ordonnance par le technicien en pharmacie.

Fait intéressant, les auteurs ont relevé 1731 numéros NDC qui ne correspondent à aucun concept RxNorm, comme les produits utilisés dans le traitement du diabète (lancettes, bandelettes, moniteurs de glucose, seringues…). Ceci rejoint le concept de « pseudo-DIN » utilisé au Canada et au Québec pour contourner les limitations de l’utilisation des DIN à des fins de réclamation d’assurance et démontre que les standards de nomenclature des médicaments échappent certains concepts pour des produits qui ne sont pas des médicaments mais sont « gérés » comme s’ils en étaient du point de vue de la pharmacie.

Je trouve que cette étude démontre une méthodologie techniquement simple (quoique son implantation dans les logiciels de pharmacie communautaire serait quand même plus complexe, rien n’est jamais simple en informatique clinique, mais le principe de comparer les identifiants obtenus via un API public est quand même simple) qui ajouterait une sécurité qui serait la bienvenue dans le circuit de traitement des prescriptions électroniques. Je discutais récemment des lacunes du système québécois de transmission des ordonnances électroniques en milieu communautaire. Comme le système québécois est basé sur le DIN à la fois du côté de la prescription et de la dispensation, et que la substitution générique n’est pas du tout gérée au niveau des discordances de DIN, évidemment un système comme décrit ici serait inapplicable. Mais dans le système PrescripTIon d’Inforoute, la comparaison des produits dispensés aux concepts du référentiel canadien transmis dans une ordonnance électronique pourrait avoir le même effet.

Lignes directrices de l’ASHP sur la prévention des erreurs médicamenteuses

L’ASHP a publié dans le numéro d’octobre de l’AJHP de nouvelles lignes directrices sur la prévention des erreurs médicamenteuses dans les hôpitaux. Je trouve cet article très important car il amalgame en un seul document beaucoup de pratiques décrites dans de multiples références de sources diverses. Je vous parlerai ici uniquement des aspects qui touchent la technologie mais le reste de l’article comporte des points majeurs dont je ne parlerai pas par souci de temps. Points bonus: l’article débute en citant le rapport To Err is Human: Building a Safer Health System de 1999.

L’article débute en énumérant des stratégies de prévention en vrac. Parmi celles comportant des aspects de technologie on note:

  • L’utilisation de pompes intelligentes
  • La prescription électronique avec aide à la décision
  • L’utilisation du code-barres lors de la préparation, la dispensation et l’administration de médicaments

Ces trois points sont bien simples à nommer ainsi mais chacun comporte son lot de difficultés et de complications, en particulier pour la prescription électronique, et fait l’objet de nombreuses publications et directives d’organismes comme l’ISMP.

Les auteurs mentionnent spécifiquement des stratégies pour réduire les erreurs liés aux médicaments aux noms similaires (Look-alike, sound-alike – LASA):

    L’article détaille ensuite les mesures à prendre à chaque étape du circuit du médicament pour prévenir les erreurs.

    Étapes de sélection et d’approvisionnement

    Un élément majeur à cette étape du circuit du médicament est l’intégration des médicaments choisis et achetés à la technologie en place dans l’établissement. Les choix de formes pharmaceutiques et de concentrations disponibles devraient prendre en considération les possibilités des logiciels qui permettront de gérer, prescrire et administrer ces médicaments.

    Les éléments à considérer incluent

    • Les choix de voie d’administration possibles
    • La nomenclature du médicament et la nécessité de distinction avec d’autres, par exemple avec une écriture TALLman
    • Les interactions médicamenteuses significatives à programmer et tester
    • Les autres alertes pertinentes du médicament (tests de laboratoire, restrictions de prescription, etc.)
    • L’intégration des recommandations de dose à tous les systèmes ainsi qu’aux pompes intelligentes
    • Le besoin d’une ordonnance pré-rédigée
    • La disponibilité dans les cabinets et les alertes spécifiques à la dispensation à partir de cabinets

    On souligne aussi l’importance de la nomenclature du médicament. Celle-ci devrait être standardisée à travers l’ensemble du circuit du médicament, notamment dans le dossiers électronique, le systèmes de pharmacie, les pompes, les cabinets, et prendre en compte dans chaque système la possibilité de confusion avec d’autres médicaments. Le nom générique devrait être favorisé (je commenterais que parfois le nom commercial est nécessaire car le nom générique est incompréhensible pour les professionnels non pharmaciens, par exemple pour des produits qui ne comportent pas de « vrais médicaments » comme les onguents opthalmiques, les gels pour lésions cutanées, les pansements, les produits hydratants en général…). On souligne aussi l’importance de ne pas abrévier le nom d’un médicament, mais ici la technologie est parfois une limite, combien de produits ont une limite de caractères tellement basse que le nom générique du médicament n’entre même pas ?

    Une section de l’article détaille spécifiquement les recommandations pour la dispensation à partir de cabinets, notamment la configuration de la dispensation à partir du profil pharmacologique ou hors profil.

    Étapes de transcription et vérification

    L’article met une emphase sur la vérification des ordonnances de médicaments par un pharmacien, et insiste sur l’importance de ne pas « échapper » les ordonnances rédigées lorsque la pharmacie est fermée. Il faut aussi qu’il y ait une procédure en place pour que les ordonnances rédigées lorsque la pharmacie est fermée puissent être revues si besoin, par exemple avec un pharmacien de garde, un service de télépharmacie, et avec une formation adéquate du personnel sur place durant la nuit pour identifier les situations non conformes ou demandant davantage de vérifications

    Étapes de dispensation et d’administration

    La validation des médicaments peut être assistée par de la technologie, notamment par les code-barres. En particulier, les médicaments qui sont reconditionnées doivent aussi comporter un code-barres. Une procédure doit donc être mise en place pour la génération de ce code-barres et pour encadrer son utilisation.

    Lorsque les cabines sont utilisés, les fonctions de sécurité offertes par le cabinet doivent être connues et revues pour que les meilleures politiques soient mises en place et diminuer le besoin de contournements dans la pratique clinique. De plus, des audits d’utilisation doivent avoir lieu pour identifier les situations problématiques.

    Détection de noms de médicaments similaires

    Je parlais récemment d’affichage de noms de médicaments dans les systèmes informatiques. Les difficultés rencontrées avec cet affichage découlent en partie des noms de médicaments similaires, désignés en anglais par l’acronyme LASA (Look-alike, sound-alike). Un nouvel article dans le dernier AJHP discute de ce problème. Les auteurs ont développé un algorithme permettant d’identifier les erreurs potentielles liées à des paires de médicaments aux noms similaires. L’article se concentre sur la confusion entre la cyclosérine et la cyclosporine, deux médicaments précédemment identifiées comme ayant un nom similaire à risque de confusion et inclus sur la liste des « TALLman » de l’ISMP.

    Un algorithme d’identification des paires de médicaments à risque a été développé à l’aide de 3 critères extraits du dossier électronique:

    1. Le médicament prescrit n’était pas justifié par un diagnostic actif.
    2. Un autre médicament au nom similaire (selon un certain seuil) existe.
    3. L’indication de cet autre médicament correspond à un diagnostic actif ou est présent dans l’historique de médicaments.

    Afin d’exécuter cet algorithme, une banque d’indications des médicaments a été obtenue d’un fournisseur commercial, les données diagnostiques du dossier électronique ont été extraites (les codes ICD-9) et les 10 dernières années de prescriptions électroniques dans l’institution des auteurs ont été analysées en fonction de ces données. Un traitement extensif des données a été nécessaire pour réaliser l’analyse et est détaillé dans le texte. La similairité des noms de médicaments a été évaluée à l’aide de l’algorithme BI-SIM, un score de 0 à 1 caractérisant la similarité de deux chaînes de texte qui a déjà été étudié pour prédire le risque de confusion entre les médicaments. La paire cyclosporine/cyclosérine a un score de 0,83.

    Toutes les prescriptions de cyclosérine de 2008 à 2014 ont été extraites. 16 ordonnances de cyclosérine ont été identifées, et les dossiers ont été revus manuellement. De celles-ci, 11 étaient des erreurs de confusion avec la cyclosporine. Dans 10 cas, la prescription a été faite mais changée par la suite. Dans un cas, il semble que le patient ait reçu de la cyclosérine, mais à la seule analyse du dossier cela demeurait incertain. Il est à souligner que ces deux médicaments étaient identifés par une nomenclature « TALLman » dans le dossier électronique, ce qui remet encre une fois en doute l’efficacité de cette mesure.

    Les auteurs concluent en soulignant qu’une alerte basée sur l’indication aurait probablement permis d’éviter ces erreurs, en alertant le prescripteur au fait que la cyclosérine, un médicament pour la tuberculose, et rarement utilisé, n’était pas indiqué pour les patients en question. Cependant, ils mentionnent aussi qu’il est ardu de mettre en place un tel algorithme De leur propre expérience, une grande quantité de travail manuel a été nécessaire pour d’abord établir la liste d’indications par médicament à partir d’une banque de données commerciales, puis pour relier les diagnostics du dossier électronique à ces indications, sachant que les données extraites des dossiers électroniques sont hautement variables.