Un tableau de bord et des rencontres quotidiennes pour améliorer la ponctualité des services de médicaments

J’ai déjà parlé dans le passé du temps pour le service des premières doses et de l’effet d’un tableau de bord présentant des mesures de performance en temps réel. Un nouvel article publié dans le numéro de juillet de l’AJHP décrit l’impact de la mise en place de petites réunion quotidiennes (huddles) combiné à un tableau de bord sur la ponctualité des services de médicaments.

L’étude a été menée dans un centre académique américain de 1100 lits, mais en pratique seule la pharmacie centrale destinée aux adultes, desservant 500 lits, a été impliqué dans le projet. Cette pharmacie est ouverte 24h et des livraisons de médicaments sont effectuées à pied par des techniciens en pharmacie à des intervalles réguliers durant la journée. Afin d’améliorer la ponctualité des départs de ces livraisons, les auteurs ont mis en place des petites réunions quotidiennes aux changements de quart de travail où était présenté un tableau de bord montrant les statistiques de ponctualité des dernières livraisons. Si des problèmes causent des délais, les participants aux réunions (pharmaciens, techniciens, internes, gestionnaires) étaient encouragés à en discuter pour trouver des solutions.

L’étude a été menée avec un devis pré-post. La ponctualité des livraisons, définie comme un départ ± 5 minutes autour de l’heure prévue, a été collectée 2 semaines avant et 2 semaines après la mise en place des mesures. Des données sur la charge de travail concomitante (nombre d’ordonnances par quart, nombre de communications reçues à la pharmacie en provenance des unités de soins, nombre de personnes présentes à la pharmacie) ont aussi été collectées. Un modèle statistique prenant en compte les mesures répétées et capable d’évaluer la présence de tendances dans les périodes pré et post (afin de séparer l’effet de l’intervention d’une tendance générale) a été élaboré.

497 livraisons ont été collectées en période pré et 535 en post. La ponctualité des livraisons s’est améliorée de 37% (intervalle de confiance 95% 18-56%) entre la période pré et la période post. L’analyse n’a pas démontré de tendance globale entre les deux périodes pouvant expliquer la différence observée. De même, l’effet était similaire sur les 3 quarts de travail et la variance des mesures était comparable entre les deux périodes. Les 3 indicateurs de charge de travail n’étaient pas associés à l’effet observé.

Dans la discussion, les auteurs mentionnent que ce nouveau fonctionnement a été apprécié, particulièrement des techniciens, au point où ceux-ci voulaient remplacer leurs réunions mensuelles par ces nouvelles petites réunions quotidiennes. Les auteurs expliquent aussi comment ces discussions ont permis d’identifier les facteurs qui causaient des retards et ont permis aux participants d’échanger des techniques pour mieux s’organiser.

Je trouve cette étude intéressante car elle démontre l’impact positif d’une rétroaction rapide, appuyée sur des données en temps réel, sur les opérations en pharmacie d’établissement. Dans ma propre pratique, j’ai mis en place une rétroaction sur les délais de service des médicaments urgents et sur le niveau de bruit ambiant dans la zone de validation d’ordonnances; cet article vient supporter de telles initiatives.

Un tableau de bord de la charge de travail liée aux préparations de chimiothérapie

Cet article s’apparente à un rapport de cas. Il s’agit de la description de l’implantation d’un tableau de bord de la charge de travail liée aux préparations stériles de chimiothérapie dans la pharmacie d’un établissement de santé situé en Oregon. L’établissement est de niveau tertiaire et comporte 576 lits dans 3 installations. L’équipe de techniciens comprend 75 personnes dont 21 formées à la préparation stérile de chimiothérapie, travaillant sur 2 quarts de travail (jour et soir) au moment de l’intervention. La prémisse du développement de l’outil est qu’une augmentation de la charge de travail liée à l’expansion des activités d’oncologie de l’établissement avait été reliée à une augmentation du roulement de personnel (5 techniciens avaient quitté de décembre 2016 à juin 2017) et à une augmentation du temps de préparation des médicaments. Les administrateurs de la pharmacie ont donc mis en place cet outil de gestion pour documenter la charge de travail et obtenir des ressources additionnelles.

Un logiciel de flot de travail de préparations stériles a été mis en place dans la pharmacie en juin 2016. Il n’est pas très clair dans l’article quand le tableau de bord a été mis en place, mais on comprend que le temps moyen de préparation des médicaments a été calculé à 20 minutes (on assume à partir du logiciel de préparations) et que le travail « essentiel non productif » (pauses, nettoyage, remplissage, couverture de pauses, documentation) a été calculé à partir d’une documentation manuelle sur une période de temps qui n’est pas décrite dans l’article. Ceci a permis de documenter que le temps de travail total les jours de semaine était à 106% des heures budgétées par technicien, nécessitant de faire du temps supplémentaire et de ne pas prendre des pauses, contribuant ainsi au burnout de l’équipe. Le logiciel a aussi permis de documenter une augmentation de 400 préparations par mois entre juin 2016 et janvier 2017.

Les données obtenues ont permis l’ajout d’un équivalent temps-plein de technicien pour compenser l’augmentation de la charge de travail. De juillet 2017 à janvier 2018, la charge de travail moyenne était de 84% par technicien par rapport aux heures budgétées, et un seul technicien a quitté durant cette période.

Je trouve l’étude pertinente car elle démontre l’utilité d’une documentation solide de la charge de travail et de ses effets, ainsi que l’effet de l’ajout de ressources lorsque cela est nécessaire. Bien sûr, on ne s’attend pas à ce que ce soit aussi facile (ni même possible…) d’obtenir des ressources additionnelles face à un problème similaire dans le contexte québécois, mais l’idée est là, et il demeure utile de documenter ce genre de problème.

L’étude comporte plusieurs limites. Notamment, les auteurs ne semblent pas avoir pensé à utiliser leur logiciel de préparations stériles pour documenter le temps réel de préparation plutôt qu’utiliser un temps moyen. Dans la discussion, ils mentionnent que le temps de préparation doit être calculé dans chaque centre en fonction de la technologie utilisée mais il n’y a pas de mention d’utiliser les données directement du système. Je trouve cela curieux, serais-ce lié à une difficulté d’extraire les données de ce type de technologie ? Ou bien les auteurs n’avaient simplement pas les moyens de le faire ? Il me semble qu’un tel tableau de bord avec des données réelles serait bien plus parlant.

Le code-barres pour la préparation des seringues orales

Il y a environ un an, je rapportais une étude sur la préparation des liquides oraux en pédiatrie sécurisée par code-barres. Une nouvelle étude sur le même sujet est parue dans l’AJHP en février 2019. L’étude vient de la Cleveland Clinic, un centre académique de 1400 lits situé en Ohio. La préparation des seringues orales a lieu à deux endroits dans ce centre, soit la pharmacie centrale et une satellite de pédiatrie, avec un volume de 118 000 seringes en 2015, soit 323 seringues par jour en moyenne, ce qui me semble petit pour un centre de cette taille. En comparaison, dans l’étude de l’an dernier, un hôpital pédiatrique de 300 lits a produit 178 344 doses en une année.

Un système de préparation de seringues orales avec vérification contenant-contenu par code-barres a été développé à partir du logiciel de préparation des produits stériles déjà en fonction dans l’établissement. Le logiciel gère trois modes de préparation:

  • À partir de produits liquides commerciaux
  • À partir de produits commerciaux reconstitués
  • À partir de préparations magistrales faites sur place

Des photos sont prises des préparations à chaque étape importante. La vérification contenant-contenu est assurée par la production d’étiquettes de contenant et de contenu comportant des codes-barres, générés par le système. Le flux de travail (priorisation des doses en fonction de l’heure d’administration, par priorité, etc.) est également géré par le système.

L’étude avait un devis pré-post. Une collecte de donnée avant l’implantation du système sur 66 jours. Le système a été implanté en deux phases, un pilote en juin 2016 et un déploiement complet en août 2016. Les données des trois premiers mois du déploiement complet ont été extraits pour la période post.

En période pré, 1053 préparations ont été collectées. Le temps de préparation d’une seringue avait une médiane de 2 [IQR 1-4] minutes. En post, 11 817 seringues (131 par jour , ce qui encore me semble peu) ont été collectées. La durée médiane d’une préparation était de 51 [IQR 33-79] secondes. Le taux d’erreurs interceptées en pré était de 2,2%, et en post il était de 0,26%; surtout lorsqu’un préparateur avait outrepassé un avertissement du système ou que le volume était inadéquat, ce qui n’était pas vérifié par le système.

Je trouve l’étude intéressante car elle démontre un avantage sur la durée de préparation des seringues et sur le taux d’erreurs. Également, elle vient complémenter la première étude sur la faisabilité d’utiliser un système de préparation de seringues orales avec vérification contenant-contenu par code-barres; selon moi, il n’y a plus de raison de ce passer de cette technologique à toutes les étapes de vérification contenant-contenu. Néanmoins, l’étude comporte certaines lacunes, notamment la collecte pré beaucoup plus petite et moins précise que celle post, et le faible volume de production de l’hôpital étudié.