J’ai parlé récemment d’alternatives aux téléavertisseurs, couramment appelés pagettes, qui commencent à émerger et à être utilisés avec succès dans les hôpitaux. Mon principal point était que d’autres alternatives qui avaient été tentées au fil des ans, notamment les systèmes VoIP et les téléphones cellulaires non intelligents intégrés au réseau téléphonique de l’hôpital, avaient échoué car ils ne représentaient pas de grandes avancées par rapport aux pagettes.
J’argumentais que la messagerie texte représentait selon moi la meilleure alternative aux téléavertisseurs, notamment en raison de la facilité d’utilisation et de la possibilité de répondre de manière asynchrone, tout en ayant confirmation que les messages envoyés ont bien été reçus. De toute manière, la messagerie texte, en pratique, est couramment utilisée par les cliniciens à qui on n’offre pas de meilleure alternative que leur pagette. Malheureusement, la question de la confidentialité de l’information médicale entre en jeu, lorsque celle-ci est partagée à travers un réseau cellulaire ou synchronisée « dans le nuage » en raison de la configuration des appareils personnels des cliniciens. Il existe des plate-formes de messagerie où l’information est encryptée lors de son transfert et où l’historique de communication n’est pas conservé sur les appareils personnels. De même, un système destiné au réseau de la santé pourrait offrir une application de type « desktop » en plus d’applications mobiles, pour par exemple y avoir accès à partir de postes de travail.
On a porté à mon attention une étude récente, parue à la fin mars 2016, spécifiquement sur ce sujet. Il s’agit d’une étude parue dans Journal of General Internal Medicine, et réalisée dans deux hôpitaux de Philadelphie, aux États-Unis. Les auteurs de l’article n’étaient pas reliés à une entreprise offrant un tel produit, et ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
Il s’agit d’une étude prospective observationnelle qui avait pour objectif de comparer entre deux unités de soins de médecine interne de deux hôpitaux similaires, l’effet de l’implantation d’un système de messagerie texte sécurisée en remplacement des téléavertisseurs sur la durée d’hospitalisation et les taux de réadmissions. Le deuxième hôpital, située géographiquement proche du premier, avec une clientèle similaire, le même dossier clinique informatisé, et plusieurs médecins en commun. Les patients ayant quitté contre avis médical, transférés vers un centre de soins de longue durée ou qui sont décédés durant l’étude ont été exclus, mais les auteurs se sont assurés que les tendances de ces paramètres sont demeurées semblables dans les deux établissements.
Le devis de l’étude était de type pré-post, la période pré allant du 1er mai 2012 au 30 avril 2013, et la période post du 1er mai 2013 au 30 avril 2014. Les unités de soins incluses étaient des unités d’enseignement avec une clientèle de patients variés. La méthode statistique utilisée est relativement complexe, je vous invite à lire l’article pour voir tous les détails. En résumé, elle visait à comparer à la fois la période pré et la période post, de même que les différences entres les hôpitaux, afin d’extraire l’effet du changement de technologie de communication d’autres facteurs confondants, comme entre autres la variation normale de la durée de séjour et des réadmissions au fil du temps, la variation des caractéristiques des patients, et d’autres interventions ayant un effet sur la durée de séjour. Des analyses de sensibilité ont aussi été menées.
La technologie de téléavertisseurs utilisée dans la période pré et l’hôpital contrôle consistait en un portail en ligne permettant l’envoi unidirectionnel de messages alphanumériques vers des téléavertisseurs, sans possibilité de répondre sans utiliser un ordinateur ou un téléphone, ou encore une conversation face à face, pour répondre. La technologie implantée était un système de messagerie texte sur application desktop, ou en application iOS ou Android que les cliniciens pouvaient obtenir sur leur appareil personnel. Si un clinicien n’avait pas d’appareil mobile, un iPod Touch lui était fourni lors de sa présence à l’hôpital. Les messages étaient encryptés durant le transfert, une confirmation de lecture était retournée à l’expéditeur, et la réponse directement dans l’application était possible. L’application a été déployée à tout le personnel clinicien et administratif de l’unité de soins évaluée (incluant les pharmaciens !)
À l’hôpital contrôle, 2727 patients ont été inclus durant la période pré et 2250 dans la période post. À l’hôpital intervention, 3283 ont été inclus dans la période pré et 3201 dans la période post. Le profil de comorbidités était similaire entre les hôpitaux pour les périodes pré et post. On apprend d’ailleurs que les messages envoyés par les pharmaciens représentaient environ 6% du volume de messages transmis durant la période d’étude. On peut constater que la durée de séjour moyenne a diminué de 0,77 jours (p<0,001) à l’hôpital intervention, et que le taux de réadmissions n’a pas augmenté durant l’étude (p=0,77). Cette conclusion a résisté aux analyses de sensibilité.
L’hypothèse des auteurs est que l’application de messagerie permettait une meilleure coordination des soins entre les cliniciens, notamment en permettant les messages de groupe pour toute l’équipe traitante, pas seulement des conversations un-à-un. Ceci aurait permis une meilleure planification des congés, résultant en une plus courte durée de séjour.
L’étude m’apparaît bien faite et les conclusions me semblent adéquates. La magnitude de l’effet m’apparaît raisonnable compte tenu de l’intervention évaluée, mais assez importante pour être cliniquement significative puisqu’elle s’applique à l’ensemble des patients. Évidemment, il s’agit d’une étude observationnelle, mais j’ai de la difficulté à croire qu’on pourrait réaliser une telle étude avec un meilleur devis que celle-ci. En tout cas, un devis randomisé serait assez difficile à faire. Enfin, la population de l’étude était une clientèle adulte, pas trop âgée (moyenne d’âge 55-60 ans), de médecine interne, dans des hôpitaux américains en milieu urbain. Il n’est pas évident que les conclusions seaient généralisables à d’autres populations et d’autres types d’hôpitaux ou d’unités de soins.
J’ai souvent pu, dans ma propre pratique, constater à quel point la communication peut être problématique lors de l’organisation du départ de certains patients, en particulier lorsque leurs problèmes de santé sont multiples et complexes. Cela peut effectivement parfois ajouter quelques heures, voire une journée, à une hospitalisation. Je n’ai donc pas de difficulté à croire l’hypothèse des auteurs selon laquelle une meilleure offre d’outils de communication peut diminuer la durée de séjour en facilitant l’organisation du départ.
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