Messagerie intégrée au dossier électronique en remplacement des pagettes

Cet article a été écrit par des infirmières d’un hôpital de 336 lits situé dans la région de Seattle, aux États-Unis. Il est disponible en texte complet gratuitement sur PubMed Central. L’article décrit la mise en place d’un système de messagerie similaire au courriel intégré au dossier électronique de l’hôpital, afin de diminuer le recours aux téléavertisseurs en situation non urgente et ultimement réduire les interruptions et les distractions.

Une évaluation de la situation avant l’implantation de cette messagerie a montré que seulement 13,8% de 1252 messages envoyés par téléavertisseurs sur 2 semaines étaient réellement urgents. Le critère utilisé pour définir l’urgence dans le contexte de ce système était « est-ce que la personne contactée devrait arrêter ce qu’elle fait actuellement pour s’occuper de cette situation ? ».

Le système de messagerie a été déployé pour les infirmières et les médecins (à l’exception des chirurgiens) du centre d’abord pour des utilisateurs sélectionnés en phase pilote, puis l’utilisation a été élargie à tout le quart de jour en avril 2015. En mars 2016,  le quart de nuit a été ajouté. Il n’y a pas de mention des pharmaciens dans l’article sauf dans la conclusion pour dire que le système leur serait éventuellement offert.

Le nombre de messages non urgents par jour a diminué de 103 à 38 (p<0,001) et le nombre de messages urgents est demeuré inchangé à 13 par jour (p=0,52).

Une limite majeure est l’inclusion uniquement des médecins « non chirurgiens » dans ce système parce que les chirurgiens n’avaient pas un accès constant au dossier électronique. En effet, pour que ce genre de système soit efficace, les professionnels doivent avoir un accès quand même fiable au système de messagerie. Les téléavertisseurs, malgré leur antiquité, ont l’avantage de fonctionner sans nécessité d’accès à un ordinateur.

Je trouve que cet article décrit une alternative intéressante aux téléavertisseurs et relativement facile à mettre en place; la plupart des systèmes de dossiers que j’ai vus, que ce soit en pharmacie ou plus globaux, ont une fonction de messagerie intégrée. Néanmoins, l’accès à un ordinateur et le fait que l’utilisateur doit aller consulter la messagerie pour voir le message, contrairement au pagette où le message s’impose par du son et de la vibration, peut être une limite à ce genre de solution.

BYOD dans les établissements de santé ?

25787937_sJ’ai récemment publié deux billets sur l’évolution de la messagerie en établissement de santé, la fin des pagettes et les technologies de messagerie qui pourraient éventuellement prendre leur place.

Peu importe la technologie qui émergera, ou en attendant son arrivée, il est clair que les cliniciens utiliseront leurs appareils mobiles personnels pour échanger de l’information. Il est également évident que le système de santé fait face à un enjeu de sécurité et de confidentialité avec cette pratique.

Un article publié en avril décrit bien la problématique. L’information échangée par les cliniciens sur leurs appareils est bien sûr stockée sur ceux-ci, et la perte d’un appareil représente un risque pour les données personnelles de patients. Également, il est probable que cette information soit synchronisée avec un quelconque service d’infonuagique. Dans ce genre de cas, l’information personnelle, même si elle n’est pas stockée dans l’appareil, peut être facilement téléchargée avec les accès configurés dans celui-ci, ou encore peut devenir vulnérable à une brèche dans le service lui-même, comme on l’a vu à quelques reprises avec des brèches très médiatisées au courant des dernières années.

Une phrase importante de l’article est: « You can tell your employees all you want, ‘Don’t text, don’t text, don’t text,’ but they’re going to text. »

Je trouve que cette phrase illustre bien le problème: l’utilisation d’appareils personnels représente un certain risque, mais dans la situation actuelle, des failles équivalentes sinon pires existent. D’abord, l’actuelle absence de plateforme de communication (à l’exception du courriel interne, mais qui ne peut pas vraiment être utilisé dans la pratique clinique) force les cliniciens à utiliser les technologies qu’ils ont à leur disposition; ceci passe certainement par leurs appareils personnels et la messagerie texte. La combinaison pagette – téléphone fixe n’est tout simplement plus à la hauteur du niveau de productivité attendu de nos jours.

Par ailleurs, les cliniciens doivent aussi avoir de l’information clinique disponible pour eux-mêmes, surtout s’il n’y a pas de dossier informatisé en place. Ceci se manifeste par une liste de patients manuscrite ou imprimée sur papier, avec une liste de choses à faire durant la journée. Cette liste papier peut être oubliée quelque part, tomber d’une poche, etc. Les services de synchronisation dans le nuage peuvent être un risque de sécurité, mais au moins ils sont protégés par un mot de passe, un papier tombé par terre n’offre aucune sécurité !

J’ai déjà dit que je crois que la meilleure solution est un système de messagerie dédié, fonctionnant si possible à partir des serveurs d’une organisation mais qui permet aux cliniciens d’utiliser une application installée sur leurs propres appareils, qui conserve un historique limité, et qui peut encrypter les communications lorsqu’elles passent par un réseau public.

Lorsque ceci, ou un équivalent, se mettra en place, je crois que les cliniciens et les organisations seront tentées d’aller vers le modèle Bring Your Own Device (BYOD), où les appareils personnels sont reliés au réseau de l’organisation, d’une part pour une question de coûts, et d’autre part pour éviter de trimbaler plusieurs appareils. La majorité des cliniciens ont déjà un appareil personnel, de toute façon. La question des quelques personnes qui n’en ont pas se posera évidemment.

Deux enjeux de sécurité se poseront alors: d’une part l’introduction de logiciels malveillants sur le réseau par les appareils mobiles, et d’autre part une vulnérabilité des données transférées de l’organisation vers les appareils mobiles. Afin de contrôler ces risques, plusieurs applications de gestion d’appareils mobiles offrent des fonctionnalités pour « sécuriser » les appareils en BYOD, une application de premier plan dans cette gamme est par exemple AirWatch. Je n’aime pas beaucoup ces logiciels, car je trouve qu’ils donnent à un employeur un accès démesuré aux appareils personnels de leurs employés; par exemple avec un contrôle des mises à jour, de l’installation de logiciels, en permettant à l’employeur de réinitialiser à distance l’appareil, etc. Évidemment, ceci dépend de la manière dont c’est géré, puisque ces logiciels offrent quand même la possibilité de compartimenter les éléments d’entreprise et de gérer uniquement ceux-ci. Mais je comprends l’enjeu. Ce sera donc aux cliniciens de bien peser le pour et le contre de donner un accès à leur appareil personnel à leur employeur.

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Pagettes… prise 2

31796705_sJ’ai parlé récemment d’alternatives aux téléavertisseurs, couramment appelés pagettes, qui commencent à émerger et à être utilisés avec succès dans les hôpitaux. Mon principal point était que d’autres alternatives qui avaient été tentées au fil des ans, notamment les systèmes VoIP et les téléphones cellulaires non intelligents intégrés au réseau téléphonique de l’hôpital, avaient échoué car ils ne représentaient pas de grandes avancées par rapport aux pagettes.

J’argumentais que la messagerie texte représentait selon moi la meilleure alternative aux téléavertisseurs, notamment en raison de la facilité d’utilisation et de la possibilité de répondre de manière asynchrone, tout en ayant confirmation que les messages envoyés ont bien été reçus. De toute manière, la messagerie texte, en pratique, est couramment utilisée par les cliniciens à qui on n’offre pas de meilleure alternative que leur pagette. Malheureusement, la question de la confidentialité de l’information médicale entre en jeu, lorsque celle-ci est partagée à travers un réseau cellulaire ou synchronisée « dans le nuage » en raison de la configuration des appareils personnels des cliniciens. Il existe des plate-formes de messagerie où l’information est encryptée lors de son transfert et où l’historique de communication n’est pas conservé sur les appareils personnels. De même, un système destiné au réseau de la santé pourrait offrir une application de type « desktop » en plus d’applications mobiles, pour par exemple y avoir accès à partir de postes de travail.

On a porté à mon attention une étude récente, parue à la fin mars 2016, spécifiquement sur ce sujet. Il s’agit d’une étude parue dans Journal of General Internal Medicine, et réalisée dans deux hôpitaux de Philadelphie, aux États-Unis. Les auteurs de l’article n’étaient pas reliés à une entreprise offrant un tel produit, et ne déclarent aucun conflit d’intérêt.

Il s’agit d’une étude prospective observationnelle qui avait pour objectif de comparer entre deux unités de soins de médecine interne de deux hôpitaux similaires, l’effet de l’implantation d’un système de messagerie texte sécurisée en remplacement des téléavertisseurs sur la durée d’hospitalisation et les taux de réadmissions. Le deuxième hôpital, située géographiquement proche du premier, avec une clientèle similaire, le même dossier clinique informatisé, et plusieurs médecins en commun. Les patients ayant quitté contre avis médical, transférés vers un centre de soins de longue durée ou qui sont décédés durant l’étude ont été exclus, mais les auteurs se sont assurés que les tendances de ces paramètres sont demeurées semblables dans les deux établissements.

Le devis de l’étude était de type pré-post, la période pré allant du 1er mai 2012 au 30 avril 2013, et la période post du 1er mai 2013 au 30 avril 2014. Les unités de soins incluses étaient des unités d’enseignement avec une clientèle de patients variés. La méthode statistique utilisée est relativement complexe, je vous invite à lire l’article pour voir tous les détails. En résumé, elle visait à comparer à la fois la période pré et la période post, de même que les différences entres les hôpitaux, afin d’extraire l’effet du changement de technologie de communication d’autres facteurs confondants, comme entre autres la variation normale de la durée de séjour et des réadmissions au fil du temps, la variation des caractéristiques des patients, et d’autres interventions ayant un effet sur la durée de séjour. Des analyses de sensibilité ont aussi été menées.

La technologie de téléavertisseurs utilisée dans la période pré et l’hôpital contrôle consistait en un portail en ligne permettant l’envoi unidirectionnel de messages alphanumériques vers des téléavertisseurs, sans possibilité de répondre sans utiliser un ordinateur ou un téléphone, ou encore une conversation face à face, pour répondre. La technologie implantée était un système de messagerie texte sur application desktop, ou en application iOS ou Android que les cliniciens pouvaient obtenir sur leur appareil personnel. Si un clinicien n’avait pas d’appareil mobile, un iPod Touch lui était fourni lors de sa présence à l’hôpital. Les messages étaient encryptés durant le transfert, une confirmation de lecture était retournée à l’expéditeur, et la réponse directement dans l’application était possible. L’application a été déployée à tout le personnel clinicien et administratif de l’unité de soins évaluée (incluant les pharmaciens !)

À l’hôpital contrôle, 2727 patients ont été inclus durant la période pré et 2250 dans la période post. À l’hôpital intervention, 3283 ont été inclus dans la période pré et 3201 dans la période post. Le profil de comorbidités était similaire entre les hôpitaux pour les périodes pré et post. On apprend d’ailleurs que les messages envoyés par les pharmaciens représentaient environ 6% du volume de messages transmis durant la période d’étude. On peut constater que la durée de séjour moyenne a diminué de 0,77 jours (p<0,001) à l’hôpital intervention, et que le taux de réadmissions n’a pas augmenté durant l’étude (p=0,77). Cette conclusion a résisté aux analyses de sensibilité.

L’hypothèse des auteurs est que l’application de messagerie permettait une meilleure coordination des soins entre les cliniciens, notamment en permettant les messages de groupe pour toute l’équipe traitante, pas seulement des conversations un-à-un. Ceci aurait permis une meilleure planification des congés, résultant en une plus courte durée de séjour.

L’étude m’apparaît bien faite et les conclusions me semblent adéquates. La magnitude de l’effet m’apparaît raisonnable compte tenu de l’intervention évaluée, mais assez importante pour être cliniquement significative puisqu’elle s’applique à l’ensemble des patients. Évidemment, il s’agit d’une étude observationnelle, mais j’ai de la difficulté à croire qu’on pourrait réaliser une telle étude avec un meilleur devis que celle-ci. En tout cas, un devis randomisé serait assez difficile à faire. Enfin, la population de l’étude était une clientèle adulte, pas trop âgée (moyenne d’âge 55-60 ans), de médecine interne, dans des hôpitaux américains en milieu urbain. Il n’est pas évident que les conclusions seaient généralisables à d’autres populations et d’autres types d’hôpitaux ou d’unités de soins.

J’ai souvent pu, dans ma propre pratique, constater à quel point la communication peut être problématique lors de l’organisation du départ de certains patients, en particulier lorsque leurs problèmes de santé sont multiples et complexes. Cela peut effectivement parfois ajouter quelques heures, voire une journée, à une hospitalisation. Je n’ai donc pas de difficulté à croire l’hypothèse des auteurs selon laquelle une meilleure offre d’outils de communication peut diminuer la durée de séjour en facilitant l’organisation du départ.

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