Prédiction d’interventions du pharmacien à l’aide de marqueurs du travail des prescripteurs

Une nouvelle publication décrivant l’utilisation de machine learning pour orienter l’évaluation des ordonnances par les pharmaciens, de la part d’auteurs américains, a été publiée en juillet 2021 dans JAMIA Open et est disponible en texte complet gratuitement sur PubMed Central. Ceci fait suite à des publications passées d’autres groupes sur le même sujet. Étrangement, il n’est pas clair dans les détails de la publications si des pharmaciens sont parmi les auteurs, mais le processus de travail des pharmaciens est très bien décrit, on peut donc assumer que des pharmaciens ont minimalement été consultés.

L’objectif de l’étude était d’élaborer un modèle de machine learning permettant d’identifier les ordonnances nécessitant une intervention de la part du pharmacien. L’étude a eu lieu dans 3 hôpitaux académiques américains totalisant 1600 lits. Un dossier électronique commercial était utilisé pour la prescription électronique et la vérification des ordonnances. Les données du dossier électronique de 2 semaines, du 10 au 24 juillet 2017, ont été extraites, comprenant environ 181 000 ordonnances en 36 500 « lots » (un lot étant un groupe d’ordonnances prescrites en même temps), pour 16 000 patients, par 2700 prescripteurs. 2054 de ces lots contenaient au moins une ordonnance requérant une intervention.

Les variables utilisées afin de prédire la nécessité d’intervention du pharmacien ont été construites sur la base des actions et des caractéristiques du prescripteur juste avant de prescrire, la théorie étant que la lourdeur des tâches et la fragmentation du travail du prescripteur avant de prescrire pourrait mener à davantage d’erreurs, et donc davantage d’interventions de la part du pharmacien. Les variables incluses étaient divisées en trois catégories:

  • Les mesures d’engagement envers les patients et le dossier électronique dans l’heure précédant la prescription (ex: nombre de patients consultés, nombre d’ordinateurs utilisés, nombre d’actions administratives effectuées, etc.)
  • Les caractéristiques des ordonnances incluses dans le lot (ex: nombre d’ordonnances, utilisation de order sets, nombre de represcriptions de médicaments, nombre d’ordonnances « stat », etc.)
  • Les données contextuelles (type de prescripteur, spécialité du prescripteur, moment de prescription, etc.)

Quatre modèles de machine learning ont été construits avec ces variables comme prédicteurs et l’intervention du pharmacien comme issue: deux modèles de régression logistique, le premier avec régularisation L1 et le second avec régularisation L2, une forêt aléatoire et un modèle avec boosting XGBoost. Les données ont été divisées aléatoirement en jeux d’entraînement, validation et test. Une stratégie de recherche de paramètres par grid search avec validation croisée avec a été utilisée pour déterminer les hyperparamètres des modèles. La technique SMOTE a été utilisée pour gérer le débalancement de classes (les ordonnances sans intervention étant plus fréquentes).

Le modèle XGBoost s’est avéré le plus performant. Cependant, l’aire sous la courbe précision-rappel était plutôt faible à 0,439, indiquant une performance modeste du modèle. Malgré tout, en analysant l’explicabilité du modèle, les auteurs ont pu identifier que les ordonnances de résidents, les nombre d’ordonnances de « réconciliations » (on comprend liées au bilan comparatif) et les ordonnances en grand nombre dans un même lot, étaient plus susceptibles de requérir une intervention, ce qui concorde avec ce que j’observe en pratique.

Il est dommage que les modèles développés par les auteurs étaient aussi peu performants. Néanmoins, l’approche des auteurs qui ciblait des marqueurs de la charge cognitive du prescripteur comme prédicteurs des erreurs dans les ordonnances est très intéressante. J’apprécie également le fait que les auteurs ont tenté de générer un modèle explicable et que leur processus d’élaboration du modèle était très clair; dans d’autres publications décrivant des modèles visant à prédire les erreurs de prescription, certains éléments peuvent être flous. J’espère voir davantage de publications sur ce sujet de la part de ce groupe.

Assistance aux préparations stériles intégrée au dossier électronique

Les logiciels d’assistance aux préparations stériles (appelés d’abord en anglais IV Workflow Software puis Technology-Assisted WorkFlow (TAWF), qui semble être le terme favorisé actuellement) font régulièrement l’objet de publications. Dans le numéro de juillet 2021 de l’AJHP, un article décrivait l’implantation d’une fonctionnalité d’assistance aux préparations intégrée au logiciel de dossier électronique déjà en place dans un centre, comparativement aux publications décrivant généralement des produits séparés et interfacés au dossier principal.

L’étude a été réalisée dans une institution américaine comportant 4 pharmacies desservant des cliniques d’infusion ambulatoires en oncologie. Un logiciel distinct du dossier électronique était déjà en place pour la vérification des préparations à l’aide de photos. Cependant, le dossier électronique lui même était utilisé pour la documentation des ingrédients et la traçabilité de la préparation, afin de supporter les processus de facturation. Une transition a été menée en 2019 vers un système de vérification des préparations avec photos intégrée au logiciel de dossier électronique. Les auteurs décrivent les avantages de cette transition: notamment la réduction du recours à la saisie manuelle d’information dans le système séparé (on comprend que le système était peu ou pas interfacé avec le dossier électronique) et une réduction de coût annuelle d’environ 36 000$ américains (on a donc une idée du coût annuel d’un tel système). Le nouveau système a requis l’installation de postes informatiques complets ainsi que des caméras dédiées à chaque hotte stérile plutôt que les tablettes précédemment utilisées. Des ajustements ont été nécessaires aux processus de travail et à la configuration des flux de travail de vérification des préparations dans le logiciel de dossier électronique. Il est intéressant de noter que la vérification des préparations pour les quatre pharmacies était réalisée à distance de manière centralisée dans une des quatre pharmacies. Une impression d’une étiquette finale était déclenchée par la vérification à distance, signalant que la préparation avait été vérifiée et pouvait être dispensée.

La transition semble s’être bien passée, requérant seulement 2 jours de support sur place. Cependant, des difficultés techniques ont été constatées avec la prise de photos requérant l’achat de composantes techniques additionnelles, en sus de difficultés liées au flux de travail de vérification qui ont nécessité des ajustements à la configuration des files de vérification.

Cette transition a été évaluée à l’aide d’un devis pré-post avec une période 3 mois avant l’implantation et 3 mois après l’implantation. Les durées des étapes de préparation ainsi que les taux de détection d’erreurs ont été comparées. 4188 préparations stériles ont été réalisées avant la transition et 3313 après. La durée entre l’impression initiale de l’étiquette de préparation et la complétion de la préparation était plus grande avec le système intégré (16,8 vs 19,3 minutes). La durée totale de la production jusqu’à la fin de la vérification était de 23,1 minutes avec le système séparé et 26,7 minutes avec le système intégré; cependant les auteurs ont noté une diminution des temps à chaque mois après la transition, on peut donc déduire qu’une période d’attente avant la réalisation de la période post aurait été préférable pour permettre aux habitudes de s’installer avec le nouveau système et ainsi refléter un peu mieux la performance en vie réelle. Les taux d’interception d’erreurs étaient de 0,72% avec le système externe et 0,88% avec le système intégré, ce que les auteurs ont jugé comparable.

Je trouve l’étude intéressante car elle démontre l’impact relativement mineur (essentiellement des enjeux techniques facilement surmontés) d’une transition d’un système externe à un système intégré. La gestion du changement liée à cette transition est bien décrite dans l’article. Bien que l’enjeu de la retranscription manuelle d’un système à l’autre ne soit pas abordé à fond dans l’article, il me semble que l’élimination de cette étape est un avantage majeur qui en soi justifie pleinement la transition vers le système intégré, dans l’optique du circuit du médicament en boucle fermée. Évidemment, ce genre d’avantage peut cependant devenir un frein à l’interopérabilité; on peut imaginer certains développeurs de dossiers électroniques refusant la mise en place d’interfaces vers des systèmes externes dans le but de forcer l’utilisation de leurs fonctionnalités intégrées. Il est dommage que l’article n’aborde pas les raisons de l’absence d’interface (impossibilité technique ? coûts ? manque de collaboration des fournisseurs ?).

Un tableau de bord et des rencontres quotidiennes pour améliorer la ponctualité des services de médicaments

J’ai déjà parlé dans le passé du temps pour le service des premières doses et de l’effet d’un tableau de bord présentant des mesures de performance en temps réel. Un nouvel article publié dans le numéro de juillet de l’AJHP décrit l’impact de la mise en place de petites réunion quotidiennes (huddles) combiné à un tableau de bord sur la ponctualité des services de médicaments.

L’étude a été menée dans un centre académique américain de 1100 lits, mais en pratique seule la pharmacie centrale destinée aux adultes, desservant 500 lits, a été impliqué dans le projet. Cette pharmacie est ouverte 24h et des livraisons de médicaments sont effectuées à pied par des techniciens en pharmacie à des intervalles réguliers durant la journée. Afin d’améliorer la ponctualité des départs de ces livraisons, les auteurs ont mis en place des petites réunions quotidiennes aux changements de quart de travail où était présenté un tableau de bord montrant les statistiques de ponctualité des dernières livraisons. Si des problèmes causent des délais, les participants aux réunions (pharmaciens, techniciens, internes, gestionnaires) étaient encouragés à en discuter pour trouver des solutions.

L’étude a été menée avec un devis pré-post. La ponctualité des livraisons, définie comme un départ ± 5 minutes autour de l’heure prévue, a été collectée 2 semaines avant et 2 semaines après la mise en place des mesures. Des données sur la charge de travail concomitante (nombre d’ordonnances par quart, nombre de communications reçues à la pharmacie en provenance des unités de soins, nombre de personnes présentes à la pharmacie) ont aussi été collectées. Un modèle statistique prenant en compte les mesures répétées et capable d’évaluer la présence de tendances dans les périodes pré et post (afin de séparer l’effet de l’intervention d’une tendance générale) a été élaboré.

497 livraisons ont été collectées en période pré et 535 en post. La ponctualité des livraisons s’est améliorée de 37% (intervalle de confiance 95% 18-56%) entre la période pré et la période post. L’analyse n’a pas démontré de tendance globale entre les deux périodes pouvant expliquer la différence observée. De même, l’effet était similaire sur les 3 quarts de travail et la variance des mesures était comparable entre les deux périodes. Les 3 indicateurs de charge de travail n’étaient pas associés à l’effet observé.

Dans la discussion, les auteurs mentionnent que ce nouveau fonctionnement a été apprécié, particulièrement des techniciens, au point où ceux-ci voulaient remplacer leurs réunions mensuelles par ces nouvelles petites réunions quotidiennes. Les auteurs expliquent aussi comment ces discussions ont permis d’identifier les facteurs qui causaient des retards et ont permis aux participants d’échanger des techniques pour mieux s’organiser.

Je trouve cette étude intéressante car elle démontre l’impact positif d’une rétroaction rapide, appuyée sur des données en temps réel, sur les opérations en pharmacie d’établissement. Dans ma propre pratique, j’ai mis en place une rétroaction sur les délais de service des médicaments urgents et sur le niveau de bruit ambiant dans la zone de validation d’ordonnances; cet article vient supporter de telles initiatives.