Alertes pour la détection des problèmes liés à la pharmacothérapie

Cette étude a été réalisée en Espagne dans un hôpital universitaire de 431 lits, et avait pour objectif de décrire l’utilisation d’un système d’aide à la décision offrant des alertes intégrées au logiciel de prescription électronique et au dossier électronique, pour une détection de problèmes liés à la pharmacothérapie.

Le système offrait la possibilité de programmer des déclencheurs d’alerte liés aux paramètres suivants:

  • L’âge ou le sexe
  • La dose maximale, minimale ou cumulative, les voies d’administration et la durée de traitement
  • Les tests de laboratoire et les indicateurs et scores dérivés (clairance à la créatinine, score MELD, etc.)
  • Les interactions médicamenteuses

À noter, le système n’offrait pas d’alerte pour les allergies.

À chaque jour, les pharmaciens cliniciens de l’hôpital révisaient les alertes générées par le système qui s’affichaient dans le module de pharmacie du dossier électronique. Ces alertes étaient visibles uniquement pour les pharmaciens. Ceux-ci prenaient action selon la pertinence clinique et l’urgence de l’alerte, soit en inscrivant une note au dossier électronique visible pour les autres professionnels ou en intervenant directement auprès de l’équipe clinique. Évidemment, les pharmaciens cliniciens révisaient aussi les profils pharmacologiques de manière indépendante du système d’alertes pour détecter tous les problèmes.

Les données de ce système ont été collectées pour l’année 2012. 83% des médicaments existant dans le système avaient des paramètres d’alertes programmées, pour un total de 7879 alertes potentielles, correspondant à 99,4% des médicaments prescrits durant l’année.  185 131 prescriptions ont été faites avec le système durant l’année, et 3552 interventions pharmaceutiques ont été faites. De celles-ci 79,1% ont été détectées par le système d’alerte et le reste n’ont été détectées que par le pharmacien clinicien. Au moins un problème a été détecté chez 10,7% des admissions et 12,4% des patients.

Au total, 13 833 alertes ont été générées par le système durant l’année, dont 2808 (20%) ont été jugées cliniquement significatives par les pharmaciens cliniciens. 53,2% des alertes pertinentes concernaient le dosage, 25,7% les tests de laboratoire (47% fonction rénale, 38,4% électrolytes), 15,4% les interactions, 4,6% les duplications et 28% les combinaisons.

Le pourcentage d’alertes cliniquement significatives dans cette étude est relativement élevé à 20%, ce qui, je crois, pourrait être lié à la programmation des alertes gérée par les pharmaciens de l’établissement plutôt qu’à l’utilisation d’un système commercial. J’aime bien l’idée d’automatiser, au moins partiellement, la détection des problèmes de pharmacothérapie en assistance au pharmacien clinicien qui doit réviser des profils pharmacologiques, afin de s’assurer de ne rien « échapper » par inadvertence. Néanmoins, ce genre de système doit être bien paramétré pour être cliniquement utile et ne pas contribuer au alert fatigue causé par les systèmes qui génèrent plein d’alertes inutiles.

Un outil de documentation permettant le suivi des interventions pharmaceutiques en ambulatoire

Cet article décrit la mise en place d’un suivi des interventions de pharmaciens en clinique ambulatoire par des indicateurs alimentés à partir de la documentation électronique. L’étude a eu lieu dans une organisation de santé américaine située au Wisconsin. L’objectif initial des auteurs était de standardiser les indicateurs utilisés pour décrire le travail des pharmaciens en ambulatoire à travers leur organisation et évaluer leur impact.

Trois cliniques ambulatoires ont été sélectionnées pour une phase pilote. Les pharmaciens de ces cliniques utilisaient au départ des indicateurs différents malgré des responsabilités similaires. La documentation était surtout manuelle. Afin de définir les indicateurs standardisés qui seraient mis en place, une revue de littérature de même que des réunions ont été effectuées; les indicateurs ont été établis dans trois catégories: issues cliniques, remboursement des interventions (attention à la définition de ce terme dans le contexte américain) et satisfaction des patients. Un calcul de l’impact financier a aussi été effectué à partir de valeurs rapportées dans la littérature, mais je trouve ce calcul un peu simpliste.

Pour calculer les indicateurs, un outil de documentation a été mis en place dans le dossier électronique de l’organisation, avec les codes d’intervention suivants:

  • Ajout de médicament
  • Détection d’effet indésirable
  • Détection ou clarification d’allergie
  • Arrêt d’un médicament
  • Changement de dose
  • Changement de forme
  • Changement de médicament
  • Information sur les médicaments ou consultation
  • Réconciliation médicamenteuse
  • Éducation au patient

L’outil avait aussi des fonctions permettant d’assurer le suivi des interventions de visite en visite et la consultation de ces notes par les médecins et les autres intervenants. Un rapport permettant d’effectuer un suivi tabulé de ces interventions a aussi été mis en place. En ce qui a trait à la satisfaction des patients, un questionnaire a été utilisé.

L’étude a inclus toutes les interventions réalisés avec ce système dans les 3 cliniques pilotes du 17 novembre 2014 au 8 février 2015, avec un audit de la qualité de la documentation aux 2 semaines.

764 interventions ont été acceptées durant la période de l’étude, représentant 24 interventions par équivalent temps plein pharmacien par semaine. Le calcul de coût a estimé une réduction de dépenses de 40 000 $ liée aux interventions des pharmaciens durant l’étude. 52 questionnaires de satisfaction des patients ont été remplis et ceux-ci montré une réaction très positive, avec une absence complète de notes ou de commentaires négatifs.

Les pharmaciens ont pour leur part noté que le temps requis pour la documentation avec l’outil électronique était circonscrit et que le processus était globalement avantageux.

Je trouve cette étude intéressante car elle démontre bien l’utilité de la documentation intégrée au dossier électronique pour obtenir des indicateurs standardisés. La documentation manuelle ou parallèle étant une charge de travail supplémentaire, celle-ci tend à être effectuée de manière sommaire ou en différé par rapport aux interventions, ce qui peut affecter la qualité des données. Un processus intégré au flot de travail et au maximum automatisé permet au contraire de capturer des données plus intéressantes.

Articles de la semaine

États-Unis, révision des ordonnances de chimiothérapie orale en externe à l’aide d’un logiciel

Il s’agit d’une étude rétrospective de type pré-post menée au Medical University of South Carolina Hollings Cancer Center. Cette étude décrit l’effet de l’implantation d’un logiciel de prescription électronique de la chimiothérapie permettant la documentation des interventions sur le travail des pharmaciens en oncologie, en ce qui a trait à la révision des ordonnances de chimiothérapie orale en externe. Dans cette organisation, avant l’implantation de ce logiciel, les ordonnances de chimiothérapie orale n’étaient pas systématiquement révisées par un pharmacien avant la dispensation en pharmacie externe, à l’exception de deux cliniques ciblées et d’une révision ad hoc selon la situation. Après l’implantation du logiciel, la fonctionnalité d’identification des prescriptions de ce type a permis la mise en place d’un processus de révision systématique de toutes ces ordonnances, à l’exception de celles formulées à l’extérieur d’un plan de traitement standardisé. Le logiciel permet également la documentation des interventions pharmaceutiques liées à la révision de ces ordonnances.

Les patients ayant reçu au moins une ordonnance de chimiothérapie orale en externe ont été inclus dans cette étude si l’ordonnance avait été émise durant une période pré-implantation (octobre-décembre 2013) ou une période post-implantation (octobre-décembre 2014). Les ordonnances révisées et les interventions pharmaceutiques reliées ont été collectées; durant la période pré, celles-ci étaient documentées à l’extérieur du dossier électronique dans une feuille de calcul. Le temps requis pour les interventions a aussi été collecté, et les interventions ont été classées selon leur importance clinique à l’aide d’une classification reconnue établie dans d’autres études.

240 patients ayant reçu 450 ordonnances ont été inclus, dont 134 ordonnances révisées dans la période pré et 316 dans la période post. 89 interventions ont été réalisées dans la période pré, comparativement à 681 durant la période post. Les types d’interventions les plus fréquents étaient la coordination des calendriers de traitement, la coordination des soins et l’assistance avec les plans de traitement. 41 erreurs de prescription ont été interceptées durant la période pré, comparativement à 250 durant la période post.

Bien sûr, ceci était lié à une augmentation du temps passé à faire ces activités. Durant la période pré, 9.3 heures par mois étaient consacrées à la révision des ordonnances et 14.7 heures aux interventions, comparativement à 34 heures de révision et 79 heures d’intervention durant la période post.

Je trouve cette étude pertinente car elle est un bon exemple d’un effet positif d’une meilleure disponibilité de l’information sur le travail des pharmaciens. Dans le centre étudié, les ordonnances n’étaient pas systématiquement révisées car il n’y avait pas de système en place pour rendre ces ordonnances disponibles aux pharmaciens; tandis qu’après l’arrivée du logiciel, un flot de travail permettant cela a pu être mis en place. De même, la documentation des interventions de manière électronique, associée en temps réel à celles-ci, est un bénéfice pour illustrer l’effet bénéfique des pharmaciens sur ce processus.

Néanmoins, l’augmentation du temps associé à ces activités doit inévitablement s’accompagner d’une diminution du temps accordé à une autre activité si aucune ressource n’est ajoutée. En ce sens, il est utile de se demander si l’activité ainsi développée est la meilleure utilisation possible du temps de ces pharmaciens, mais on n’en parle pas dans cet article.

États-Unis, variabilité des interactions médicamenteuses de haute priorité dans les dossiers électroniques

Ce sondage avait pour objectif de décrire l’état d’implantation d’une liste de 15 interactions médicamenteuses jugées prioritaires par un organisme américain, dans l’optique de mieux caractériser la variabilité entre les différents centres, de la méthode d’évaluation et d’alertes pour ces interactions. L’article est disponible gratuitement en texte complet sur le site de l’éditeur.

La liste a été obtenu d’un consensus d’experts avec l’aval du Office of the National Coordinator for health information Technology américain. L’article décrivant la méthode d’élaboration et la liste elle-même sont disponibles en ligne.

21 centres américains représentant un échantillon de convenance ont été sélectionnés pour participer au sondage, et de même 2 logiciels gratuits ont été évalués par les chercheurs de la même manière. Des centres contactés, 19 ont répondu et 17 ont complété le sondage.

L’évaluation consistait en la création dans le logiciel de prescription électronique d’un patient test, suivi de prescriptions fictives des médicaments impliqués dans les 15 interactions évaluées. Durant cette phase, les chercheurs supervisaient le test par partage d’écran. Les résultats sont présentés en agrégé pour tous les centres, et une sous catégorie des 6 systèmes Epic représentés dans l’étude a été isolée.

Dans 17 des 19 systèmes évalués (89%), la capacité de présenter diverses sévérités d’interactions existait. Cependant, dans 4 systèmes (21%), seules les interactions les plus sévères apparaissaient en alerte, alors que toutes les interactions peu importe leur sévérité apparaissaient en alerte dans 8 (42%) systèmes.

Aucun système n’a affiché d’alerte pour les 15 interactions identifiées. Le meilleur résultat est 14/15 (93%), par un seul système. En moyenne, 58% des interactions ont généré une alerte interruptive (requérant confirmation de l’utilisateur pour continuer), et 12% ont produit uniquement des alertes passives. Un seul système a présenté des alertes avec interruption définitive (hard stop), empêchant l’utilisateur de continuer la prescription. Dans ce système, 7 des 15 interactions étaient configurés en interruption définitive.

En ce qui a trait aux interactions spécifiques, le comportement était très variable. L’interaction entre les ISRS et les IMAO était détectée dans pratiquement tous les système, alors que l’interaction entre le ramelteon et les inhibiteurs du CYP1A2 n’était détectée dans aucun système.

L’étude est intéressante car illustre bien la grande variabilité dans la gestion des interactions médicamenteuses, même dans un écosystème mature avec des produits commerciaux à grand déploiement. À noter qu’une liste d’interactions jugées prioritaires en pédiatrie existe; il serait intéressant qu’une étude similaire soit menée dans le contexte de la pédiatrie.

États-Unis, capacité des logiciels à intercepter des erreurs médicamenteuses dans les hôpitaux pédiatriques

52145965_sL’objectif de cette étude était d’évaluer la performance des logiciels de prescription électronique avec aide à la décision en utilisation dans 41 institutions américaines, certaines exclusivement pédiatriques et d’autres desservant une clientèle mixte pédiatrique et adulte. L’analyse a été effectuée avec la version pédiatrique du Leapfrog CPOE evaluation tool, un outil standardisé reconnu et couramment utilisé aux États-Unis. L’étude a eu lieu de février 2008 à décembre 2010, et comportait pour certaines institutions plusieurs évaluations dans le temps, ce qui a permis aux auteurs de décrire l’évolution temporelle des scores obtenus.

La méthode d’évaluation est bien décrite dans l’article. En résumé, il s’agit de créer des patients fictifs dans le système en place, d’entrer les ordonnances fictives demandées par le test et de noter ce que le système détecte comme erreurs. De surcroît, des ordonnances sans erreurs doivent être elles aussi testées et une limite de temps de 6 heures est imposée, afin de détecter les alertes inutiles, et de prévenir la tentation que certains pourraient avoir d’ajuster leur système d’aide à la décision aux ordonnances demandées par le test.

96 résultats de tests ont été obtenus, pour une moyenne de 2.2 par institution. 6 ont été exclus en raison de violation de la limite de temps ou de détection de résultats louches à partir des ordonnances sensées ne pas générer d’alertes. 90 résultats ont donc été exclus dans l’analyse. 73,2% des hôpitaux étaient des affiliés à des institutions académiques, et en moyenne, les hôpitaux participants étaient un peu plus grands que l’hôpital pédiatrique américain moyen.

Le score moyen pour l’ensemble des composantes testées était de 62%, avec un intervalle de confiance 95% de 57,9 à 66,1%. Les composantes testées étaient divisées en fonctionnalités de base (interactions, allergies, duplications, doses uniques, voies d’administration) et avancées (doses ou indications par diagnostic et par résultats de laboratoire, coûts, monitoring, doses cumulatives et alertes inutiles). Pour les composantes de base, le score moyen était de 71,6% et il était de 50,4% pour les fonctions avancées. Les fonctions avec les scores les plus élevés étaient la détection d’allergies (99,2%), de doses uniques inappropriées (81,1%), de doses cumulatives inappropriées (70,2%) et les voies d’administrations inappropriées (70,8%). Les pires performances étaient pour la détection d’interactions et de duplications. La performance n’était pas liée au type d’hôpital, au logiciel lui-même, au temps depuis le déploiement et à l’affiliation académique.

En moyenne, les systèmes de prescription électronique étaient en place depuis 4.1 ans. Les auteurs ont trouvé que les scores de performance avaient tendance à s’améliorer, d’en moyenne 4% par année après le test initial.

Je trouve cette étude pertinente en raison des données qu’elle offre sur la performance des logiciels de prescription électronique en pédiatrie. Dans notre contexte, on pourrait utiliser cet outil ou un autre similaire pour tester la performance des systèmes de prescription électronique qui seront inévitablement déployés au Québec dans les prochaines années. De même, un tel test serait applicable aux logiciels de pharmacie, qui offrent des fonctionnalités similaires. Ces résultats pourraient aider à développer un guide de paramétrage pour ces applications.

À noter: la première phrase de cet article est: « The Institute of Medicine’s 1999 report To Err Is Human… »