Données 2020 sur la dispensation et l’administration des médicaments dans les hôpitaux américains

L’édition 2020 du sondage de l’ASHP portait sur la dispensation et l’administration des médicaments. Je parlerai ici uniquement des aspects liés aux technologies de ces deux éléments. La méthode de sondage utilisée est presque toujours la même et est décrite dans l’article. Il s’agit essentiellement d’un questionnaire standardisé où un échantillon d’hôpitaux conçu pour être représentatif est invité à répondre.

1437 hôpitaux ont été invités à répondre, dont 300 de moins de 50 lits et tous (137) les hôpitaux de plus de 600 lits. 269 départements de pharmacie ont répondu pour un taux de réponse de 19%.

43% des hôpitaux répondants avaient une pharmacie ouverte 24 heures par jour (similaire à 43% en 2017). 30% des hôpitaux avaient plutôt recours à une entreprise externe offrant des services de validation 24 heures, comparativement à 21% en 2017. 5% des hôpitaux avaient recours à un pharmacien sur appel ou à distance, et 15% à un hôpital affilié pour valider à distance. Dans 8% des hôpitaux, il n’y avait pas de vérification d’ordonnances la nuit, principalement des petits hôpitaux.

4% des hôpitaux utilisaient un robot de dispensation (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 75% des hôpitaux utilisaient les cabinets comme mode de dispensation principal pour les doses d’entretien des médicaments, comparativement à 70% en 2017. La dispensation unitaire préparée manuellement (comme on la pratique dans la plupart des hôpitaux du Québec), ne représentant plus que 20% des hôpitaux américains.

66% des hôpitaux utilisent le code-barres à la dispensation à la pharmacie, dont 94% des hôpitaux de plus de 600 lits. 81% des hôpitaux utilisaient le code-barre comme vérification au restockage des cabinets. 21% des hôpitaux utilisaient un logiciel d’assistance aux préparations stériles (66% des hôpitaux de plus de 600 lits); 33% des hôpitaux scannent les code-barres des ingrédients des préparations, 25% prennent des photos ou vidéos, et 5% utilisent la gravimétrie (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 3% des hôpitaux utilisaient un robot de préparation stérile, dont 1.6% pour la chimiothérapie.

88% des hôpitaux utilisent des pompes intelligentes, 13% permettent la programmation des pompes automatiquement à partir du logiciel de dossier électronique ou de la FADM électronique, et 15% récupèrent les données des pompes pour alimenter les données du dossier électronique (ex: bilan ingesta/excreta).

Ce sondage démontre définitivement une progression des technologies de dispensation et de sécurisation du circuit du médicament, vers la cible d’un circuit en boucle fermée. Le service des médicaments en cassettes préparées manuellement aux 24 heures est en déclin pour être remplacé par la dispensation via les cabinets ou les robots de préparation pour les très gros hôpitaux. Ce sera intéressant de suivre cette tendance au Québec dans les prochaines années.

Pompes intelligentes, données et dossiers électroniques

En rattrapant un peu mon retard dans ma liste de publications intéressantes à lire, j’ai constaté que 3 articles ont récemment été publiés à propos de « pompes intelligentes », des données qu’elles collectent et de leur interopérabilité avec les dossiers électroniques.

Article 1 : impact de l’interopérabilité des pompes intelligentes en soins intensifs

L’introduction de cette publication, dans l’AJHP de juillet 2020, rappelle que l’interopérabilité des pompes intelligentes avec les dossiers électroniques permet de:

  • Pousser les informations d’une ordonnance vers la pompe pour limiter la programmation manuelle.
  • Utiliser des informations de limites de dose et d’alertes provenant du dossier électronique.
  • Récupérer les informations des pompes sur l’administration des médicaments pour les utiliser dans le dossier électronique.

Il s’agit d’une étude qui a été menée dans un centre académique américain de 612 lits situé en Virginie. Un devis pré-post a été utilisé où les infusions d’épinéphrine et norépinéphrine en soins intensifs adultes ont été comparées avant et après l’implantation de l’interopérabilité des pompes. Deux périodes de 6 mois, soit juillet à décembre 2016 et juillet à décembre 2017, ont été comparées. La fonctionnalité implantée consistait en un scan du code-barres d’une étiquette de médicament à l’aide d’un module de pompe, permettant à celle-ci d’aller chercher l’information sur l’ordonnance du médicament dans le dossier électronique et « s’auto-programmer » avec les bons paramètres. Les informations sur l’administration étaient ensuite retournées au dossier du patient.

L’objectif primaire de l’étude était de comparer le nombre de changements de débits documentés dans le dossier, l’hypothèse étant que la facilitation de cette documentation par l’interopérabilité allait augmenter le nombre de changements documentés. Les objectifs secondaires étaient de comparer le nombre d’alertes générées et de vérifier l’opinion des pharmaciens de soins intensifs sur cette technologie.

2503 administrations des médicaments à l’étude ont été constatées en pré et 1401 en post (car les administrations non réalisées à l’aide du module d’interopérabilité, par exemple celles faite en urgence avant l’entrée de l’ordonnance dans le dossier électronique, ont été exclues). Le taux de changement de débits était de 5,31 par perfusion en pré et 9,29 en post, démontrant une augmentation du nombre de changements de débits documentés. Le taux d’alertes de doses par rapport aux limites de bibliothèque était de 2% en pré et 1,7% en post, les auteurs expliquent cette similitude par le fait que les limites programmées dans le dossier électronique et les pompes étaient les mêmes et n’ont pas changé entre les périodes.

8 pharmaciens ont participé au sondage et 87,5% (7/8) d’entre deux étaient d’accord que la documentation était meilleure avec la nouvelle fonctionnalité. Les auteurs soulignent cependant que l’important travail nécessaire pour que les bibliothèques des pompes contiennent tous les médicaments disponibles dans le dossier électronique, ainsi que toutes les concentrations, les mêmes unités de prescription et les mêmes limites de doses.

Cet article ne démontre rien de très surprenant, mais on y constate l’effet de l’interopérabilité sur la documentation de l’administration des perfusions continues qui se trouve améliorée. Dommage que l’effet sur la qualité de la programmation des pompes (erreurs, reprises de programmation, durée pour l’infirmière) n’ait pas été examiné.

Article 2: utilisation des données collectées par les pompes pour optimiser les préparations de médicaments en perfusion continue

Cet article a été publié dans l’AJHP de septembre 2020. Les auteurs avaient pour objectif de réduire le gaspillage causé par l’utilisation de fractions de fioles pour préparer une perfusion dans une concentration et un volume standardisé, ou en préparant des volumes trop grands pour les besoins du patient. Ce type de réflexion est important dans le contexte où les ruptures d’approvisionnement de médicaments de soins critique sont en augmentation.

Les données sur les perfusions continues de norépinéphrine, phenyléphrine, vasopressine et cisatracurium de 9 hôpitaux de Caroline du Nord en ont été collectées en janvier, avril et juin 2015 à partir de leurs pompes intelligentes. Des centres académiques et communautaires étaient inclus parmi ces hôpitaux. La quantité administrée de chaque médicament et la quantité gaspillée ont été calculées pour chaque perfusion à partir des informations de préparation et changements de contenants collectées par les pompes. Les données reflétant des erreurs de programmation ou de préparation ont été exclues.

Les détails du raisonnement pour chaque médicament sont présentés. L’élément crucial du volume de fluides à injecter au patient (pour minimiser le risque de surcharge liquidienne) a aussi été pris en compte en mettant en place, par exemple pour la norépinéphrine, une concentration plus élevée pour les patients avec des hauts débits.

Cette étude est intéressante, elle démontre comment les données tirées des pompes intelligentes peuvent être utilisées pour optimiser les bibliothèques de ces mêmes pompes en examinant les tendances d’utilisation. Les éléments à considérer sont:

  • Utiliser des fioles entières dans les préparations pour éviter de jeter des fractions de fioles inutilisées.
  • Optimiser les concentrations et volumes des seringues ou sacs préparés lorsque les données démontrent que des volumes importants sont non utilisés et jetés.
  • Lorsque des hautes doses peuvent être requises, prévoir des solutions plus concentrées en respectant les deux principes précédents pour réduire le risque de surcharge liquidienne.

Article 3: concordance entre les données collectées par les pompes et les dossiers électroniques en néonatologie

Cet article a été publié en septembre 2020 dans JMIR et est disponible en texte complet gratuitement sur PubMed Central. Elle a été réalisée dans une unité de soins intensifs néonatals de 70 lits d’un centre académique américain situé à Cincinatti. Un dossier électronique commercial était en place. L’unité utilisait la prescription électronique avec aide à la décision, l’administration des médicaments assistée par code-barres, des pompes intelligentes avec une bibliothèque adaptée à la néonatologie et un suivi clinique par des pharmaciens spécialisés en néonatologie était assuré.

L’objectif de l’étude était d’examiner la faisabilité de réconcilier les données d’administration des perfusions continues de 9 médicaments (vasopresseurs, narcotiques, nutrition parentérale) extraites des pompes avec les données des ordonnances et de la FADM dans le dossier électronique. Les données du 1er janvier au 31 décembre 2014 ont été utilisées, sauf pour la nutrition parentérale où 8% des données de 2016 ont été utilisées.

Les données de prescription, de la FADM et d’administration par les pompes ont été alignées temporellement par patient et par médicament et une équipe de recherche incluant deux médecins a analysé les différences entre les sources.

Environ 70% des données ont pu être réconciliées entre les pompes et le dossier électronique, le reste comportant soit un identifiant de patient ou de médicament invalide. 2307 ordonnances avec 10 575 entrées de FADM et 23 397 entrées de pompe ont été révisées. 321 divergences (3%) ont été identifiées dans la FADM et 682 (2,9%) dans les pompes. Dans la FADM, 58,2% des divergences étaient des surdosages dont 21,9% de plus de 100% de la dose prescrite. Dans les pompes, 66,9% des divergences étaient des surdosages dont 27,6% de plus de 100% de la dose prescrite.

Cet article illustre bien que les données collectées par les pompes intelligentes, qui représentent ce que le patient a réellement reçu, peuvent ne pas concorder avec les ordonnances et ce qui est documenté dans la FADM. De façon plus importante, les erreurs d’identifiants de patient ou de médicament dans cette étude étaient très prévalentes. Une interopérabilité des pompes avec les dossiers électroniques permettant le transfert des informations des ordonnances vers les pompes et le retour de l’information d’administration vers le dossier, est susceptible d’améliorer cet état de fait.

Le rôle du pharmacien en informatique clinique, l’expérience canadienne

Il y a 4 ans, je parlais de mes perceptions sur le rôle du pharmacien en informatique clinique sur la base de deux énoncés de position par l’ASHP et l’AMIA. Depuis, plusieurs choses ont évolué plus près de nous et certaines provinces canadiennes ont commencé le déploiement de dossiers électroniques complets, ce qui implique évidemment les pharmaciens et amène la concentration de la pratique de certains pharmaciens en informatique clinique moderne.

Je vous parle aujourd’hui d’un article dans le CHJP de l’été dernier, qui est disponible en texte complet gratuitement sur PubMed Central, et qui a été écrit par des pharmaciens de Toronto. L’article présente l’expérience des auteurs en relation avec les 5 compétences identifiées dans l’énoncé de position de l’ASHP, dans le cadre de certaines situations qu’ils ont vécues en pratique.

Gestion des données, de l’information et des connaissances sur les médicaments

Les auteurs discutent de l’importance de la nomenclature des médicaments et des ensembles d’ordonnances (order sets). Ils expliquent qu’ils ont mis en place des standards pour les noms des médicaments, pour l’utilisation d’abréviations et pour les troncatures lorsque les limites de caractères ne permettent pas de tout écrire au long. Les exemples sont intéressants, par exemple le cas d’une insuline au nom trop long qui dépassait d’une ligne affichée à l’écran, rendant impossible la lecture du nom du produit à utiliser.

Dissémination de l’information et des connaissances sur les médicaments

Les fonctionnalités d’aide à la décision des dossiers électroniques permettent l’affichage d’information utile à la tâche en cours et de contraintes dans le flot de travail afin de s’assurer que certaines tâches soient accomplies. L’article décrit le développement d’un ensemble d’ordonnances pour prévention de la thromboembolie veineuse qui a été intégré aux ordonnances d’admission afin d’assurer l’évaluation du risque dans les 24 heures suivant l’admission. On mentionne aussi l’ajout d’alertes de double-vérification dans la FADM électronique, l’affichage de résultats de laboratoire pertinents au moment de la prescription, et le développement de règles de surveillance des antimicrobiens.

Les auteurs mentionnent l’importance de collecter et analyser l’information sur le déclenchement et les actions prises face aux alertes pour réduire le phénomène de désensibilisation.

Analyse des données

L’analyse des données disponibles dans les dossiers électroniques est illustrée à l’aide d’un exemple de calcul d’indicateurs de l’activité clinique des pharmaciens à partir de ces données. Cela repose sur un formulaire standardisé dans le dossier électronique pour les consultations initiales et les notes de suivi. Les auteurs expliquent aussi qu’ils ont collaboré à la création d’un entrepôt de données, et qu’ils participent à l’analyse des demandes d’extraction d’information pour valider l’exactitude des informations sur les médicaments.

Application de principes d’informatique

Les auteurs décrivent comment la gestion de ruptures d’inventaire de médicaments leur permet de combiner leur expérience de cliniciens aux principes de gestion des systèmes d’information pour que la conduite à tenir soit claire dans les systèmes au moment de la prescription.

Leadership et la gestion du changement

L’article explique comment les pharmaciens en informatique clinique ont contribué au déploiement de la prescription électronique, des pompes à perfusion, des cabinets automatisés et du bilan comparatif des médicaments électronique.

Les auteurs concluent en mentionnant l’importance d’assurer une formation en informatique clinique pour les étudiants en pharmacie, le rôle des pharmaciens dans l’interprétation des données pouvant servir aux applications l’intelligence artificielle, ainsi que les défis de l’harmonisation des pratiques dans des réseaux d’hôpitaux de plus en plus gros et complexes.