Documentation de l’indication pour les prescriptions d’anti-infectieux

La documentation de l’indication dans les prescriptions électroniques est un sujet d’actualité donc j’ai parlé dans le passé. Dans le cadre de la gouvernance des antimicrobiens, cette technique est assez populaire afin d’encadrer l’usage et de faciliter le suivi par les équipes de surveillance.

Un article publié en février 2020 dans l’AJHP a évalué la qualité des indications documentées pour les antimicrobiens et les perceptions des prescripteurs par rapport à cette documentation. Il s’agit d’une étude rétrospective des indications documentées pour 6 antibiotiques (ceftriaxone, ciprofloxacine, ertapénem, oxacilline, piperacilline-tazobactam et vancomycine), à raison de 30 patients par antibiotique, pour les ordonnances placées entre le 1er mai 2017 et le 30 juillet 2017. Un sondage de 4 questions a aussi été mené auprès des prescripteurs du centre (médecins, assistant-médecins et infirmières praticiennes), afin d’évaluer les perceptions par rapport à cette pratique. L’étude a eu lieu dans un centre académique américain de 885 lits disposant d’un comité de gouvernance des antimicrobiens bien établi.

La pratique de documentation des indications dans ce centre avait été mise en place en février 2017. Le prescripteur d’un antimicrobien devait d’abord indiquer s’il s’agissait d’une prophylaxie, d’un traitement empirique ou d’un traitement définitif. Ensuite, une liste d’indications par système avec options « Autre » était présentée pour inscrire l’indication. L’évaluation de la qualité des indications inscrites a été réalisée en comparant l’indication documentée dans les notes médicales à celle inscrite lors de la prescription.

Durant la période de l’étude, 4524 traitements par antibiotique ont eu lieu. Parmi les 180 qui ont été échantillonnés pour l’analyse, 13 (7,2%) étaient en prophylaxie, 93 (51,7%) en traitement empirique et 74 (41,1%) en traitement définitif. La plupart des ordonnances de prophylaxie étaient dans les services de chirurgie. 161 ordonnances (89,4%) comportaient une indication adéquate (conforme à celle documentée dans les notes d’évolution). Ce pourcentage était de 94% pour les traitements empiriques et 92% pour les traitements définitifs. Pour la prophylaxie, 46% des indications étaient adéquates mais le nombre absolu était faible (6/13). Pour les traitements empiriques, le diagnostic définitif était discordant par rapport à l’indication inscrite lors de la prescription du traitement empirique dans 78,5% des cas.

254 réponses au sondage ont été reçues pour un taux de réponse de 29,4%, soit 23-26% selon les catégories de médecin et 67,9% pour les assistant-médecins et infirmières praticiennes. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative dans les réponses entre les catégories de prescripteurs. La plupart considéraient que la documentation de l’indication requérait entre 1 à 20 secondes supplémentaires. La plupart considéraient aussi qu’il s’agissait d’une nuisance mineure, ou occasionnellement plus lourde. La plupart ont aussi indiqué que cette documentation de l’indication affectait peu leur réflexion sur le choix de traitement.

La discussion mentionne avec justesse que la documentation de l’indication dans la prescription électronique d’antibiotiques a été associée dans la littérature à l’entrée d’indications inexactes, en particulier lorsque cette indication est liée à l’utilisation d’un antibiotique à usage restreint. Dans la présente étude, les indications étaient en grande majorité adéquates. Le sondage a aussi montré que la charge additionnelle sur les cliniciens était faible. Les auteurs mentionnent que le contexte académique du centre a pu influencer le bénéfice perçu de la documentation de l’indication sur la réflexion par rapport au choix de traitement. En effet, comme mentionné ailleurs, dans ce contexte, les ordonnances sont souvent entrées par des personnes qui exécutes des décisions d’équipe ou d’autres praticiens, et ainsi il n’est plus vraiment question de changer de décision au moment d’entrer l’ordonnance.

Il est dommage que les auteurs aient uniquement exploré l’exactitude des indications et la charge sur les cliniciens, sans examiner si la documentation de cette indication accomplissait son objectif théorique qui est d’aider les pharmaciens à évaluer les ordonnances de ces médicaments et à permettre aux équipes de gouvernance des antimicrobiens à en assurer le bon usage. Il demeure que cette étude démontre qu’il est possible d’atteindre l’objectif d’une documentation adéquate sans lourde charge pour les prescripteurs.

Surveillance des antimicrobiens à l’aide d’une stratégie électronique

Cet article décrit une stratégie de surveillance des antimicrobiens mise en place dans un hôpital de réadaptation français de 255 lits de courte durée et 108 lits de réadaptation ciblé sur les blessures à la moëlle épinière. Une équipe composée d’un pharmacien, d’un microbiologiste et d’un médecin spécialiste en maladies infectieuses a été mise en place pour surveiller la prescription d’antimicrobiens en ciblant certaines classes.

La stratégie de surveillance consistait en l’identification d’antimicrobiens de certaines classes prescrits pour plus d’une journée (par exemple piperacilline-tazobactam, carbapénèmes). Le prescripteur devait détailler l’indication dans le système de prescription électronique, puis effectuer un suivi au jour 3 de la prescription. Une requête d’extraction des données vers un chiffrier Excel a été mise en place, et permettait à l’équipe de surveillance d’effectuer un suivi des prescriptions. D’abord, un pharmacien vérifiait les doses prescrites et la présence d’interactions médicamenteuses, puis alertait le prescripteur selon la conformité de la prescription aux lignes directrices du centre. Ensuite, le microbiologiste validait la prescription en fonction des résultats de culture et de susceptibilité. Les prescriptions étaient classées en appropriées ou inappropriées pour une de trois raisons: l’absence de culture requise, la non susceptibilité à l’antibiotique prescrit, ou un spectre trop large. Les prescriptions jugées inappropriées et non cessées malgré l’alerte étaient transmises par courriel à l’infectiologue, qui effectuait une intervention directement auprès du prescripteur pour évaluer si la prescription était adéquate ou pour recommander une modification. Pour l’étude rapportée, les données de janvier 2012 à décembre 2014 ont été collectées.

2216 prescriptions ont été revues. Le microbiologiste a évalué 1224 (58.1%) prescriptions comme inappropriées, et de celles-ci 835 (68.2%) ont été modifiées sans intervention. 389 (31.8%) prescriptions ont mené à une alerte, pour lesquelles 293 interventions ont effectivement eu lieu. Dans 157 (53,6%) interventions, le traitement a été jugé adéquat en fin de compte, et dans 136 (46,4%), le traitement a été jugé inapproprié, puis modifié dans 132 de ces cas.

Le système décrit est relativement « low-tech », consistant en une simple extraction de données puis un suivi partagé à l’aide d’un chiffrier Excel. Ça a l’avantage d’offrir un suivi des antimicrobiens plus fin qu’à l’aide d’alertes complètement automatisées, mais il n’est pas clair si l’investissement de temps requis de la part de chacun des membres de l’équipe pour ce suivi manuel est vraiment rentable. Par ailleurs, dans le cadre de cette étude l’antibioprophylaxie chirurgicale et médicale était exclue, probablement en raison du volume, mais dans mon expérience beaucoup d’interventions de ce type sont nécessaires avec les prescriptions de prophylaxie.

Caractéristiques de logiciels supportant la surveillance des antimicrobiens

Cet article a été écrit par des pharmaciens et microbiologistes anglais et rapporte les résultats d’un sondage sur les caractéristiques des logiciels offrant des fonctionnalités de surveillance des antimicrobiens. Les objectifs spécifique étaient de dresser un portrait des caractéristiques idéales de ce type de logiciels, de les prioriser et d’en déterminer l’importance relative pour les professionnels impliqués, soit les pharmaciens spécialisés en maladies infectieuses et les médecins microbiologistes.

D’abord, deux focus groups ont été menés avec six pharmaciens, deux microbiologistes et un analyste pour établir un questionnaire en ligne de 42 questions, portant sur les alertes, la surveillance des ordonnances actives et la surveillance des tendances de prescription. Le questionnaire a été piloté en octobre 2014, puis diffusé durant 7 mois de janvier à juillet 2015 aux professionnels impliqués dans les activités de surveillance des antimicrobiens en Angleterre, à travers des associations professionnelles.

164 réponses ont été reçues, et 22 ont été exclues en raison de réponses incomplètes. Des 142 réponses restantes, 48% provenaient de pharmaciens 52% des réponses provenaient d’hôpitaux généraux et 45% d’hôpitaux d’enseignement. 49% des répondants avaient de l’expérience avec la prescription électronique ou des dossiers électroniques.

Parmi les caractéristiques liées aux alertes durant la prescription, la majorité des répondants considéraient toutes les caractéristiques proposées comme essentielles ou de haute priorité, les plus importantes étant la détection d’allergies et la documentation des indications des antimicrobiens. Les fonctions décrites étaient:

  • La détection d’allergie
  • La documentation des indications
  • La détection d’interactions
  • Les alertes contournables
  • L’affichage des niveaux sanguins
  • La validation de doses pour adultes et enfants
  • L’usage restreint
  • Les protocoles pour des indications précises ou des niveaux sanguin

Les pharmaciens ont assigné une priorité plus haute à la détection d’allergies, à l’indication et aux protocoles, probablement parce que ces fonctions sont utiles dans un contexte de validation d’ordonnances. Les médecins, eux, priorisaient davantage la détection d’interactions et la vérification des doses.

Parmi les caractéristiques liées à la surveillance des ordonnances actives, de manière similaire, toutes les caractéristiques décrites ont été jugées essentielles ou de haute priorité, c’est-à-dire:

  • La surveillance d’antimicrobiens critiques
  • Les discordances indication – choix d’antimicrobien
  • Les longues durées de traitement
  • Les doses non administrées
  • Les aminoglycosides à haute dose
  • Les nouvelles prescriptions pour sepsis
  • Le suivi par diagnostic

En ce qui a trait aux rapports liées aux tendances de prescription, on note un niveau d’importance moindre.

Pour ces deux dernières catégories, c’est-à-dire celles liées à la surveillance comme tel, il en ressort que les caractéristiques désirées sont variables selon les professionnels. Il semble que la meilleure fonctionnalité à offrir dans un logiciel servant à la surveillance des antimicrobiens serait tout simplement de permettre de générer des rapports personnalisables par utilisateur en fonction de tous les paramètres possibles.