Rapport canadien sur la pharmacie hospitalière – volet Québec 2016-2017

Au tout début de ce blogue, j’avais écrit à propos du rapport canadien sur la pharmacie hospitalière, volet Québec 2013-2014. Voici maintenant la mise à jour 2016-2017 (que s’est-il passé avec 2015 ?). L’article a aussi fait l’objet d’un épisode du podcast Trait pharmacien de l’APES. Je me concentrerai ici sur les aspects technologiques du rapport puisqu’il y a tellement de données et de faits saillants que la lecture l’article complet ainsi que l’écoute de l’épisode de podcast est la meilleure chose à faire pour bien saisir tous les enjeux.

184 départements de pharmacie canadien dont 43 au Québec ont répondu, ce qui est relativement stable par rapport aux années antérieures.

De manière générale, en matière d’informatisation, les hôpitaux canadiens sont en retard. Le rapport cite les niveaux HIMSS-EMRAM au 30 septembre 2017 avec un stade 0 dans 17,6% des hôpitaux canadiens contre 1,6% aux États-Unis, stade 3 30,3% au Canada contre 12,6% aux États-Unis, et stade 6 1,4% au Canada contre 32,7% aux États-Unis. Ceci n’est pas surprenant compte tenu des programmes fédéraux contraignant à l’informatisation du côté américain, alors que les stratégies utilisées en sont pas comparables ici. Malheureusement les données québécoises sur ce niveau ne sont pas mentionnées. Existent-elles et sont-elles publiques ?

Le rapport rappelle également les lacunes connues du DSQ et l’actuelle volonté de standardisation et d’uniformisation des systèmes informatiques provinciaux, à travers notamment le DCI Cristal-Net (qui a maintenant un site web et une base de connaissances disponible publiquement !)

La section et le tableau sur la technologie mentionnent quelques faits saillants:

  • Les pompes « intelligentes » (avec bibliothèque) sont présentes dans 77% des hôpitaux, avec une révision et mise à jour annuelle des bibliothèques dans 70% des hôpitaux, mais l’utilisation d’un réseau sans-fil pour la mise à jour est faite dans seulement 50% des cas.
  • Au niveau de la gestion des ordonnances, seulement 9% des hôpitaux ont un système de prescription électronique opérationnel contre 17% au Canada (ce nombre était de 95,6% pour les systèmes de prescription électronique avec aide à la décision aux États-Unis en 2016). Dans 50% des cas, le logiciel de prescription électronique possède une interface unidirectionnelle vers le système pharmacie et dans l’autre 50% cette interface est bidirectionnelle. Du côté américain, le même rapport 2016 mentionne une interface de transmission de données dans 90,7% des hôpitaux, mais la distinction de l’interface en unidirectionnelle ou bidirectionnelle n’est pas faite.
  • Pour ce qui est du code-barres, 58% des hôpitaux québécois vérifient les médicaments par code-barres avant leur envoi de la pharmacie contre 24% au Canada et 61,9% aux États-Unis en 2017.
  • Le code-barres est utilisé pour vérifier les médicaments avant l’administration au patient dans aucun hôpital québécois contre 9% au Canada, et 92,6% des hôpitaux américains selon le sondage 2016 de l’ASHP. On utilise le code-barres pour sécuriser le remplissage des cabinets automatisés dans 81% des hôpitaux québécois, 52% des hôpitaux canadiens (?) et 85-100% des hôpitaux américains. 95% des hôpitaux utilisent une FADM papier générée à partir du SIP et 12% une FADM électronique.

En ce qui a trait aux cabinets, 98% des hôpitaux québécois rapportent leur présence dans leur établissement, dont 100% à l’urgence.

Le sondage de l’ASHP de 2017 rapportait que la distribution unitaire centralisée était en perte de popularité aux États-Unis, avec 70% des hôpitaux qui utilisent les cabinets comme moyen principal de distribution des doses d’entretien; et seulement 21% des hôpitaux qui sont encore dans un mode de distribution unitaire centralisée. Certains plus gros hôpitaux utilisaient cependant (20-25% des hôpitaux de plus de 300 lits) des robots de distribution unitaire centralisée, ce qui est logique pour un hôpital de grande taille. Cette tendance n’est pas observée au Québec avec encore 100% des hôpitaux recourant à une distribution unitaire centralisée. Notons qu’aucun département de pharmacie québécois n’est ouvert 24 heures comparativement à 43% des pharmacies américaines, surtout (>90%) dans les hôpitaux de 200 lits et plus.

Bref, on constate une certaine évolution des pratiques des départements de pharmacie en lien avec la technologie mais on constate toutefois un certain retard par rapport aux pratiques américaines. Par rapport aux autres provinces canadiennes, certains points sont en avance et d’autres sont en retard.

Variations dans la nomenclature des médicaments en prescription électronique

J’ai parlé il y a quelque temps de l’importance la nomenclature des médicaments dans les systèmes informatiques de santé, incluant les systèmes de pharmacie, les dossiers électroniques et la prescription électronique. Un article publié dans le dernier AJHP amène des données intéressantes sur cet enjeu. Il s’agit d’un article qui avait pour objectif de décrire la variabilité des noms de médicaments utilisés dans 10 systèmes de prescription électronique utilisés dans 6 organisations de santé américaines. Les logiciels évalués incluaient des systèmes locaux de même que des produits commerciaux. Des tests ont été développés par un pharmacien de l’équipe de recherche pour pour générer des alertes, en particulier pour les duplications. Des sessions à distance ont été menées avec les utilisateurs locaux du système de manière standardisée, afin de bien évaluer l’interaction normale des utilisateurs avec le système. De plus, dans un site en particulier, les données de 4 millions d’ordonnances émises entre 2011 et 2015 ont été extraites et analysées en détail.

Les auteurs ont observé une énorme variabilité dans la manière dont les médicaments étaient nommés et affichés dans les systèmes, par exemple l’affichage de médicaments en nom générique ou original, selon ce qui avait été prescrit, dans les listes de médicaments. Ça vaut la peine de lire le texte complet pour voir tous les exemples. L’analyse détaillée d’un site a montré que la plupart des prescriptions étaient faites en nom générique, sauf pour les produits combinés, pour lesquels 77,3% des prescriptions étaient faites en nom commercial.

Divers problèmes ont été notés, notamment la présence de 3137 duplications où le même médicament, avec la même posologie, avait été prescrit deux fois, une fois avec le nom générique et une fois avec le nom commercial, et l’alerte générée en réponse à cette duplication avait probablement été ignorée ou désactivée. L’affichage de noms multiple pour le même médicament, parfois dans le même écran, a été obervée. Enfin, la présence de noms « maison » incluant des modificateurs locaux (par exmple des indications, ou des restrictions) a été observée.

Les auteurs terminent en listant les principes émis par l’ISMP pour l’affichage des noms de médicaments:

  • Lister à la fois le nom générique et le nom commercial.
  • Inclure l’indication dans la prescription pour éviter les erreurs liées aux noms de médicaments similaires qui n’ont pas la même indication.
  • Différencier les noms de médicaments similaires à l’aide de modifications de police de caractères ou l’utilisation de majuscules [à souligner: la recherche tend plutôt à démontrer que le TALLman lettering a une efficacité douteuse, voir un article précédemment publié et un autre dans le même numéro de l’AJHP dont je parlerai plus tard].

Je trouve qu’il s’agit d’un bon article, mais il manque de preuves que les problèmes soulevés ont un impact réel. Je ne doute pas que ce soit un problème, encore faut-il le démontrer pour justifier des changements dans cette pratique. Néanmoins, malgré le peu de données probantes sur le sujet, il faut bien décider d’une manière d’afficher les noms de médicaments dans les systèmes, et il est tout à fait vrai que la nomenclature peut entraîner de la confusion et des erreurs. Il s’agit un sujet de recherche très intéressant.

Prescription électronique: qu’est-ce qu’on prescrit ?

Rx on tablet
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J’ai récemment commencé à travailler sur la prescription électronique. Après beaucoup de lecture sur les principes de base et les données (pas si) probantes, je constate que la mise en pratique suscite beaucoup de questionnements que les livres et les articles abordent peu.

L’exemple dont je veux vous parler cette semaine apparaît à première vue bête et simple. Ça se résume à la question suivante: « qu’est-ce qu’on prescrit ? »

Dans le livre The Pharmacy Informatics Primer, on aborde la sélection des médicaments lors de prescription électronique surtout comme un problème d’affichage, ou de filtrage. On part d’une liste pré-définie, probablement pompée en place par le fournisseur du logiciel, et on applique des méthodes d’affichage et des filtres de recherche pour restreindre la sélection. La sélection finale est celle d’une fiche de médicament similaire à celle qu’on retrouverait dans un système d’information pharmacie ou sur une FADM, par exemple « acétaminophène 325 mg comprimé ».  En fait, il est même probable que la liste maîtresse ait été élaborée à partir d’un catalogue de produits, d’un fournisseur, d’un assureur ou du formulaire d’un centre, selon le contexte. Et à la fiche désignant un produit pharmaceutique sélectionné on ajoute une posologie, par exemple 325 mg soit 1 comprimé par la bouche aux 6 heures au besoin.

En travaillant sur la prescription électronique, j’ai été appelé à définir des principes guidant l’affichage de ce qui est présenté aux prescripteurs lorsqu’ils choisissent un médicament à prescrire. J’en ressors convaincu que l’affichage simple de produits pharmaceutiques précis n’est pas la méthode à préconiser.

Si on examine le processus de prescription papier, on constate qu’il est exceptionnel qu’un prescripteur (du moins en établissement de santé, et encore plus en pédiatrie) précise un produit exact. Pour les médicaments simples, la prescription est composée d’un nom de molécule, puis d’une dose, d’une voie et d’une posologie. Évidemment, les exceptions à cette règle sont nombreuses et il y a même des exceptions aux exceptions, mais le principe de base de préciser une molécule plutôt qu’un produit pharmaceutique est valide la majorité du temps. Même lorsqu’un prescripteur précise un produit exact (par exemple « propranolol en suspension orale à 2 mg/mL »), il y a des chances que le produit précisé ne soit pas celui qui sera servi ! L’hôpital pourrait produire la suspension de propranolol de manière uniformisée à 5 mg/mL, et la spécification du prescripteur risque d’entraîner plus de confusion qu’autre chose, lorsque l’infirmière recevra un médicament ne correspondant pas à ce qui a été prescrit.

De toute façon, dans le contexte de la pédiatrie, il est fréquent que la forme pharmaceutique d’un produit soit modifiée (en s’assurant que les produits soient interchangeables, bien sûr) sans que le prescripteur ne doive intervenir, souvent pour passer d’une forme orale solide à une forme orale liquide ou vice-versa. La loi 41 est venue cimenter la capacité du pharmacien à effectuer ce geste, mais il était fait de manière courante depuis longtemps déjà. Il est donc discutable de préciser la forme pharmaceutique d’un produit directement dans son ordonnance si ce n’est pas cliniquement nécessaire.

Par ailleurs, de mon point de vue de pharmacien qui exécute l’ordonnance, le fait de passer à un mode de prescription où le produit pharmaceutique est toujours spécifié m’enlève un niveau de détail important. Avec la prescription papier, une précision de la forme pharmaceutique m’indiquait que le prescripteur avait peut-être une raison de vouloir cette forme spécifiquement (par exemple un patient sous diète cétogène, un patient qui refuse les comprimés, etc.) Dans le cas des corticostéroïdes topiques, il devient même essentiel de préciser la forme pharmaceutique exacte puisque l’onguent ou la crème du même médicament peuvent avoir une puissance différente et être destinés à différents usages.

Le niveau de granularité de la prescription du médicament dépend donc du contexte. En ce sens, en prescription électronique, pour ne pas perdre ce contexte, il devient selon moi important d’offrir l’option de prescrire selon différents niveaux de précision. Pour une prescription « ordinaire », il est probable que la simple indication de la molécule soit suffisante. Pour une prescription plus complexe, la sélection du produit pharmaceutique exact peut être souhaitable.

Le problème auquel on se heurte rapidement est que les banques de données souvent utilisées pour alimenter les logiciels de prescription proviennent, comme mentionné plus haut, de catalogues ou de formulaires désignant des produits exacts. Je crois donc qu’une couche d’abstraction supplémentaire, permettant l’association de noms plus « généraux » aux fiches exactes doit exister, pour qu’un médecin qui désire prescrire de l’acétaminophène, sans précision d’un produit exact, ne doive pas décider d’une forme pharmaceutique si ce n’est pas nécessaire.

Dernier point d’importance, un avantage majeur de la prescription électronique, et celui qui fait probablement le moins controverse dans tout le débat qui entoure les avantages de cet outil comparativement à ses coûts, est l’élimination de l’étape de transcription. Le fait de ne plus devoir lire et interpréter les prescriptions manuscrites contribue à réduire les erreurs lors de la transcription vers les systèmes informatiques. Au minimum, l’information doit être lue et saisie manuellement, mais comme elle est en caractères imprimés, la lecture est plus facile. Mais pour que cet avantage se réalise pleinement, une interface entre le logiciel de prescription et le système d’information pharmacie doit être disponible pour relier automatiquement la prescription à une fiche informatique du système pharmacie. De même, l’interface doit permettre un retour d’information (un feedback) vers le système de prescription pour que le prescripteur constate ce qui a été servi en réponse à l’ordonnance. Et même, les deux systèmes devraient être alimentés par la même banque de données, pour éliminer tout risque de prescription de choses qui n’existent pas dans un système ou dans l’autre ou de liens plus ou moins exacts entre les systèmes.

La couche d’abstraction permettant la sélection des divers niveaux de précision doit prendre cela en compte. Dans le contexte d’une interface, elle doit permettre de restreindre les options affichés dans le système pharmacie à celles pertinentes à la prescription. Une ordonnance d’acétaminophène ne doit pas permettre de saisir la fiche informatique de lansoprazole en capsules de 15 mg, par exemple.

Un travail important est donc nécessaire pour les pharmaciens en informatique clinique, afin de définir, pour chaque médicament au formulaire d’un établissement, quels niveaux de granularité sont permis et comment les liens s’effectuent entre ce qui est prescrit et ce qui doit être saisi dans le système de la pharmacie.