Les aspects technos du rapport canadien sur la pharmacie hospitalière 2020-2021

Le volet québécois du rapport canadien sur la pharmacie hospitalière a été publié dans le Pharmactuel récemment. J’ai parlé en 2018 de la dernière édition de ce rapport qui couvrait les années 2016 et 2017. Le rapport a aussi fait l’objet d’un épisode de Trait Pharmacien qui vaut la peine d’être écouté. Comme à l’habitude, je me concentrerai ici uniquement sur les aspects de technologie contenus dans ce rapport, cependant celui-ci contient bien plus de données que ce dont je parle.

Au total, 144 réponses ont été reçues au Canada dont 36 (25%) du Québec. L’Alberta n’a pas répondu à l’enquête. Au Québec, des données ont été fournies par 23 des 26 chefs de département pour au moins une installation, résultant en 56 des 73 (77%) installations d’au moins 50 lits au Québec qui sont représentées dans le sondage.

Au niveau de la distribution des médicaments, tous les répondants du Québec (100%) utilisent un système de distribution unitaire centralisée couvrant en moyenne 87% des lits de courte durée, une donnée similaire à ce qu’elle était en 2016-2017, comparativement à 77% des répondants au Canada couvrant 71% des lits de courte durée. En ce qui a trait à la distribution à partir de cabinets, 47% des répondants du Québec utilisent ce système pour couvrir en moyenne 20% des lits, encore une fois de manière stable par rapport à 2016-2017, comparativement à 62% des répondants canadiens couvrant 56% des lits. Il n’est malheureusement pas clair si on parle de l’utilisation de ces systèmes en premier recours pour la distribution des doses d’entretien, comme c’est la tendance aux États-Unis, ou simplement de l’existence de ces systèmes en complément à la distribution unitaire. D’expérience, j’ai bien l’impression qu’il s’agit de la deuxième option. 97% des répondants au Québec ont des cabinets présents dans leur établissement, comparativement à 89% au Canada. 6/36 (17%) au Québec ont recours à un robot de préparation pour les doses unitaires comparativement à 28/142 (20%) au Canada.

Pour les aspects d’informatisation clinique à proprement parler, on note les faits suivants:

  • 9% (3/36) des répondants au Québec affirment disposer d’un prescripteur électronique (égal à 2016-2017), contre 19% au Canada, dont 1 au Québec (33%) qui ne dispose pas d’interface avec le SIP et demande de la transcription, alors que 3 au Canada (11%) sont dans cette situation.
  • 83% des répondants au Québec ont recours à des pompes intelligentes (vs 77% en 2016-2017) comparativement à 93% au Canada.
  • 77% des répondants au Québec vérifient les doses distribuées par code-barres (vs 58% en 2016-2017), comparativement à 36% au Canada. En contraste, aucun établissement au Québec ne rapporte d’utilisation du code-barres au moment de l’administration, alors que ce pourcentage varie entre 6 et 14% au Canda dépendamment de l’aspect concerné (identité du patient, du personnel ou du produit). 1 (3%) répondant au Québec affirme utiliser le code-barres pour programmer les pompes intelligentes avec des données du patient ou des médicaments, comparativement à 4 (3%) au Canada.
  • Au Québec, 94% des répondants (tous sauf 2) ont recours à une FADM papier produite à partir du SIP, alors que c’est le cas pour 61% des répondants au Canada, où 25% utilisent une FADM électronique et 14% une FADM entièrement manuelle. 2 répondants au Québec affirment utiliser une FADM électronique.

Le rapport comporte, aux pages 202 à 208, toute une section décrivant l’état de différents aspects de l’utilisation des technologies dans les établissements de santé et les départements de pharmacie. On note des sections sur:

  • Le niveau d’informatisation des établissements
  • Le DSQ
  • Le Carnet Santé Québec
  • La gouvernance de l’informatisation clinique
  • Prescription Québec
  • Le projet de Dossier Santé Numérique
  • Le développement de l’informatique clinique en pharmacie
  • Les lacs de données (et leur utilisation des données de pharmacie)
  • La gestion des équipements et différentes modalités d’utilisation de l’informatique comme l’infonuagique

Je retiens que l’informatisation clinique est un sujet d’actualité et les projets sont nombreux. Bien que les résultats concrets tardent à se manifester au niveau du circuit du médicament en établissement (les indicateurs n’ont pas beaucoup bougé depuis la dernière enquête, la pandémie de COVID-19 y étant surement pour quelque chose), l’intérêt pour l’informatisation et grands et plusieurs projets en cours dans plusieurs établissements cours font en sorte qu’on doit être très proactifs et vigilants sur ce sujet. J’espère que la prochaine édition du rapport montrera une évolution favorable dans ce domaine.

Données 2020 sur la dispensation et l’administration des médicaments dans les hôpitaux américains

L’édition 2020 du sondage de l’ASHP portait sur la dispensation et l’administration des médicaments. Je parlerai ici uniquement des aspects liés aux technologies de ces deux éléments. La méthode de sondage utilisée est presque toujours la même et est décrite dans l’article. Il s’agit essentiellement d’un questionnaire standardisé où un échantillon d’hôpitaux conçu pour être représentatif est invité à répondre.

1437 hôpitaux ont été invités à répondre, dont 300 de moins de 50 lits et tous (137) les hôpitaux de plus de 600 lits. 269 départements de pharmacie ont répondu pour un taux de réponse de 19%.

43% des hôpitaux répondants avaient une pharmacie ouverte 24 heures par jour (similaire à 43% en 2017). 30% des hôpitaux avaient plutôt recours à une entreprise externe offrant des services de validation 24 heures, comparativement à 21% en 2017. 5% des hôpitaux avaient recours à un pharmacien sur appel ou à distance, et 15% à un hôpital affilié pour valider à distance. Dans 8% des hôpitaux, il n’y avait pas de vérification d’ordonnances la nuit, principalement des petits hôpitaux.

4% des hôpitaux utilisaient un robot de dispensation (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 75% des hôpitaux utilisaient les cabinets comme mode de dispensation principal pour les doses d’entretien des médicaments, comparativement à 70% en 2017. La dispensation unitaire préparée manuellement (comme on la pratique dans la plupart des hôpitaux du Québec), ne représentant plus que 20% des hôpitaux américains.

66% des hôpitaux utilisent le code-barres à la dispensation à la pharmacie, dont 94% des hôpitaux de plus de 600 lits. 81% des hôpitaux utilisaient le code-barre comme vérification au restockage des cabinets. 21% des hôpitaux utilisaient un logiciel d’assistance aux préparations stériles (66% des hôpitaux de plus de 600 lits); 33% des hôpitaux scannent les code-barres des ingrédients des préparations, 25% prennent des photos ou vidéos, et 5% utilisent la gravimétrie (19% des hôpitaux de plus de 600 lits). 3% des hôpitaux utilisaient un robot de préparation stérile, dont 1.6% pour la chimiothérapie.

88% des hôpitaux utilisent des pompes intelligentes, 13% permettent la programmation des pompes automatiquement à partir du logiciel de dossier électronique ou de la FADM électronique, et 15% récupèrent les données des pompes pour alimenter les données du dossier électronique (ex: bilan ingesta/excreta).

Ce sondage démontre définitivement une progression des technologies de dispensation et de sécurisation du circuit du médicament, vers la cible d’un circuit en boucle fermée. Le service des médicaments en cassettes préparées manuellement aux 24 heures est en déclin pour être remplacé par la dispensation via les cabinets ou les robots de préparation pour les très gros hôpitaux. Ce sera intéressant de suivre cette tendance au Québec dans les prochaines années.

Implantation d’un système de vérification des médicaments par code-barres

La sécurisation du circuit du médicament à l’aide de code-barres est un sujet complexe. Le code-barres peut être utilisé pour confirmer l’identité des produits utilisés dans des préparations stériles (souvent combiné à d’autres technologies) ou non-stériles, la préparation de kits de médicaments (de plus en plus combiné au RFID), lors de la validation contenant-contenu de produits commerciaux à la pharmacie, à des fins de traçabilité des médicaments et lors de l’administration au patient. Les études qui décrivent l’utilisation de cette technologie le font dans le cadre d’un système pouvant combiner plusieurs autres technologies, ainsi il devient souvent difficile de comparer les études entre elles.

Une nouvelle étude sur le sujet a été publié en août 2019 et est disponible en texte complet gratuitement sur PubMed Central. L’étude a été réalisée à Paris dans un hôpital universitaire de 714 lits disposant d’un dossier électronique et de prescription électronique. Le système de distribution en place dans ce centre implique des premières doses distribuées principalement à l’aide de cabinets décentralisés et un système mélangé de distribution unitaire quotidienne sur 4 unités et de distribution non unitaire sur 4 autres unités; l’étude a été menée sur les unités avec distribution unitaire. Le texte est un peu difficile à suivre car les auteurs parlent de « barcode-assisted medication administration (BCMA) », qui est généralement un terme désignant l’utilisation de code-barres au chevet du patient au moment de l’administration d’un médicament pour confirmer l’identité du médicament et du patient en relation avec la FADM. Cependant, dans cette étude on comprend qu’il s’agissait plutôt d’une vérification contenant-contenu au moment de la dispensation des services quotidiens à la pharmacie.

Durant trois jours, une unité de soins en service quotidien différente à chaque jour était randomisée à la vérification par code-barres et une autre servait de contrôle, donnant 3 jours d’observation de dispensation vérifiée par code-barres et 3 jours de dispensation avec vérification sans code-barres. Les techniciens utilisant le système ont reçu une formation d’une semaine avant l’étude. Les techniciens ayant préparé les médicaments n’ont pas été observés directement; les investigateurs ont plutôt effectué des vérifications a posteriori des doses préparées, comme c’est le cas habituellement lors d’une vérification manuelle.

Le taux d’erreurs était 7,9% (nombres d’erreurs / nombre d’opportunités d’erreur) dans les deux groupes, le kappa entre les observateurs était de 0,88. Ce taux me semble élevé, dans ma pratique les erreurs de préparations des services quotidiens de médicaments sont rares, bien plus rares que 8%. Dans le groupe avec code-barres, le taux d’erreurs d’omission était plus élevé alors que le taux d’erreur de patient et de médicaments non prescrits était plus faible. Les auteurs listent un grand nombre d’enjeux techniques et humains ayant mené à des problèmes durant le projet, essentiellement le système utilisé était mal adapté au contexte d’un hôpital de soins aigus et l’interface permettant de transformer les données du système de prescription électronique en listes de médicaments à préparer (pas de profil pharmacologique ?) était dysfonctionnelle. Les produits eux-mêmes ne comportaient parfois aucun code-barres ou une code-barres inutilisable. Des enjeux de formation ont aussi été relevés. Donc, on peut conclure que les résultats de cette étude ne veulent pas dire grand-chose.

Pourquoi est-ce que je parle de cette étude dans ce cas ? Je trouve que la liste de problèmes décrite démontre bien comment des enjeux techniques et humains peuvent faire échouer un projet. Ici, un système, de l’aveu même des auteurs, mal adapté à l’utilisation qu’on souhaitait en faire et mal interfacé avec le reste du dossier électronique en place, a démontré de nombreux problèmes, en plus d’enjeux reliés à la formation et à l’utilisation du système. Ce que cette étude démontre selon moi, c’est que le succès ou l’échec d’une technologie est bien plus dépendant de la façon dont elle est mise en place que du simple fait qu’elle soit utilisée. Ceci repose sur un cadre technique adéquat et une gestion du changement planifiée avec rigueur.